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Noël …comme dans les contes

Je n’aime pas les contes de Noël : il s’agit souvent d’un déploiement de mièvrerie qui nous fait oublier que la vraie raison d’être de cette fête consiste à commémorer la naissance de celui que les chrétiens considèrent comme le Sauveur du monde. Mais il y a des contes qui n’en sont pas : celui-ci est une histoire vraie jusque dans le détail final…

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Sur le parvis
Portail du Jugement Dernier de la cathédrale de Bourges (photo Pale Rider)

Ce Noël promettait de se dérouler dans la banalité. Une banalité sur fond de tristesse, cependant. La femme de Harry l’avait quitté depuis plusieurs années ; légalement, cela faisait presque un an que le tribunal avait fait tomber le couperet de cette rupture qu’il n’avait pas voulue. Ce qui passe traditionnellement pour une fête de famille était désormais, pour lui qui avait vu la sienne voler en éclats, un cap difficile à franchir, davantage une épreuve qu’une occasion de réjouissance. Réjouissance ? En un sens, il y en avait une, nouvelle : celle de communier plus profondément avec cet enfant né quasiment dehors, dans le froid, le dénuement, le rejet. Juste de quoi remettre Noël dans sa véritable perspective. Et puis, Harry n’avait-il pas rencontré des personnes qui l’avaient secouru au bon moment et lui avaient évité de sombrer ? Cela valait bien une reconnaissance à Dieu pour sa sollicitude au sein de l’épreuve même si, étrangement, il n’avait rien fait pour éviter l’issue fatale.

 Banalité ? Oui et non. La mère de son fils devait travailler, cette nuit-là. Harry et John passeraient donc la veillée de Noël tous les deux, le père avec le fils. Leur petite église s’était associée avec l'église protestante voisine pour célébrer conjointement la Nativité. Harry tenait absolument à y aller, bien que la ville ne fût pas toute proche.

 Dans le temple plus que centenaire, l’ambiance était recueillie et chaleureuse ; c’est toujours étrange de sentir l’épaisseur de la nuit enveloppant un lieu qu’on ne fréquente habituellement que le jour. On ressentait une réelle fraternité entre les membres des deux communautés. John avait accompagné son père sans rechigner, et même, on voyait qu’il s’impliquait pleinement et joyeusement dans la cérémonie. Lui-même avait été touché par une grâce inattendue pendant ces années qui avaient été un grand chagrin pour lui aussi. Sa foi d’enfant s’était approfondie alors que tout laissait prévoir qu’elle serait ébranlée par la séparation de ses parents. Déjà, il avait su comprendre que Dieu a choisi de limiter sa toute-puissance à la liberté des humains : contrairement à son père, jamais il n’avait été tenté d’accuser le ciel.

 On avait éteint les lumières électriques. Chacun avait reçu une bougie ; la flamme unique, venue du pupitre, s’était transmise comme une joyeuse contagion, multipliée devant le visage de chaque participant qu’elle éclairait de sa lueur chaude. Harry était fasciné par sa bougie, et peu à peu il se mit à y décrypter une parabole de sa situation. Sous la flamme, il observait le reflet de la cire liquéfiée. La bougie pleurait, et ses larmes étaient la condition pour que sa lumière brille. Que votre lumière brille devant les hommes, disait l’Évangile… Et elle brillera d’autant plus vivement que vous aurez pleuré. Pourquoi, se demandait Harry, lui fallait-il passer par ces tourments évités à d’autres ? N’était-ce pas pour accéder à une lumière plus belle, celle qui l’avait émerveillé chez d’autres personnes rescapées de souffrances terribles, et devenues plus resplendissantes après avoir traversé un mur de feu ?

 Le culte touchait à sa fin. Le président de séance fit une prière de Noël tout à fait typique que lui, peut-être, avait le droit de faire, mais qui mettait Harry très mal à l’aise : il pria pour les pauvres, dehors, sous la pluie, que Dieu les bénisse et qu’il nous aide à leur faire du bien, amen. Légèrement agacé, Harry se disait que, comme d’habitude, chacun rentrerait chez soi, au chaud, que l'Armée du Salut et les associations se chargeraient de faire le nécessaire. Bref, le folklore habituel. Et lui-même ne dérogerait pas à la règle.

 À la sortie, l’enfant dit à son père que jamais il n’avait vécu une aussi belle cérémonie de Noël. Harry n’en attendait pas tant, mais John semblait avoir été profondément touché ; de toutes façons, c’est toujours avec sincérité qu’il s’exprimait, à plus forte raison concernant les affaires de Dieu.

 On se salua mutuellement, on se souhaita un joyeux Noël. La pluie avait cessé : le froid dominait maintenant sur l’humidité. Harry et John remontèrent dans la vieille voiture.

 —Et si on faisait un petit détour pour voir la cathédrale illuminée ? proposa Harry.

 —Ah ! oui, quelle bonne idée ! s’exclama John.

 Et les voilà partis en direction de l’édifice qui, depuis huit siècles, veillait sur l’antique cité. Roulant au pas, Harry contourna la cathédrale et fit admirer à son fils les sculptures dont les projecteurs accentuaient le relief. Le spectacle était saisissant, les tours grandioses. Tout était calme. En ce soir de Noël, à cette heure-là, pas un chrétien dans les rues moyenâgeuses. Soudain, Harry, penché sur le côté pour mieux admirer les détails de la façade, repéra un homme seul, assis dans une niche dépouillée de sa statue. Il le connaissait : c’était un clochard qui mendiait souvent devant la poste. Apparemment, il essayait de s’abriter du petit vent froid. Ce qui frappait le père et l’enfant, c’était la solitude totale de ce pauvre type recroquevillé au pied de cette gigantesque falaise. D’une certaine façon, ils étaient bien placés pour sympathiser avec cet homme bloqué dans son isolement. Ce soir, ils ne seraient que tous les deux. Mais au moins ils seraient deux, et ils avaient même un feu de bois qui les attendait dans leur maison à la campagne, avec une table garnie, et aussi leur brave chat qui guetterait sa part du festin. Comment repartir comme ça, abandonnant ce bonhomme à sa détresse ? Harry s’arrêta au pied de la grosse tour, et fouilla dans son porte-monnaie. Ils sortirent de l’auto, montèrent les marches du parvis, et accostèrent l’homme.

 Celui-ci, surpris, fut saisi d’une vive émotion : il ne s’attendait pas à ce que quelqu'un vienne le voir. Le dialogue s’engage. Harry se renseigne un peu sur les problèmes de ce type. Il est bouleversé par la reconnaissance de ce clochard pour un geste et un don finalement bien modestes. L’homme est encore plus ému lorsque le petit John, ayant emporté la bougie qu’il a reçue à l'église, la lui offre. L’homme dit qu’il croit en Dieu, qu’il lui arrive de le prier. L’habitude d’un long désespoir se lit sur son visage rougi, boursouflé, vieilli par l’alcool et les intempéries. Il pleure. Harry et John essayent de l’encourager, et forment des voeux pour un avenir plus favorable que son présent.

 Entre-temps, une vieille dame est arrivée. Personne d’autre aux alentours : uniquement le clochard, le père et le fils, et la grand-mère. Très secoués par ce qu’ils viennent de vivre, Harry et John laissent le clochard avec la dame. En silence, ils redescendent les degrés du parvis. Dans cette rencontre, c’est eux qui ont été bénis, c’est à eux qu’une surprise a été faite ; c’est un vrai conte de Noël qu’ils n’ont pas prémédité. Ils étaient venus pour admirer « leur » cathédrale, et ils ont vécu un instant de fraternité avec un de ces petits pour qui Jésus est venu dans ce monde deux millénaires plus tôt. Finalement, la prière entendue au temple est devenue réalité, elle n’est pas restée une figure de style, elle a été suivie d’effets sans que personne ne l’ait voulu. C’est un pur présent du ciel.

 

 Au moment d’ouvrir la portière, Harry s’aperçoit qu’il a fait quelque chose qui ne lui est jamais arrivé : il a enfermé ses clefs dans la voiture !…


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12 réactions à cet article    


  • L'enfoiré L’enfoiré 24 décembre 2013 14:07

    Bonjour Pale Rider,

     Je vais vous en passer un autre conte.
     Trop long pour un commentaire sous cette antenne.
     Une anecdote tout aussi vrai.
     Historique et peu connue en France d’après ce qu’il en était dit.
     Ce fut mon cadeau de Noël en virtuel.
     Cela s’appelle « L’homme qui plantait des arbres » qui apparaît en premier commentaire à la suite de cet article.. 
     Joyeux Noël et bonne lecture

     

    • Pale Rider Pale Rider 24 décembre 2013 15:19

      Cher Enfoiré,

      Je viens de lire ce texte en me disant : « On dirait du Giono »... et c’était du Giono ! C’est absolument superbe. Je viens de m’en faire un document.
      J’avais entendu parler d’un type qui avait fait la même chose dans les Pyrénées, mais c’est à vérifier.
      Ayant moi-même habité une maison entourée de chênes dont les glands avaient un rendement de presque 100% (c’était un crève-coeur de passer la tondeuse sur les chênes naissants), j’ai planté pas mal d’arbres, et je semais des glands dans des terrains vagues.
      D’autre part, à un endroit proche de ladite maison que des paysans avaient rasé, tout s’est remis à pousser anarchiquement. Quelques années plus tard, les petits chênes avaient monté jusqu’à 5 ou 6 mètres au milieu des ronces. J’ai donc entrepris de nettoyer ce fourré, qui est devenu un petit bois. J’espère que mes successeurs l’ont laissé debout.
      Merci de m’avoir fait connaître cette fort belle histoire, qui montre effectivement qu’avec de l’obstination et du savoir-faire, ou peut changer les choses.
      Et Joyeux Noël à vous ! smiley

    • L'enfoiré L’enfoiré 26 décembre 2013 14:16

      ReBonjour,

       Je savais que cela allait vous plaire.
       Dans l’article qui lui était greffé,(cela a dû vous échapper) au sujet des arbres, il y avait notre humoriste qui avait aussi son mot à dire.

    • paulau 24 décembre 2013 18:55
      Noël.

      Le boeuf a soufflé sans faire de bruit.
      L’âne, à côté, a soufflé aussi.
      Ils ont tant soufflé dans la froide nuit,
      Qu’ils ont réchauffé Jésus si petit.

      • soi même 25 décembre 2013 01:14

        je vais sans doute passez pour outrecuidant :

        Notre Père

        Qui es aux Cieux

        Que Ton Nom soit sanctifié

        Que Ton Règne vienne

        Que Ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel

        Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour

        Pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux
        qui nous ont offensés

        Et ne nous laisse pas entrer en tentation

        Mais délivre-nous du mal

        Car c’est à Toi qu’appartiennent : le Règne, la Puissance et la

        Gloire

        Pour les siècles des siècles

        Amen !


        • Pale Rider Pale Rider 26 décembre 2013 11:31

          Je ne vois pas où est l’outrecuidance. Sur le site d’AgoraVox, c’est même LE post qu’il faut apprendre par coeur si ce n’est déjà fait.

          Le Notre Père se trouve en Matthieu 6.9-13, avec une version un peu différente et plus courte en Luc 11.2-4.

        • L'enfoiré L’enfoiré 26 décembre 2013 12:58

          Quoi ?

          Vous n’avez pas fait cette prière-là à la Messe de Minuit ?

          Prière des sexagénaires
          Notre kiné qui êtes osseux
          Que nos articulations soient certifiées
          Que notre squelette tienne
          Que nos os emboîtés soient fermes
          Sur la terre comme ossuaires
          Donnez-nous aujourd’hui nos massages quotidiens
          Pardonnez-nous nos exigences
          Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont chiropractés
          Ne nous laissez pas succomber à la décalcification
          Mais délivrez-nous du mal du dos
          Maintenant et Alzheimer de notre mort
          Abdomen

          Pourquoi Sexagénaire ?
          Parce qu’en préfixe, il y a « sexe » et en suffixe, « génère » (phonétiquement) smiley

        • philouie 26 décembre 2013 12:59

           c’est une injure faite à Dieu et répétée cent fois par jour par les catholiques.

          c’est assez vrai comme remarque.
          la cohérence de tout cela tient dans la doctrine du DieuBienSupprême rédempteur d’un HommeFautif.

          En même tant, on est pas obligé de croire à ses salades.


        • Pale Rider Pale Rider 26 décembre 2013 14:21

          @ sampiero

          Vous avez largement raison. Les subjonctifs du Notre Père montrent que le Royaume de Dieu s’est approché, mais qu’il n’est pas pleinement réalisé, loin s’en faut. D’ailleurs, celui qui l’a enseigné allait être crucifié.
          Vous avez raison : la volonté de Dieu n’est pas faite sur terre : il faut donc la demander... et l’accomplir.
          Le pardon : quasiment impossible, en effet (l’Evangile le dit, les apôtres s’en effrayent), mais il arrive que ça existe. Mandela (qui était chrétien, comme je l’ai démontré dans un autre article sur AgoraVox) l’a pratiqué, admirablement.
          Quant au mal, on n’en est pas débarrassé.
          La Bible n’occulte aucun problème humain. Vous faites donc des remarques justes, mais puis-je vous suggérer de ne pas persifler ? La lecture des Ecritures pourrait vous surprendre agréablement. Bien amicalement !



        • Pale Rider Pale Rider 26 décembre 2013 16:40

          @ L’Enfoiré

          Le mariage pour Tous me semble être une ineptie anthropologique (dans « sa » version de la Bible, Geluck y fait allusion...), et même pire.
          En revanche, je suis très heureux qu’Elisabeth II ait réhabilité Alan Turing, célèbre inverti et bienfaiteur de l’humanité pour avoir déchiffré le code Enigma, néanmoins poussé au suicide par une Angleterre victorienne qui le persécuta pour son orientation sexuelle.
          Entre ces deux pôles, vous voyez à peu près où je me situe sur cette question.
          Toujours amicalement.

          • Pale Rider Pale Rider 26 décembre 2013 19:24

            @ sampiero


            Ben oui, il est vraiment vilain ! smiley

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