Notre Mère qui êtes aux cieux...
Un prêtre nous honore de son amitié, ma famille et moi. Il est Polonais et exerce son sacerdoce en France. Il y a quelques années, il avait pris l'habitude de réunir ses paroissiens après le messe dans notre petite commune.
Nous nous retrouvions tous (10 à ou 12 personnes au maximum !!!), dans la petite salle de réunion de la mairie voisine devant quelques gâteaux et, éventuellement, une excellente bouteille de muscat local propice à débloquer les échanges.
Notre prêtre nous demanda un jour de proposer des débats un peu plus structurés que nous pourrions préparer à l'avance.
Sans trop y réfléchir, je lui posai la question suivante :
-Ne pensez vous pas que nous pourrions réfléchir au rôle de Marie, mère de Jésus, qui à l'heure actuelle ne me semble plus vénérée mais adorée comme une véritable divinité.
En énonçant la question, je me suis rendu compte qu'elle m'était venue à la bouche parce que mon interlocuteur était Polonais.
Bien sûr, je suis confusément persuadé depuis longtemps que le culte dédié à Marie constitue une étrangeté passionnante.
Pourquoi cette vénération générale et, surtout ces apparitions souvent suivies d'évènements extraordinaires sur tous les continents et à toutes les époques de l'ère chrétienne.
Tout le monde connait Lourdes, les évènements ahurissants de Fatima (merci Luc Laurent Salvador pour votre excellent http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/entre-predictions-et-notre-dame-de-54275), en Pologne, bien sûr, le culte impressionnant de la vierge noire de Czestochowa, le miracle permanent de Guadalupe (lire l'"Apparition" de Didier van Cauwelaert).
Les "vierges" apparaissent en Afrique, au Japon, en Amérique du Sud, dans les Balkans, en Russie...partout !
Vous me direz hallucinations, arnaques, peut-être oui, souvent même.
Mais certains cas donnent sérieusement à réfléchir, en particulier Fatima.. Pourtant, ce qui me trouble avant tout, c'est la quasi absence de Jésus, du Christ, dans ces manifestations multiples et quasi universelles. Comme si le véritable objet du culte chrétien était Marie...
Mais je « tenais » un prêtre polonais !
Un peuple dont on connait la vénération pour Marie, bien sûr, mais aussi et surtout un compatriote de Jean-Paul II . Un homme qui a vénéré la Sainte Vierge plus que tout autre Pape, par ses pèlerinages nombreux et dont l'importance était volontairement soulignée, à Czestochowa bien sûr, mais aussi à Lourdes et surtout à Fatima dont il n'a cessé de mettre en valeur le caractère essentiel du message.
Et puis il y eut l'agonie, fortement médiatisée, de cet individu d'exception. Je n'ai pas de preuves de ce que j'avance mais je n'ai pas souvenir d'avoir entendu une seule fois, à cette époque, évoquer des prières à Dieu, au Père, à Jésus ou à un saint quelconque. Il priait la Vierge Marie et attendait de la retrouver. Que ce soit dit par lui ou son entourage immédiat. Troublant tout de même !
Voilà ce que j'ai affirmé à notre curé. Qui a souri comme toujours mais a esquivé le débat et promis de m'apporter des éléments de réponse à son prochain passage.
Ce qu'il n'oublia pas en me faisant cadeau d'un livre exceptionnel :
« Marie, un parcours dogmatique »
par Dominique Cerbelaud aux éditions du Cerf
C'est une description minutieuse et riche de l'évolution, depuis les origines, de la doctrine chrétienne concernant la figure mariale. « Des entrelacs de la doctrine et de la piété », comme le traite l'auteur sur tout un chapitre. Des débats internes à l'Église « Minimalisme ou Maximalisme marial ».
De son utilisation politique, celle, par exemple, des « théologiens de la libération » :
« Certains représentants de cette mouvance, vont accorder une attention privilégiée à la figure de Marie, considérée comme femme du peuple, proche des pauvres et des exclus. Avec insistance, ils désigneront le Magnificat comme l'un des textes du Nouveau Testament dont le contenu politique et libérateur est le plus intense. Marie, proclamant que « Dieu renverse les puissants de leur trône » apparait en effet comme la porte-parole des contestataires de l'ordre établi », arguments repris par la théologie féministe en Amérique du Nord.
L'auteur montre à quel point les protestants ont commis une erreur d'appréciation en négligeant une telle alliée et souligne l'approche bienveillante des nouveaux auteurs juifs, Schalom Ben-Chorin ou Schalom Asch.
Il reprend toutes les évocations de Marie dans le Coran et dans certains hadiths :
« Chose surprenante : la tradition musulmane a fini par déclarer la sainteté éminente de Marie et de Jésus, tous deux exempts de souillures et préservés des attaques du diable...
En outre, dans les pratiques populaires de la dévotion musulmane, la place de la Mère de Jésus reste marquée. C'est ainsi que l'on voit des croyants venir se recueillir dans les sanctuaires marials catholiques, de Beyrouth (Notre Dame du LIBAN) à Marseille(Notre Dame de la Garde), en passant par Ephèse (la maison de la Vierge) et d'autres lieux encore... »
On peut souligner aussi ce passage particulièrement savoureux sur le rôle de Marie auprès du clergé catholique :
« Dans une Église où bien des clercs célibataires ont une relation complexe, voire ambigüe, à leur propre mère, (secrètement dominatrice et officiellement idéalisée), cette Mère vierge représente un modèle symbolique parfait : à la fois maternel et dépourvu de toute sexualité . Elle devient ainsi le modèle féminin du clerc masculin, dont les manques dans ce domaine peuvent se laisser sublimer et acquérir du même coup une vraie fécondité ! On s'est interrogé, à cet égard, sur le lien entre mariologie et célibat ecclésiastique : il semble, en effet, que la doctrine mariale ne se soit développée que dans les Églises qui connaissent cette discipline... »
Or l'auteur, Dominique Cerbelaud, est père dominicain !!! (imaginez que les « militants » de tous bords soient capables du même recul amusé par rapport à leur propre « chapelle »...).
Dans le dernier chapitre, l'auteur commente quelques opinions de théologiens passés ou actuels Pour certains, Marie se substitue carrément à l'Esprit Saint, pour d'autres, elle devient « le quatrième personnage de la Trinité », la tendance actuelle relevant de la « féminisation du divin »
Le DIEU-MERE...nous y voilà.
Dominique Cerbelaud reprend ensuite tous les modèles non-bibliques : Ishtar-Astarté, Atargatis, Cybèle, Artémis, Isis, soulignant que « les structures religieuse à l'œuvre dans les cultes antiques se sont maintenues dans la religion chrétienne »
Mais il ne s'agit pas de copie ou d'héritage. Dans les dernières pages l'auteur nous offre sa clé :
« A travers ces dernières figures de déesses antiques, la psychologie des profondeurs a aujourd'hui tendance à subodorer l'existence d'un archétype du féminin, projeté dans la sphère céleste. Le nom de Carl Gustav Jung reste lié à l'exploration de ce domaine, et c'est la raison pour laquelle, dans la présente section, je m'appuierai sur son œuvre »
Et, un peu plus loin :
« dans « Réponse à Job »...Jung exprime ce qu'il faut bien appeler son enthousiasme par rapport à la définition dogmatique de l'Assomption, en même temps que ses critiques virulentes des réactions négatives du protestantisme sur ce point. C'est ainsi qu'il note :
-Par la proclamation du dogme de l'Assomption, Marie, n'a pas atteint, il est vrai, selon l'option dogmatique, le statut d'une déesse, quoi qu'elle soit en tant que Reine du ciel et Médiatris Christi,(médiatrice auprès du Christ), pour ainsi dire de la même valeur, fonctionnellement, que lui le Roi, et l'Intercesseur. En tout cas, sa position satisfait aux besoins de l'archétype
Dominique Cerbelaud reprend le commentaire :
« Il convient de prendre au sérieux cette dernière notation. En effet, contrairement à certaines apparences, l'auteur ne se situe pas ici au plan dogmatique. A ce point de vue, telle ou telle de ses affirmations laisse d'ailleurs beaucoup à désirer. Il s'agit de structures psychiques : le discours catholique sur Marie réalise, à ses yeux un archétype majeur de l'inconscient collectif »
Ce que je ne peux m'empêcher de rapprocher des propos de Serge Tribolet, psychiatre des Hôpitaux de Paris très actuel :
« La folie nous enseigne que Dieu n'est pas une fin en soi. Il y a un au-delà de Dieu, une ultime étape de la construction délirante : une rencontre du troisième type. Rencontre avec La femme.
Pour le commun des mortels La femme ne peut être approchée. La rencontre reste impossible, purement fantasmatique. La femme n'est pas une entité observable, ni un concept. Elle est un au-delà. Pour cette raison, le délire est une expérience mystique. Le schizophrène nous enseigne par son délire que Dieu n'est pas le Père mais la matrice, la matière, la mère et en fin de compte La Femme »
Cela renvoie également à Henri Corbin et au « Principe » se tenant en amont de l'existence.
Le livre de Dominique Cerbelaud. recense, explique, démontre et ouvre des perspectives vertigineuses. Sa publication a généré force remous au Vatican.
Merci, Père Piotr pour ce somptueux cadeau. A la question, vous avez répondu par une interrogationsouriante plus vaste encore.
Et en plus, j'en ai fait profiter les amis...
Il en est peut-être qui imaginent que la foi est un chemin tranquille balisé de certitudes en béton !!!
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