Première encyclique de Benoît XVI : que dit le pape ?
La première encyclique du Pape Benoît XVI vient de paraître. Que nous dit-elle de l’amour, de la charité, de Dieu ?
Le texte original en italien a été trouvé sur le site du journal italien La Repubblica http://www.repubblica.it/ . Les caractères en italiques correspondent à ma traduction de certains passages de l’encyclique. Les caractères en gras correspondent à mes commentaires.
En introduction, le Pape dit ce que représente le choix d’être chrétien. Nous avons cru à l’amour de Dieu - ainsi peut s’exprimer le choix fondamental de sa vie ... ce n’est pas une décision éthique ou une grande idée, mais au contraire la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là-même la direction décisive.
Dans une première partie, avant de parler de l’amour de Dieu, l’amour entre un homme et une femme est abordé. La distinction est faite entre l’« eros » et l’« agapé ». L’« eros » est l’amour exaltation du corps qui peut conduire au divin chez les anciens Grecs, et l’ « agapé » l’amour oblatif qui est au service d’autrui. L’homme devient vraiment lui-même quand corps et âme se retrouvent intimement liés... Les tendances à la négation du corps dans le christianisme du passé sont évoquées. La foi chrétienne, au contraire, a toujours considéré l’homme comme un être un et dual, dans lequel esprit et matière s’interpénètrent... Si les deux dimensions ne sont plus unies, il se profile une caricature, ou de toute façon une forme réductrice de l’amour.
Cette conception de l’amour entre un homme et une femme n’est, sans doute, pas uniquement celle des chrétiens. Des athées ou des agnostiques peuvent la partager. Rien n’est dit d’un amour possible entre deux hommes ou deux femmes.
A l’image du Dieu monothéiste correspond le mariage monogamique.
On devine en filigrane la justification de l’opposition de l’Église au divorce.
Dieu est dans l’absolu la source originelle de tout être ; mais ce principe créateur de toute chose - le « Logos », la raison primordiale - est en même temps un amant avec toute la passion d’un vrai amour. [..] .dans le sacrement de communion je suis uni au Seigneur avec tous ceux qui communient. [...] « agapé » est devenue aussi un nom de l’Eucharistie.
« Agapé » est revendiquée comme étant l’Eucharistie. « Agapé » appartient, me semble-t-il, à tout homme, et a une portée plus universelle : elle n’est pas l’apanage d’une croyance.
Mon prochain est celui qui a besoin de moi et que je peux aider. Jésus s’identifie aux affamés, assoiffés, étrangers, aux démunis, aux prisonniers. L’amour de Dieu et l’amour du prochain s’unissent ensemble : dans le plus petit nous rencontrons Jésus lui-même, et en Jésus nous rencontrons Dieu.
L’Église est-elle toujours proche des humbles ? Faut-il rappeler que Don Helder Camara et Monseigneur Romero étaient très proches des humbles ? Le premier disait que lorsqu’il s’occupait des pauvres, on le traitait de communiste. Le second a été assassiné parce qu’il avait pris la défense des plus démunis. Ils ont été remplacés par des évêques beaucoup plus proches du Vatican, tendance Opus Dei. L’abbé Pierre a écrit un livre, Mon Dieu ... pourquoi ?. L’archevêque de Paris, André Vingt-Trois, déclare ne pas avoir lu ce livre, afin de « garder une bonne image de l’abbé Pierre ». L’abbé a eu l’audace d’écrire qu’il avait « connu l’expérience du désir sexuel », et d’autres choses, en particulier sur l’homosexualité et l’homoparentalité, sur le Pape... Monseigneur Lustiger a dit, à propos de l’abbé : "Il a plus de 90 ans. Il a un peu perdu la tête. Les gens le font parler, lui tendent un micro et puis...". Les propos de ces deux archevêques ont un fond de mépris et de condescendance insupportable. L’Église ne supporte pas qu’on reconnaisse publiquement que la réalité ne correspond pas à l’image parfaite que l’institution voudrait donner. La faiblesse doit être cachée, seule l’image idyllique doit être présentée. On peut évoquer l’existence de certains prêtres vivant dans l’ombre avec femme et enfants.
Je vois avec les yeux du Christ et je peux donner à l’autre bien plus que les choses extérieurement nécessaires : je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin.
Tout homme me paraît capable de ce « regard d’amour », indépendamment de ses croyances.
Si dans ma vie je néglige complètement l’attention envers l’autre, en voulant être uniquement « pieu »... ce rapport est uniquement « correct », mais sans amour.
Une croyance religieuse sans amour peut-elle exister ? Peut-on l’appeler « correcte », même avec des guillemets ?
Dans une seconde partie est abordé l’exercice de l’amour de la part de l’Église... Caritas, ou charité.
« Agapé » est une traduction en grec d’un terme hébreu. L’« agapé » a été traduit en latin par « caritas ». La traduction en français est charité.
Dans les Actes des Apôtres, il est précisé que les croyants ont tout en commun et que, entre eux, la différence entre riches et pauvres ne subsiste plus. Benoît XVI ajoute, avec la croissance de l’Église, cette forme radicale de communion matérielle n’a pu, pour dire vrai, être maintenue. Le noyau essentiel est cependant resté : à l’intérieur de la communauté des croyants, il ne doit pas exister une forme de pauvreté telle qu’à quelqu’un soient niés les biens nécessaires pour une vie digne.
L’ambition affichée dans l’Ancien Testament a été largement amputée. Pourquoi la croissance de l’Église est-elle responsable de cet appauvrissement de l’« agapé » ? Quel est le seuil de pauvreté matérielle ? Qu’est-ce qu’une vie digne ?
... l’exercice de la charité se confirma comme un de ses domaines essentiels (ceux de l’Église), avec l’administration des Sacrements et l’annonce de la Parole. La charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait laisser aux autres... Elle est une expression de son essence même, à laquelle on ne peut renoncer. Une partie de la pensée marxiste est présentée : Les œuvres de charité... seraient pour les riches un moyen de se soustraire à l’instauration de la justice... en conservant leur position et en privant les pauvres de leurs droits. [...] Il faut reconnaître que dans cette argumentation il y du vrai et aussi du faux. Dans la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons, entre autres à cause de la globalisation de l’économie, la doctrine sociale de l’Église est devenue un avis fondamental, qui propose des orientations valables bien au-delà de ses frontières...
L’Église reconnaît un certain manque de clairvoyance dans son analyse sociale aux dix-neuvième et vingtième siècles. Elle souhaite influencer l’ordre social (elle précise bien que ceci doit se passer dans le dialogue).
L’ordre juste de la société et de l’État est la tâche centrale de la politique. La foi est aussi une force purificatrice pour la raison. La foi permet à la raison d’accomplir au mieux sa tâche et de mieux percevoir ce qui lui est propre. La doctrine sociale catholique... ne veut pas conférer à l’Église un pouvoir sur l’État... ni imposer quoi que ce soit à ceux qui ne partagent pas sa foi... Elle veut simplement contribuer à la purification de la raison et apporter son aide afin que ce qui est juste puisse être reconnu, et puis réalisé.
Est-ce à dire que la foi du croyant lui donne un plus, qui lui permet entre autres d’avoir une pensée plus « pure » ? Qu’est-ce que la purification de la raison ?
L’Église ne doit pas prendre en main la bataille politique pour réaliser la société la plus juste possible. [...] L’amour (caritas) est toujours nécessaire, même dans la société la plus juste.
Comment ne pas être d’accord ?
L’Église souhaite un État qui reconnaisse et soutienne, dans la ligne du principe de subsidiarité, les initiatives qui surgissent des diverses forces sociales... L’Église fait partie de ces forces sociales.[...] Il lui appartient de contribuer à la purification de la raison et au réveil des forces morales, sans lesquelles on ne peut construire des structures justes, et qui puissent être opérationnelles longtemps.
On retrouve le rôle purificateur qu’entend jouer l’Église.
Le devoir immédiat de travailler à un ordre juste de la société est par contre celui des fidèles laïques. Comme citoyen de l’État, ils sont appelés à participer activement à la vie publique. [...] Leur activité politique doit être vécue comme « charité sociale ».
Une participation active des chrétiens à la vie de la cité, à la politique, est souhaitée.
Le profil spécifique de l’activité caritative de l’Église est évoqué. [...] La force du christianisme s’étend bien au-delà des frontières de la foi chrétienne. C’est pour cela qu’il est très important que l’activité caritative de l’Église maintienne toute sa splendeur et ne se dissolve pas dans l’organisation commune d’assistance en en devenant une simple variante.
L’Église souhaite fortement que les actions caritatives des fidèles se déroulent en son sein, afin de contribuer au rayonnement du christianisme.
Les personnes qui s’occupent de ceux qui souffrent doivent avoir une compétence professionnelle. La compétence professionnelle est une première nécessité fondamentale, mais elle ne suffit pas. Elles (les personnes qui souffrent) ont besoin d’humanité. Elles ont besoin de l’attention du cœur.
Ce profil de soignant n’est pas spécifique aux croyants.
L’activité caritative chrétienne doit être indépendante des partis et des idéologies. Suit une critique d’une seule idéologie, le marxisme. L’homme qui vit dans le présent est sacrifié au « moloch » du futur.
Il peut y avoir ambiguïté sur le mot « idéologie ». Est-ce l’étude des idées ? Est-ce l’ensemble des doctrines philosophiques, religieuses, politiques, sociales, économiques ? Est-ce le sens péjoratif, qui renvoie à des idées creuses ?
La charité ne doit pas être un moyen de faire du prosélytisme. L’amour est gratuit ; il n’est pas pratiqué pour rejoindre d’autres buts. [...] Mais ceci ne signifie pas que l’action caritative doive, pour ainsi dire, laisser Dieu et Christ de côté. C’est l’homme entier qui est toujours en jeu. Souvent c’est justement l’absence de Dieu qui est la racine la plus profonde de la souffrance. Celui qui exerce la charité au nom de l’Église ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l’Église. Le chrétien sait quand il est temps de parler de Dieu, et quand il est juste de se taire sur Lui et de laisser parler uniquement l’amour.
Le chrétien qui pratique la charité ne doit faire de prosélytisme, mais il est souhaitable qu’il parle de Dieu au moment opportun. L’absence de Dieu est-elle souvent une souffrance ?
Les responsables de l’action caritative de l’Église : les Évêques, les collaborateurs qui participent aux actions caritatives. Il est rappelé une nouvelle fois que ceux qui s’occupent de la charité dans l’Église ne doivent pas s’inspirer des idéologies d’amélioration du monde, mais se laisser guider par la foi [...] L’action pratique reste insuffisante si on ne perçoit pas l’amour pour l’homme qui se nourrit de la rencontre avec le Christ.
Le terme idéologie revient. Précédemment, il est indiqué que les chrétiens, à titre individuel, doivent participer à la vie politique et économique de la société. Il me semble qu’alors des « idéologies d’amélioration du monde » doivent être choisies, la charité ne suffit pas pour trouver des solutions au chômage, au bon exercice de la justice...
Cette manière juste de servir rend humble celui qui agit. Il n’assume pas une position de supériorité pour autant de misère qu’il puisse y avoir [...] L’importance de la prière est rappelée. Une attitude authentiquement religieuse évite que l’homme ne s’érige en juge de Dieu, en l’accusant de permettre la misère sans éprouver de compassion pour ses créatures. [...] Certes Job peut se lamenter face à Dieu pour la souffrance incompréhensible, et apparemment injustifiable, présente dans le monde.[...] Les chrétiens en fait continuent à croire, malgré toutes les incompréhensions et les désordres du monde qui nous entourent, dans la « bonté de Dieu » et dans « son amour pour les hommes ». Eux (les chrétiens), immergés comme les autres hommes dans la dramatique complexité des vicissitudes de l’histoire, ils restent accrochés à la certitude que Dieu est Pére et qu’Il nous aime, même si son silence demeure incompréhensible pour nous.
Il n’y a pas de réponse à la question : pourquoi autant de souffrances dans le monde ?
Benoît XVI termine l’encyclique en invitant les fidèles à porter leur regard vers les Saints et Marie qui ont pratiqué de manière exemplaire la charité.
« Charité » est un mot issu du latin ecclésial : amour de Dieu et du prochain. Pour la philosophie et la morale, c’est l’amour mutuel entre hommes, amour de ses semblables faisant partie de l’humanité. Et plus couramment, c’est un bienfait envers les pauvres.
Dans l’encyclique, « charité » a le sens premier. Pour ma part, j’adopte la deuxième définition.
Le terme « solidarité » est utilisé trois fois dans l’encyclique : devoir moral qui résulte de la prise de conscience de l’interdépendance des hommes et qui les pousse à s’entraider. Il est utilisé lorsqu’on parle des relations entre l’Église et l’État.
Solidarité est le terme laïque, correspondant à la charité chrétienne. Fraternité est un synonyme.
Pour moi, la charité ne distingue pas le croyant et l’incroyant. Seule la foi en un Dieu créateur et aimant les sépare.
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