Quel rapport entre la religion et la vision américaine du monde ?
La place de la religion dans la politique, mais aussi dans la culture américaine demeure très importante. Bien que les opinions soient partagées sur le fait que l’Amérique est une ‘nation chrétienne’ (en 2005, 71% des américains caractérisent leur pays ainsi), il est indéniable de dire que la religion forme le caractère de la nation et ses idées du monde.
Quel rapport entre la religion et la vision américaine du monde ? (1) La religion comme acteur dans les relations internationales L’effet de la religion sur la politique étrangère américaine est incontestable. L’émergence de la droite religieuse au début des années 80 et le fait qu’elle a fortement influencé deux administrations républicaines, a mené certains observateurs à conclure que la politique extérieure des États-Unis est même dominée par l’agenda des chrétiens conservateurs. Jusqu’au milieu des années 90, quelques académiciens aux États-Unis considèrent que la religion joue un rôle significatif dans le comportement international de l’Amérique. Effectivement, cette idée semble aller à l’encontre d’une grande partie des théories des relations internationales. Durant la seconde moitié du XXe siècle, c’est le réalisme qui occupe le terrain des analyses des interactions entre les États. Pour ses adeptes, le système international étant anarchique, chaque État cherche à protéger ses intérêts nationaux et à maximiser sa puissance. Aucune autorité mondiale ne peut maintenir l’ordre et protéger les États les uns des autres. Le comportement international des États est partiellement le résultat de leurs attributs étatiques internes : l’idéologie, la forme de gouvernement, le type de système politique, économique... etc. À l’origine du réalisme moderne se trouve Hans Morgenthau et Edward .H. Carr. Pour eux, les hommes d’État pensent et agissent rationnellement, en vue de défendre l’intérêt national et d’assurer la sécurité du territoire.
Le néoréaliste Kenneth Waltz, -l’auteur de la Théorie des politiques internationales en 1979- considère que les acteurs internes ne jouent aucun rôle dans la détermination du comportement international des États, c’est essentiellement la nature anarchique du système international qui incite les États à faire de la sécurité leur premier objectif. John Mearsheimer s’accorde à dire que la structure du système international plutôt que les caractéristiques particulières des grandes puissances, les incitent à se comporter de telle ou telle manière. On ne peut pas classifier les États en tant qu’acteurs plus ou moins agressifs en s’appuyant sur les types de leurs systèmes politiques et économiques. Mearsheimer, le précurseur du réalisme offensif, croit que les grandes puissances se comportent de façon agressive (…) parce qu’elles se doivent chercher plus de puissance si elles veulent maximiser leur chance de survie. Exprimé autrement, les États visent à assurer leur sécurité en maximisant leur force afin de devenir des puissances hégémoniques. Par contre, les partisans du réalisme défensif dont Waltz postulent que les États cherchent à maintenir l’équilibre des forces, à vivre dans un environnement dans lequel aucun État ne peut atteindre la prépondérance.
Le réalisme structuraliste de Waltz met le doigt sur les sources de comportement des États dans un système international défini selon le nombre des Pôles (multipolaire), la distribution des forces, et la position de chaque État au sein de ce système. Selon cette théorie, l’isolement de l’Amérique durant le 19e siècle peut être attribué à deux facteurs : 1. La stabilité de l’équilibre des forces en Europe multipolaire prive les pays européens de se doter de la force suffisante qui leur donne l’avantage par rapport à leurs rivaux pour menacer les Etats-Unis. 2. La position militaire relativement inférieure des États-Unis, et surtout navale, qui ne leurs permettaient pas d’envoyer leurs troupes à travers l’océan Atlantique. La situation est différente en 1917 dans la mesure où l’Europe vit un équilibre des forces précaire et que les Etats-Unis possèdent la deuxième force maritime dans le monde. C’est pourquoi l’intervention dans la première guerre mondiale était à la fois nécessaire et possible. De même pour la deuxième guerre mondiale, où la nouvelle donne géopolitique de l’après-guerre a rendu indispensable l’existence des troupes américaines sur le Vieux continent pour contrer l’influence soviétique. Le libéralisme, l’alternative principale de la théorie du réalisme pendant un demi-siècle ne voit aucun rôle de la religion dans la politique étrangère des États-Unis. Quel que soit le courant de la pensée libérale : libéralisme économique, néolibéralisme institutionnel ou libéralisme politique . Les théoriciens du libéralisme soutiennent que les acteurs et les structures internes d’un État influencent fortement son comportement à l’extérieur.
La théorie de la Paix démocratique, dont l’origine remonte à Kant , constitue le noyau de cette approche : les États démocratiques (ou libéraux) mènent en général une politique étrangère moins agressive que ceux non démocratiques. Ils sont moins pacifiques et même agressifs, mais seulement vis-à-vis de leurs voisins non démocratiques. Pourquoi les démocraties ne se font pas la guerre entre elles ? Cela peut être attribué aux structures et au processus du système politique démocratique qui inclut les élections, la séparation des pouvoirs et l’opinion publique. Les déterminants philosophiques et normatifs de chaque système jouent un rôle important. Les valeurs partagées, par exemple, la tolérance, le respect de la souveraineté des peuples, l’engagement pour des solutions non-violentes des conflits, accroissent la tendance à vivre en paix entre les nations libérales. Des spécialistes de la politique étrangère américaine s’y réfèrent pour décrire la grande stratégie des Etats-Unis. A l’instar de la stratégie de sécurité nationale, il y a également le libéralisme de sécurité nationale. Pour Tony Smith, l’auteur de cette analyse, l’Amérique cherche à promouvoir la démocratie libérale, l’ouverture des marchés et renforcer les institutions internationales. Si elle a choisi ce chemin, ce n’est pas uniquement parce qu’il est bien ou économiquement profitable, mais parce qu’il contribue, ou elle croit qu’il contribue, à la survie et à la sécurité de la nation.
Après ‘La fin de l’histoire’ de Francis Fukuyama, qui signifie le déclin du conflit idéologique entre le libéralisme et le socialisme, c’est également ‘le Choc des civilisations’ qui va marquer les analyses des Relations internationales de l’après-guerre froide. Depuis, les spécialistes accordent plus d’attention à l’acteur culturel, y compris la religion. Mon hypothèse est que la source fondamentale de conflit dans ce nouveau monde ne sera primairement pas idéologique ni économique (...) Elle sera culturelle. Les Etats-nations demeurent comme des acteurs principaux dans les affaires internationales, mais les conflits majeurs des politiques mondiales se produiront entre des nations et des groupes appartenant à différentes civilisations. Le choc des civilisations va dominer les politiques mondiales … a écrit Samuel Huntington dans Foreign Affairs en 1993. L’hypothèse de Huntington repose donc sur le concept de civilisation qui se définit comme l’entité culturelle la plus large et se caractérise particulièrement par la religion qui constitue, pour lui, un aspect culturel fondamental différenciant les civilisations les unes des autres.
Cet article a suscité des réactions en provenance de tous les continents. À tel point que Huntington, et pour démontrer l’exactitude de son raisonnement, a publié en 1996 : The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order . Dans cette nouvelle lecture des relations internationales, il postule que le 21e siècle verra le choc des civilisations car les frontières entre cultures, religions et races sont désormais des lignes de fractures. Il dénombre sept grandes civilisations dans le monde : la civilisation chinoise, japonaise, hindoue, musulmane, occidentale, l’Amérique latine, et enfin la civilisation africaine. Une analyse qui a suscité énormément de critiques, surtout dans le monde musulman, celle qui voit dans la division culturelle une source majeure de conflits, notamment entre les pays musulmans et les Etats-Unis. Il faut souligner que le politologue américain, et contrairement aux néoconservateurs, n’est pas favorable à l’utilisation de la force pour imposer la démocratie à l’étranger. Il appelle d’ailleurs à une solidarité politique entre les pays occidentaux et que ‘le bloc islamique’ se stabilise autour d’un pays dominant (la Turquie).
Depuis les événements du 11 septembre 2001, le sujet de la religion et la politique étrangère américaine est de plus en plus abordé dans les écrits des politologues aux Etats-Unis et ailleurs, mais il ne fait pas l’unanimité.
D’un côté, des politologues américains dont Mark Amstutz s’interrogent dans The Influence of Faith : Religious Groups and U.S.Foreign policy : la religion demeure considérable, mais est-ce qu’elle influence la politique étrangère ? Précisément, est-ce que les églises et les organisations religieuses non-gouvernementales affectent le comportement des États-Unis dans le monde ? Ma réponse est qu’elles jouent un rôle modeste ou indirect dans l’élaboration et l’application de la politique extérieure. (…) peut-être leur contribution se limite-t-elle à fournir des idées. Elles s’intéressent prioritairement à des questions morales dont la nature et le destin de l’être humain, l’égalité, la priorité de la liberté, la doctrine de guerre juste. Elles aident à clarifier et raffiner la conception de l’intérêt national et à façonner le discours moral concernant les questions de la politique étrangère.
Andrew Kohut considère que, excepté la politique américaine au Moyen-Orient, la religion joue un rôle minimal dans la façon par laquelle les américains pensent les affaires internationales. Le directeur du Pew Research Center for the People and the Press défend l’idée que les américains sont très religieux dans leurs convictions. Une majorité d’entre eux est convaincue qu’on ne peut pas être une bonne personne sans croire en Dieu. Mais cette religiosité ne détermine pas leur opinion vis-à-vis du monde ni leur vision de la politique étrangère. Ils n’hésitent pas à citer leur religion sur des questions concernant la politique domestique dont l’avortement, les droits des homosexuels, ou même les questions personnelles, mais jamais lorsque cela concerne l’envoi de troupes à l’étranger, l’invasion de l’Irak ou le génocide. Il affirme qu’il n’y a aucune corrélation entre les convictions religieuses, les pratiques des américains et leur attitude, sauf à l’égard de la situation palestino-israélienne, due à la position adoptée pas les chrétiens évangéliques.
D’un autre côté, d’autres pensent que l’influence de la religion est beaucoup plus omniprésente que ce que prétendent les auteurs cités plus haut ou les théories des relations internationales. Cela se fait de plusieurs manières dont les convictions ancrées dans la culture américaine, les moyens éducatifs suivis par les institutions religieuses qui visent à semer leurs valeurs au sein des citoyens américains, y compris les lobbyistes, pour faire entendre leur voix. En influençant les électeurs, par exemple, elles pourront influencer ceux qui dirigent l’Amérique, et indirectement la politique étrangère qu’ils doivent mener.
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