Retour sur le blasphème
Blasphèmes et caricatures de Mahomet. Caricatures et attentats.
Depuis les tragiques attentats en France, les débats sur le blasphème vont bon train et les séminaires colloques organisés, tentent de trouver des explications, en s'appuyant sur l'histoire, sur les enquêtes menées en milieu musulman. A grand renfort de théologiens, chercheurs, avocats, journalistes, associatifs, croyants et non-croyants ; en citant à la barre la laïcité, les religions, les sentiments religieux, le pouvoir de l'image, la criminalisation des offenses, la liberté d'expression. Par prudence des réunions ont été reportées après la tuerie du 13 novembre en France, et l'on essaie depuis de ne pas trop faire de publicité à ces débats.
Au Moyen- Orient le délit de blasphème existe avec l'islam religion d'état. Dans nos démocraties occidentales, la séparation du religieux et de l'état, le pouvoir de critique, nous mettent à l'abri. Mais le chemin fut long pour en arriver là. La grande Encyclopédie du 18ème siècle des Lumières considérait que le blasphème dans un pays peut être considéré comme piété dans un autre. Les premiers chrétiens pouvaient être vus comme blasphémateurs monothéistes face au polythéisme de l'Empire Romain. Mais rien ne concernait le blasphème dans le droit romain. Au 16ème siècle Sébastien Castellion considérait que "tuer un homme ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme", lorsque Michel Servet en 1553 brûlait sur le bûcher, poursuivi pour hérésie. Dans les guerres de religion le blasphème fut pourtant crime identitaire.
Du 12 ème siècle à 1789 80 textes royaux furent promulgués par le législateur, le Roi très chrétien considérant que l'offense au divin était une remise en cause de la majesté. Philippe le Bel utilise le blasphème dans le cas de critique de la politique royale. Avant lui, Saint Louis s'était fait rappeler à l'ordre par le pape Clément IV qui trouvait la rigueur du roi excessive, ce qui avait abouti à punir les contrevenants par une amende et une pénitence ! Dans la pratique les sanctions furent peu appliquées. Louis XIV publie 2 ordonnances en 1651 et 1666 pour les blasphèmes énormes pouvant entraîner la peine de mort pour troubles à l'ordre public et non injure à l'ordre divin. En 1670 le Traité de Spinoza montrait que la liberté de pensée était compatible avec la piété. En 1766 l'affaire du chevalier de la Barre, exécuté pour ne pas avoir salué une procession, est une affaire exceptionnelle montée en épingle pour atteindre Voltaire. Le chevalier de la Barre fut réhabilité par la Convention révolutionnaire. Montesquieu dans l'Esprit des Lois reconnait qu'on peut " honorer la divinité sans la venger". Pour Mirabeau la liberté d'expression est le droit le plus précieux. En 1791 le Code Pénal abandonne le délit de blasphème sur proposition de Lepeletier de Saint Fargeau. Le Code Pénal impérial de 1806 ne rétablit pas le délit. La loi royale de 1819 dans son article 8 pose une infraction d'outrage à la morale publique qui atteindra Flaubert, Baudelaire, Sue, Proudhon.
La loi républicaine de 1881 fait apparaitre une liberté encadrée avec la respect des croyances demandé par l' église, mais Cléménceau considère que " Dieu n'a pas besoin de l'Assemblée". Après 1881 une véritable prêtrophobie s'empare d'une partie du public. La loi de 1905 établit la laïcité, la liberté de conscience, la neutralité de l'état, la séparation église-état. Après 1914 l'anticléricalisme est dépassé. Ce qui va préoccuper la société jusque dans les années 80 ce ne sera pas le blasphème mais le racisme. L'affaire du film "la Religieuse" de Rivette en 1965 est une exception emblématique. A la veille des élections De Gaulle censure. Mais une mobilisation y compris à droite, s'inscrit en faux et De Gaulle autorise le film.
La loi Pleven de 1972 concerne essentiellement le racisme et on ajoute l'appartenance ethnique et religieuse. La Déclaration des Droits de l'Homme est la norme de la Constitution actuelle. Le juge intervient toujours pour la liberté d'expression. La République laïque respecte toutes les croyances. En 1994 le film "Larry Flint" de Milos Forman est annoncé par une affiche présentant une femme dont le maillot est orné d'un homme crucifié. Le juge n'interdit pas. En 2002 le film "Amen" de Costa-Gavras est annoncé par une affiche avec une croix gammée. Le juge ne censure pas et dans les 2 cas la hiérarchie catholique ne prend pas position. Une publicité sur "la Cène des femmes" voit un arrêt d'interdiction cassé par la Cour de cassation car il n'y a pas d'injure. De même en mai 2007 un Christ sur des préservatifs pour une campagne publicitaire ne pose pas de problème. Avant les élections de 2007 pour les caricatures de Mahomet c'est tout le personnel politique qui est à la barre pour défendre Charlie Hebdo qui les a publiées. La caricature est vue comme un genre français et on proclame que nul n'est obligé d'acheter et de lire un journal. La France connait plusieurs religions et il faut se tolérer les uns les autres. Michel Houellebecq peut dire, grâce à la loi française, "la religion la plus con c'est quand même l'islam" ; "quand on lit le Coran, on est effondré... effondré". La revue Esprit sait que "la liberté des bouffeurs de curés de Charlie-Hebdo doit être défendue", même lorsque le pape est représenté avec ses 3 enfants, le père, le fils et le saint-esprit qui se sodomisent !
Ainsi on mesure le chemin à parcourir par l'islam pour se retrouver sur cette ligne... en 2016. On se rappelle que Salman Rushdie en 1988 a publié les Versets Sataniques, livre considéré comme une insulte à Mahomet et infériorisant les musulmans. Et pourtant Voltaire et son "Mahomet et le fanatisme" est 100 fois plus fort. Un autodafé est pourtant organisé à Bradford et l'ayatollah Khomeiny lance une fatwa contre l'écrivain, fatwa qui court toujours car l'ayatollah est mort et il était le seul habilité à la supprimer. En 1993 la pièce de Voltaire jouée à Genève est bloquée par les musulmans de la ville. Tariq Ramadan considérant même, que des espaces intimes et sacrés ne doivent pas être violés et qu'il faut faire preuve de délicatesse.
2 études concrètes dans 2 pays différents, la Tunisie pays musulman qui a connu une révolution récente et le Danemark en pleine Union Européenne, illustrent l'étendue des problèmes créés par la notion de blasphème.
En Tunisie il n'y a pas de législation contre le blasphème. En 2011 à la suite d'une révolution pour la justice sociale et la dignité, la liberté de parole, le droit tunisien n'a pas changé en la matière, car en Tunisie il n'y a pas de régime théocratique. Cependant, en mars 2012, 2 individus ont été condamnés pour un pamphlet portant sur "les illusions de l'islam" et des caricatures sur Facebook. Ils ont été condamnés à 7 ans de prison et une amende, car leurs actions étaient reconnues de nature à nuire à l'ordre public et aux bonnes moeurs. La constitution du 28 janvier 2014 est un texte qui se veut progressiste avec l'instauration d'un état civil, de la liberté de croyance, de conscience, la neutralité imposée aux mosquées. Mais l'article 6 indique que l'état protège le sacré, les lieux de culte. L'état protège, contrôle, la moralité. Et les salafistes interviennent à l'université de la Manouba pour imposer la burka en cours. Des expositions de peinture sont saccagées. La liberté d'expression est limitée, le code pénal permettant l'arrestation des homosexuels et leur condamnation.
Au Danemark le 30 septembre 2005 un quotidien dit "de droite", Jyllands Posten" publie un dossier "les visages de Mahomet", alors que des imams salafistes étaient mis en cause dans le pays. Pour illustrer, il utilise 12 vignettes sur Mahomet. 4 de ces dessins sont de vraies caricatures ; seulement certains musulmans sont critiqués et non pas tous les musulmans ; tous les citoyens, dont les musulmans, devant pouvoir accepter les moqueries, la critique de la mysoginie du prophète. Et ce sont pourtant ces dessins qui vont être responsables d'un drame international impactant plus que la parole. 1milliard 300 millions de musulmans seront touchés de par le monde. On ne passe pas par le langage et pourtant l'affect est touché. Au Moyen-Orient, en Asie, des manifestations ont lieu même si les dessins, non montrés, n'ont pu être vus. On dénonce une campagne islamophobe y compris, étonnamment, dans les rangs de l'extrême gauche. Des émeutes violentes ont lieu au Pakistan. Puis il y a la reprise des caricatures par Charlie-Hebdo.
En 2015 alors que le gouvernement français connaissait l'immense danger couru par les journalistes de Charlie-Hebdo, par défaut de protection, c'est une rédaction entière qui est décimée par les frères Kouachi...
Au Danemark "le coran et le prophète Mahomet", livre pour enfants, ne trouvait déjà pas de dessinateurs- illustrateurs et on apprend qu'un universitaire de confession israélite qui psalmodiait volontairement avec un texte tiré du Coran, un de la Bible, un de la Torah s'est fait littéralement "casser la gueule" en tant que non musulman ! Aucun soutien ne lui viendra, y compris du monde universitaire. Lâcheté, résignation ?
Le 11 mars 2016 sur la chaine de télévision Sada Al Balad le ministre égyptien de la justice Ahmed Al Zind promet d'arrêter des suspects " fussent-ils le prophète, paix soit à son âme !". Le premier ministre Chérif Ismaïl le démet de ses fonctions le 13. Le nombre de procès pour blasphème, outrage à la religion, contre des journalistes, intellectuels, artistes, simples citoyens égyptiens a explosé...
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