Rythmes scolaires et religion
L’école publique fait débat depuis de nombreuses années entre « spécialistes » et « experts » de tout poil : selon la couleur politique des décideurs, on passe alternativement d’un pédagogisme éthéré et/ou relativiste à un enseignement conservateur et intimement lié aux doctrines favorables au libéralisme économique.
Il arrive même que, au nom d’objectifs pourtant opposés au départ, ces deux tendances réussissent à s’allier sur certains thèmes pour désorganiser encore plus cette institution vitale pour le devenir du pays.
Tout cela sous l’œil de plus en plus désespéré de nombreux parents et citoyens qui eux, constatent au quotidien la lente dégradation (et qui paraît inexorable) de cette institution initialement porteuse d’émancipation par l’instruction et vecteur de promotion sociale.
C’est dans ce contexte que le Ministère concerné a lancé à la fin du printemps 2010 une grande opération intitulée « Conférence nationale des rythmes scolaires » (pour rappel, la question des rythmes scolaires est posée depuis 1962…).
Le début de l’année 2011 a vu la production d’un rapport de synthèse censé alimenter le comité de pilotage dans sa réflexion pour la réalisation d’un rapport d’orientation à présenter pour mai 2011 : espérons seulement que tout ce nouveau travail n’ira pas simplement alimenter la pile d’études et de rapports qui doivent encombrer le bureau du ministre…
A la lecture de ce premier document, et sans rentrer dans le détail, une métaphore vient immédiatement à l’esprit : « la quadrature du cercle » ; en effet, il y est souvent rappelé que les besoins de l’enfant sont au centre du débat mais qu’il convient aussi de prendre en compte le contexte socio-économique et l’évolution sociale… En clair, que l’enfant et l’école doivent s’adapter et ce même si ces adaptations sont plus ou moins contradictoires avec la finalité première… Et si nous faisions l’inverse et que nous adaptions l’organisation de la société à l’être humain en priorisant la famille et la répartition des richesses ? Car c’est en combinant ces deux notions que nous pourrions résoudre nombre de problèmes se posant à l’école… Et pas qu’à l’école d’ailleurs, car c’est ce cheminement vers une société de fourmis qui pose souci alors que nos racines sont fondamentalement attachées au mode relationnel des mammifères…
Le propos de cet article n’est toutefois pas de commenter le rapport sur le fond mais d’attirer l’attention sur une bizarrerie de la procédure de consultation.
En effet, on y trouve les représentants des cultes es qualité en tant que catégorie particulière… C’est pour le moins étonnant quand on se réfère à l’article 2 de la loi de 1905 qui précise « La République ne reconnaît aucun culte,… »
S’il aurait pu être entendable que des représentants religieux puissent être invités dans la catégorie « représentants du monde associatif » au même titre que des responsables d’autres activités associatives, on voit bien là le résultat d’une volonté politique de dénaturation de l’idéal laïque (concept de laïcité positive si cher à la droite afin de la détruire et de laïcité « plurielle » ou « ouverte », source d’accommodements déraisonnables pour une partie de la gauche).
Les pages 51 à 54 du rapport présentent les points de vue des représentants religieux.
On y trouve quelques « perles » qui indiquent bien la « difficulté » de certains à accepter la laïcité telle que voulue par nos aînés et ce particulièrement de la part des catholiques et des musulmans qui n’ont manifestement pas abandonné l’espoir de régenter la vie du peuple comme dans les siècles passés pour les premiers ou dans leur vision globalisante de la place de la religion dans la cité pour les seconds.
Les catholiques avancent que « La liberté religieuse étant une liberté fondamentale (article 1 de la loi de 1905), l’éducation religieuse est un « droit » au sens plein, garanti et protégé par la République « (conférence des évêques)
Or, l’article 1 de la loi de 1905 dit en premier « la République assure la liberté de conscience » et dans un second temps « Elle garantit le libre exercice des cultes » : ce n’est pas la liberté religieuse qui est une liberté fondamentale mais la liberté de conscience… Et c’est parce qu’il y a cette liberté de conscience, qu’il peut y avoir garantie du libre exercice des cultes : nuance…
Quant à l’éducation religieuse, elle découle simplement du libre exercice des cultes et ne saurait être un droit garanti et protégé par la République : à l’inverse de l’appréciation indiquée page 52, elle n’est pas une « offre ouverte à tous » mais uniquement un choix personnel d’individus (le mercredi n’ayant d’ailleurs jamais été « reconnu » comme journée prévue pour l’exercice de l’éducation religieuse)
Les musulmans énoncent que « La loi de 1905 ne rend pas antagonistes Ecole et religion, elle n’enjoint pas d’ignorer l’existence des croyances religieuses (page 54) » : ni antagonisme, ni ignorance… La loi de 1905 ne reconnaît tout simplement pas les cultes, ce qui ne veut évidemment pas dire qu’elle s’en désintéresse vu le rôle que ces derniers peuvent jouer au niveau du désordre public.
Que ce soit sur la question du « temps pour l’éducation religieuse » (5.2.1) ou « du temps libre, mais pas de temps vide » (5.3.6), on retrouve cette notion inquiétante de réflexion globale (globalisante ?) sur la formation de l’identité spirituelle comme si on ne pouvait (devait ?) pas vivre sans…
L’école n’a pas à se préoccuper de la formation spirituelle des élèves mais à enseigner comment les religions influent sur la culture et le fonctionnement politique des civilisations par les disciplines suivantes : histoire, géographie, philosophie et instruction civique et citoyenne.
L’approche globalisante est également confirmée par la phase « optimiser le temps libéré mais ne pas laisser de place au temps vide » : comme pour les adultes, Dieu devrait sans doute être partout ?… (ou tout du moins les messages ou options - rédigés par des individus avides de pouvoir temporel il y a de nombreux siècles et repris à l’heure actuelle par d’autres individus tout autant avides de pouvoir temporel – devraient-ils régir la vie de tout le monde ?).
Notons toutefois que les musulmans ne sont pas les seuls à vouloir régenter la vie des enfants du lever au coucher, alors que bien sûr que si, les enfants ont fondamentalement besoin de temps vide (comme les adultes d’ailleurs). C’est peut-être ce qui manque cruellement aux enfants à l’heure actuelle pour devenir des adultes équilibrés et autonomes (tout cela sous le contrôle de parents responsables et émancipés, et c’est bien là que le bât blesse…)
Les représentants juifs, eux, se contentent essentiellement d’insister sur la concordance entre calendrier scolaire et fêtes juives : c’est vrai que notre société est organisée sur les rythmes des religions chrétiennes et c’est bien à ce genre de « détail » influant la vie quotidienne qu’on se rend compte que la chrétienté a profondément marqué les cultures européennes…
Il a en effet bien fallu organiser la société à un moment donné et à l’époque, c’était le moyen de faire avancer socialement les choses (jours fériés, congés hebdomadaire et annuels, etc.) tout en ne perturbant pas l’organisation personnelle de la grande majorité des citoyens.
Par contre, la vraie question qui mérite d’être posée est : faut-il ne rien changer ? Ou amender notre organisation maintenant qu’une société multiculturelle (au sens religieux) se profile à l’horizon ? La réponse démocratique et laïque qui vient à l’esprit est naturellement : oui, il faut changer.
Mais comment ? Et c’est à ce niveau que se repose le débat entre tenants de la laïcité sans aucun adjectif et adeptes de la laïcité amendée : soit on « reconnaît » toutes les croyances diverses et variées et dans ce cas, cela risque d’être l’anarchie la plus totale vu leur nombre impressionnant sur cette planète et donc la quantité phénoménale de jours fériés que cela impliquerait de mettre en place (à moins de faire acte de discrimination…), soit on ne tient absolument plus compte d’une quelconque référence religieuse (afin qu’il n’y ait plus aucun favoritisme et que nous nous acheminions paisiblement vers une société véritablement laïque dans laquelle les jours fériés n’ont pas de lien officiel avec les fêtes religieuses).
Quant au culte protestant, il semble être le seul à avoir réellement intégré le concept de laïcité tel qu’imaginé par nos aînés (ceci dit sans aucune flagornerie car il convient de se souvenir qu’historiquement, cette religion a également été capable de persécution et qu’à l’heure actuelle, certains groupes s’en revendiquant proposent, tout autant que les religions rétrogrades qui tiennent « le haut du pavé », des visions arriérées de la société).
Mais quand même, il convient d’apprécier à sa juste valeur la formule « QUITTE A BOUSCULER TRADITION ET HABITUDES (page 53 ») que les autres organisations cultuelles feraient bien de méditer…
Notons enfin que le mot « philosophie » n’est pas employé une seule fois alors que le mot « spiritualité » l’est régulièrement : c’est pourtant bien en étudiant les principes et les causes expliquant les fondements des valeurs humaines au niveau le plus général que la spiritualité religieuse peut éventuellement trouver sa place dans l’esprit de chacune et chacun.
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