De Lille à Toulouse, partout en France ou presque, les témoins diffusent un prospectus d’invitation à la cérémonie. Ce prospectus est le même pour toute la francophonie, un encart a été prévu au dos pour y rajouter l’adresse de la congrégation la plus proche.
Nous savons que toute organisation dont l’offre est un bien de nature intangible doit déployer des efforts de communication d’une grande efficacité pour assurer sa pérennité. Cette règle s’applique tout particulièrement aux Témoins de Jéhovah. Cette multinationale ne vend pas de voitures ni ne commercialise de baladeurs MP3, elle propose une offre on ne peut plus intangible ; l’amour de Dieu. En conséquence, les Témoins de Jéhovah déploient un arsenal de communication, de rhétorique et de prospect très affûté. J’invite tous les curieux à s’en rendre compte par eux-mêmes. Pour ma part, voici le compte-rendu de ma soirée.
Prise en charge à l’arrivée : susciter confiance et confort
En voiture, j’arrive sur le parking d’une salle communale louée pour l’occasion. Quatre jeunes hommes en costume-cravate font la circulation. En sortant de la voiture, c’est quatre paires de mains qui se tendent vers moi pour me dire bonsoir. Ce n’est que le début d’une longue série. Je suis pris en charge par l’un des jeunes hommes qui m’accompagne à l’intérieur : « C’est la première fois que vous venez ? Comment avez-vous appris l’organisation de cette réunion ? Ah, les prospectus, très bien… Et vous avez trouvé facilement ? … Ah, c’était indiqué « derrière Intermarché »… C’est vrai que c’est simple, Intermarché, c’est très connu, n’est-ce-pas ? Bon, voici la salle, c’est un peu grand ici mais ne vous en faites pas, vous allez vite faire connaissance avec tout le monde »…
Le jeune homme vient de pratiquer une technique d’approche très utilisée ; le small talk. Il s’agit de lancer de multiples pistes de conversation pour capter l’attention de l’interlocuteur et susciter chez lui un sentiment de confiance et de sympathie. Cette technique est particulièrement appropriée dans le cadre d’un accueil, où l’important est de mettre à l’aise en préparation de ce qui va suivre.
Arrivé dans le hall, trois hommes foncent sur moi tour à tour.
A chaque fois, c’est la même procédure d’approche : main tendue - sourire dévoué - poignée de main amicale, suivi de la question « c’est la première fois que vous venez ? ». Une question tout à fait rhétorique. Les Témoins se connaissent très bien entre eux et repèrent à la seconde qui, dans l’entourage, est un prospectable curieux. Nous savons que les premières impressions sur un groupe et sur un lieu figent durablement notre opinion. Les Témoins de Jéhovah en semblent conscients eux-aussi et multiplient les approches amicales. Les regards pétris d’humanité et d’amour se multiplient en ma direction, à mesure que je pénètre dans la salle de réunion et croise de nouveaux visages. Le message introductif est clair : je pénètre ici dans un lieu apaisé et aimant où le sentiment de communauté est profond. Amour, cohésion du groupe et paisibilité se ressentent jusque dans les sourires échangés.
Le jeune accompagnant me laisse dans la salle de réunion où des rangées de chaises convergent vers un autel. Avant de se retirer, il me demande si je désire qu’on me prête une bible afin que je puisse suivre le discours. Je réponds par l’affirmative, m’assoie et observe. Il y a ce soir une à deux centaines de personnes présentes, le public est bigarré. Je distingue majoritairement trois profils : de très vieux couples blancs, de larges familles noires et de nombreux jeunes hommes en costume.
Mise sous tutorat : assurance d’un accompagnement et d’une prospection pas à pas
L’individu m’ayant accompagné jusque là revient avec un jeune homme, tenant dans ses mains une bible : « Je n’ai pas trouvé de bible à te donner, mais je te présente Thomas, qui va s’asseoir à côté de toi. Tu pourras suivre sur la sienne ». La démarche semble judicieuse ; en me mettant sous la tutelle d’un parrain, les Témoins s’assurent que je ne me sente ni seul ni perdu au cours de la cérémonie. Mon tuteur a été choisi de parfaite façon, il est jeune et de même allure que moi, ce qui multiplie les facilités de connivence et d’empathie (le confortant effet du miroir socio-culturel).
Je commence une discussion paisible avec mon nouveau parrain. Au bout de quelques minutes, je lui demande s’il est habitué à faire du porte à porte, comme le font souvent les Témoins. En réponse, Thomas ouvre sa bible et me lit la fin du chapitre 28 de l’Evangile selon Mathieu : «
Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.
et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ».
Cette anecdote est importante pour comprendre la rhétorique des Témoins. Ceux-ci basent leur discours en prenant toujours fortement appui sur les « preuves » bibliques. Le texte était sacré, on s’assure par là l’irréfutabilité de ce qui vient d’être dit. Et la Bible contenant profusion de déclarations contradictoires entre elles, à peu près n’importe quelle thèse est défendable sur la base de cette méthode de citation.
La cérémonie commence alors. Elle se divisera en trois phases : l’introduction, le développement et l’ouverture finale.
Cérémonie - Introduction et développement
La cérémonie commence par une chanson. On connait les vertus de ce mode de communication. Outil privilégié des propagandes de tout poil, la chanson permet de synthétiser efficacement et positivement une idéologie et de la transmettre.
Une prière est ensuite prononcée pendant laquelle tous les Témoins baissent la tête et ferment les yeux. Cette prière est une bonne accroche ; il s’agit de rappeler le sacrifice de Jésus par des déclamations pleines de pathos. L’orateur parle d’un être extraordinaire sans le nommer et conclue : « cet être, vous l’aurez compris, c’est Jésus Christ ». La transition est faite vers un rappel de l’histoire de Jésus qui dévie ensuite sur l’explication du cœur de la croyance des Témoins de Jéhovah.
Ce passage nous intéresse particulièrement, car c’est ici que l’organisation « détaille son offre », « présente son produit ». Les Témoins pensent que nous sommes arrivés à la fin des temps et se préparent pour le Jugement Dernier. Selon eux, seul un petit troupeau de 144 000 personnes ira rejoindre Jésus au ciel, c’est-à-dire l’élite des Témoins. Les autres Témoins connaitront la vie éternelle sur terre. L’orateur déclare : « chaque membre du troupeau a cette espérance ». Voilà donc l’offre des Témoins : au pire, la vie éternelle, au mieux, l’ascension vers Jésus. En somme, les Témoins proposent l’idée d’immortalité, le fantasme ultime de toute l’humanité.
Ouverture finale - Déploiement rhétorique
La phase explicative étant terminée, les dernières minutes se doivent d’être plus impactantes ; une forte rhétorique se déploie alors.Pour déclencher le début de cette phase de ferveur, l’orateur cite un passage particulièrement éloquent de l’Ancien Testament, où Dieu tout puissant annonce au genre humain ses vues : « Avant qu’ils m’invoquent, je répondrai ; Avant qu’ils aient cessé de parler, j’exaucerai » (Esaïe, chapitre 65). L’orateur commente alors : « Voyez la bénédiction ! N’est elle pas formidable la volonté de votre créateur ? Voyez la formidable volonté de Jéhovah ! ». Passent ensuite dans le public les emblèmes du pain et du vin. L’orateur continue de stimuler le public en expliquant que tous les Témoins de Jéhovah pratiquent la même cérémonie en ce moment même, « ce qui fortifie notre unité ».
L’adhésion ne vient pas seule, elle est provoquée par la peur. L’orateur trouve dans le contexte contemporain les arguments pour appuyer sa prédiction de la fin des temps : « Ce monde est plein de haine et très violent ». Parler de la terreur contemporaine est une méthode solide. Que l’on parle de « monde violent et dangereux » aujourd’hui, ou qu’on l’ait fait il y a un ou trois siècles, tous les auditeurs sont à chaque époque persuadés de la parfaite adéquation entre l’existence d’une violence forte et leur histoire contemporaine, qu’ils jugent particulièrement troublée. Les exemples ne manquent jamais pour parler de son temps comme étant pire que les temps passés.
Après avoir disséminé l’idée de peur, l’orateur rebondit par une apostrophe : « la cérémonie se termine… Mais quelle assurance avez-vous ? ». « Très bientôt un petit troupeau de 144 000 privilégiés se détachera, très heureux d’avoir apporté aux hommes le bonheur tant recherché ». Face à l’idée de mal et du néant, les Témoins de Jéhovah proposent un cadre structurant, une mission salvatrice.
L’orateur enfonce ensuite le clou par l’évocation d’une anecdote fort connue, celle de la destruction de Pompéi par l’éruption du Vésuve. Cette histoire est fédératrice, car elle est tirée d’un patrimoine culturel commun. Cette anecdote évoque à chacun les images d’une grande terreur, d’une coulée de feu emportant les hommes. Alors que chaque individu s’imagine l’horreur, l’orateur conclue : « L’humanité se retrouve aujourd’hui dans la même configuration, au bord de la destruction : comment faire face ? Avec Dieu, par la sagesse qu’il nous a livré par la Bible ».
Le discours se conclue par des figures de pensée, ultimes formulations pour convaincre.
La parabole de la pomme et du pépin
« Imaginez qu’un ami très cher se présente à vous affamé… Vous avez dans la main une pomme. Allez vous lui donner un pépin pour qu’il plante son arbre ou la pomme toute entière, pour qu’il calme sa faim ? »
Dans le cas d’un discours, il n’y a jamais d’hésitation possible ni même de réflexion à entamer face à cette technique du faux choix. A moins d’un orateur particulièrement mauvais ou novateur, la seconde proposition prime toujours sur la première, elle l’écrase, même. C’est la fausseté du choix : on propose une première alternative cruelle ou absurde et une seconde pleine de bon sens en faisant mine d’interroger l’audience sur son choix. C’est une technique très utilisée par les politiciens pour décrédibiliser l’adversaire par la caricature.
« Bien évidemment, vous donnerez la pomme toute entière à l’ami que vous aimez vraiment. Il en est de même pour l’amour de Dieu. Éprouvez vous du sentiment pour Dieu, ou l’aimez vous véritablement ? »
La fausse contradiction
« Il faut nourrir Jéhovah d’amour… je dis cela et vous vous dites : « c’est pourtant Jéhovah qui nous nourrit ! » Oui, mais Jéhovah se nourrit lui aussi de nous en prenant plaisir à nous voir communier ».
L’orateur suscite ici l’intérêt de l’auditoire en énonçant une fausse contradiction, sur laquelle il s’appuie pour asseoir sa thèse ; la relation entre l’homme et Dieu serait une interrelation.
Conclusion et ouverture vers la prospection
L’orateur déclare enfin d’une voix affectée : « je vois dans la salle de nouveaux visages : cela rajouit notre cœur ». De la voix la plus douce, il reprend : « Nous sûrs que vous avez trouvé parmi nous le réconfort et que notre discussion saura vous éclairer sur votre chemin ». L’orateur, cette phase rassurante et chaleureuse accomplie, enchaine sur une proposition : « Vous pouvez prendre rendez-vous avec nous à l’accueil. Des Témoins passeront vous voir chez vous à l’heure et au jour de votre choix pour vous présenter la Bible ». Des produits de communication me sont alors donnés : un livret intitulé « Qu’enseigne réellement la bible » ainsi qu’un prospectus indiquant les horaires des réunions hebdomadaires des Témoins de Jéhovah.
La cérémonie se termine et une inconnue, mère de famille, se dirige vers moi : « Bonjour, je m’appelle Carole, et vous ?
Gerlando
Je suis contente de vous voir parmi nous, Gerlando, conclue-t-elle, le visage angélique.
Des interpellations souriantes comme celles-là, j’en ai reçu de toutes part dans la soirée. Aux plus critiques d’entre nous, ces sourires très sincères évoquent l’endoctrinement béat. Les plus dépressifs et carencés affectivement y verront quant à eux l’invitation salvatrice d’une famille d’accueil.
En résumé, les Témoins de Jéhovah ont démontré ce soir leur compétence en matière de communication et de prospection commerciale.
* Une leçon de communication événementielle : des flyers d’invitation à l’accueil et accompagnement, le visiteur est interpellé et pris en charge
* Une rhétorique affûtée : chaque semaine, les Témoins se réunissent pour prendre des leçons de communication et d’argumentation. Un apprentissage de la rhétorique qui leur sert d’arme efficace pour leur démarchage au porte à porte
*Produit et arguments de vente : les Témoins nous vendent clairement ce qu’il y a de plus intangible : l’amour de Dieu, l’espérance en une autre vie qui vient soulager la pensée insoutenable d’une existence de souffrance s’achevant par la mort et le néant. Les témoins vendent ce concept en prenant appui sur la chaleur de la communauté ; sa structure, son unité et sa cohésion.
Pour conclure, on pourrait définir les Témoins de Jéhovah comme des chrétiens extrémistes (voire les points les plus tranchés de leur dogme sur
Wikipedia) dotés d’une force commerciale et communicationelle d’importance.