A Noël, ventres farcis
Au sujet de la lutte contre l’obésité, d’une lutte très saisonnière...

A la maison, le rituel tranchait volontairement avec l’air du temps. Mes parents prenaient d’abord plaisir à ne pas imiter leurs contemporains, de préférence en le leur faisant savoir. Par exemple, à la sortie de la veillée de Noël, aussitôt chanté Il est né le divin enfant (ici avec Gérard Lenorman) et une fois serrées quelques mains dégantées, mon père lançait à la cantonade : « Je ne sais pas ce que vous faites, mais nous, nous allons boire notre tasse de chocolat chaud. » Mes congénères mangeaient du saumon, du foie gras, et mille autres délices accompagnées de vins capiteux. Moi je buvais mon lait dans lequel ma mère avait fait fondre préalablement du chocolat en morceaux, raffinement exceptionnel. La tasse datait du siècle précédent et la petite cuillère était aussi ancienne mais dépareillée.
Un croissant et une brioche accompagnaient cette boisson chaude, mais de repas point. L’envie d’ouvrir des cadeaux entreposés à côté des chaussures faisait que l’on expédiait vite les affaires courantes. Je ne me suis rebellé contre cette habitude pittoresque qu’assez tard, l’âge éclairant l’appétit de bonnes choses. Mes parents ont petit à petit collé aux personnages créés de toute pièce pour fêter Noël à leur goût. De réveillon du 31 décembre, débordement incompréhensible pour une page tournée de calendrier, il n’était pas question. A l’automne de la vie, il ne faut guère de force pour s’extraire de festivités obligatoires.
La presse prend garde en ce mois de décembre à ne pas gâcher la fête en gratinant la période de l’Avent d’articles sur la cuisine du chapon ou de la bûche glacée, de conseils sur les décorations à tonalités vertes conifères et rouges sang. Les articles ménagers servent à confectionner des cadeaux, ou se préparer pour la circonstance. Les publicitaires engloutissent leurs budgets pour attirer l’attention des lecteurs. Les journalistes ne doivent donc pas détourner leur lecteur de leurs achats compulsifs. Sur le sujet de la nourriture surabondante et des kilogrammes superflus, et au regard d’une année d’édition du Monde, le récapitulatif plaide néanmoins pour un léger rééquilibrage.
Le 1er mars, le supplément télévision du Monde donne le ton : « Enfants au régime ». L’équipe de journalistes rappelle que le 18 février les principaux patrons de chaîne de télévision se sont réunis autour de la précédente ministre de la culture et de l’actuelle ministre de la santé Roselyne Bachelot. Tous font part de leurs bonnes intentions. Les publicités incitent à manger des plats préparés, des produits congelés et des confiseries industrielles (Cocooning et engraissement). Mais les médias se nourrissent de recettes publicitaires agroalimentaires, un tiers pour les chaînes de télévision du groupe Lagardère Active (Canal J, Gulli). Dans ce sommet sur la nourriture enfantine, les personnalités citées souhaitent discuter du modus operandi. Une limitation des publicités alimentaires aux heures d’écoute enfantine semble devoir s’imposer au printemps. Les chaînes de télévision françaises devront diffuser à l’avenir des dizaines d’heures de programmes hygiénistes en contrepartie de publicités barrées d’avertissements sur les méfaits de la sédentarité. Chacune proposera ses propres émissions, dans l’esprit de l’engagement signé. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) continuera à acheter des espaces publicitaires à la télévision, mais à un prix cassé de 60 %.
Le 7 mai, Sandrine Blanchard compose une chronique sur le thème d’un médicament (Alli) détourné de son utilisation première, et mis en vente libre depuis le début du mois. « Régime, ou gare aux toilettes ! » Les clients peuvent se passer désormais de prescription médicale pour acheter ce laxatif. Grâce à Alli ils maigriront en allant aux toilettes. Par souci d’harmonisation européenne, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a donné son accord pour une vente sans ordonnance. La journaliste alerte cependant ses lecteurs sur les effets secondaires du laxatif. Elle part du principe que l’ignorance règne en maître, et insiste sur le fait que le laxatif rend inopérante toute contraception orale. Au fond Alli ne métamorphose personne. Et tout régime basé sur la privation temporaire de nourriture ne dure que le temps d’un été. Qui l’ignore ? « A 60 euros par mois le traitement, autant bien réfléchir. Pour réduire sa consommation de gras, il ne suffit pas de limiter le beurre, l’huile ou la crème fraîche. Car on ne soupçonne pas tout le gras caché dans les plats préparés, les viennoiseries industrielles, le tarama, etc. Les futurs utilisateurs d’Alli ont intérêt à bien lire les étiquettes des produits qu’ils consomment. ‘Je me souviens d’un comédien pour qui ce fut une catastrophe sur scène !’, nous a raconté un médecin nutritionniste. »
Pascale Santi se désole le 11 novembre 2009. « Les Français n’arrêtent pas de grossir ». « En douze ans, le pourcentage de personnes obèses est passé de 8,5 % à 14,5 % chez les adultes ». Son inquiétude tourne immédiatement au catastrophisme, puisqu’elle substitue au substantif obésité celui de maladie. Une enquête du laboratoire Roche sert de caution scientifique, qui évalue le nombre d’obèses à 6,5 millions de personnes en France. Elle ne dit rien des questions posées aux 25.286 personnes interrogées, mais nous recommande de rester à la fois inquiets et fidèles à notre génie national. Ces chiffres « ne sont toutefois pas comparables avec ceux rencontrés chez nos voisins britanniques (environ 27 % d’obèses) et américains (environ 30 % ) ». Cocorico. Le poids moyen des Français a augmenté de trois kilos en douze ans. Pascale Santi résume à grands traits les facteurs explicatifs, rappelant au passage le lien entre le niveau de revenu et le tour de taille : 6 % d’obèses dans la tranche ‘+ de 5.300 euros de revenus’ contre 22 % dans la tranche ‘- de 900 euros de revenus’ [Si t’es pauvre fais du sport].
Il reste qu’une population vieillissante se féminise. C’est le cas en France, l’espérance de vie des hommes restant en deçà de celle des femmes. Or l’obésité concerne davantage les secondes (15,1 %) que les premiers (13,9 %). Le vieillissement conduit mécaniquement à une augmentation du poids moyen. Il n’existe certes aucun médicament contre cette maladie-là. La journaliste donne enfin la parole à un médecin engagé par Roche « Il est impératif de changer l’environnement et de continuer les messages de prévention qui invitent à moins de sédentarité ou à un régime alimentaire plus équilibré, afin de baisser le surpoids des générations à venir, martèle Marie-Aline Charles. Ça ne s’arrêtera pas tout seul, il y a une inertie. Et notre système de soins n’est pas dimensionné pour prendre en charge les personnes obèses. »
Le 14 novembre, Paul Benkimoun recense les travaux de recherche sur les liens entre flore intestinale et obésité. Cinq jours plus tard, Pascale Santi revient quant à elle à la charge. Il n’y a plus de problèmes, mais seulement des solutions à entériner au plus vite. On redécouvre au passage le nom du laboratoire incriminé dans l’enquête évoquée plus haut. La journaliste rappelle le contenu des politiques publiques au cours des douze dernières années. Le docteur François Bourdillon, président de la Société française de santé publique (Sfsp) s’en réclame. « La France a alors été l’un des rares pays à lancer un programme de prévention autour de la nutrition. Il faut continuer cette initiative, ni de droite ni de gauche » Pascale Santi précise que l’Elysée a commandé pour le 15 décembre un rapport sur la prévention de l’obésité. La journaliste brûle toutefois de faire connaître les causes du sinistre, rapports et spécialistes à l’appui : la sédentarité et l’absence d’activité physique. Un décalage naît grâce à l’interview du représentant du Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (GROS). Celui-ci montre bien qu’il y a beaucoup à redouter d’un manichéisme alimentaire. Mais on replonge vite dans l’alarmisme. La rédactrice du futur rapport n’en démord pas. Les politiques publiques sont bonnes. On peut évidemment envisager de les assortir. « En attendant, des mesures simples peuvent aussi êtres mises en place. A commencer par des incitations financières ou fiscales pour favoriser les déplacements à pied ou à vélo. » [Le Monde]
La vision est donc unilatérale. L’obésité pose un problème de santé publique. La santé publique doit relever le défi. L’infantilisation, et les organismes para-publics ne changent pourtant rien à l’affaire. Dans la même période coïncident les actions gouvernementales et l’augmentation du nombre d’obèses. L’imbrication absolue (obésité = problème = santé publique) suscite l’interrogation, peut-être même le doute. Que dit-on du fait démographique, sociologique ou encore géographique, une fois bien établie la dimension médicale de l’obésité ? Lutter contre l’utilisation de la voiture dans une ville étalée est vain. Condamner les plats préparés trop gras ou les desserts trop sucrés, c’est oublier la réalité des couples. L’homme qui s’investit faiblement dans les taches ménagères rêve-t-il, en plus du reste, de voir servie à sa table la cuisine de sa maman ? Si les industriels salent en abondance, c’est pour rehausser le goût des plats. Ceux-ci cuisent à des températures élevées pour répondre à des critères d’hygiène.
La liste des causalités pourrait facilement s’allonger [Une poignée de noix fraîches], mais en ces temps de ventres farcis, de tables familiales, d’assiettes pleines, de plats en sauce et de crèmes pâtissières, la presse oublie la grande maladie de l’obésité. La rangera-t-on dans la catégorie des maladies saisonnières, comme la grippe ? Finalement, je n’oublierai pas mes vieilles tasses de chocolat chaud…
PS./ Geographedumonde sur les grandes causes de santé publique : On nous gave, on nous pollue, on nous tient éveillés, Ne pas confondre insomnies et inepties, Semence en déshérence, Je ne sais de quoi ‘Nos enfants nous accuseront’, Cocooning et engraissement, Si t’es pauvre fais du sport
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