Arts martiaux, Aiki Do : Le temps du plaisir. Entretien exclusif avec Henry Kono
Les traits crispés des Samouraï sur les estampes traditionnelles semblent inspirer aujourd’hui le comportement des pratiquants d’arts martiaux. Quelle tristesse ! Il n’en a pas toujours été ainsi. Il fut un temps où ce microcosme ne se prenait pas au sérieux et n’hésitait pas à se laisser aller à la rigolade et à l’auto-dérision. Ce qui est très bon pour la santé : souriez : vous pratiquiez ...
En écoutant avec délice Henry Kono, l’un des derniers élèves vivants de Morihei Ueshiba (le célèbre fondateur de l’Aiki Do), nous sommes stupéfaits et séduits par l’ambiance décontractée qui prévalait il y a 50 ans, dépeinte par ce Maître méconnu (à tort), d’une densité peu commune et d’une humilité exemplaire.
- Estampe de Kunichika Toyohara
Agoravox.fr et aikidosansfrontieres.com sont allés rencontrer Henry Kono à Toronto début juillet 2014. Lors de cet entretien permis par les contacts de l’organisation humanitaire Aikido Sans Frontières sur place, Céline Artal et Marc Moulis, nous avons entendu parler d’un Morihei Ueshiba aux antipodes de son image habituelle.
Loin de l’extatique et du rigide, Henry Kono évoque son Maître comme un homme fort soucieux du bien être de ses élèves, hommes et … femmes. Souriant et humain.
Canadien d’origine japonaise, Henry Kono arrive à Tokyo à l’âge de 36 ans pour rendre visite à ses parents dans l’Archipel. Par hasard, il a vent de la pratique de l’Aiki Do et est aussitôt séduit par celle-ci.
Tout naturellement, il s’inscrit au Hombu Dojo (NDLR : centre mondial de l’Aiki Do) et assiste dès ses premiers pas sur ce tatami à une intervention de Morihei Ueshiba . « Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau », se rappelle-t-il.
Henry Kono devient alors l’élève du Fondateur et le restera de 1964 jusqu’en 1968, soit un an avant la disparition de ce dernier.
« Il y avait quelque chose d’incroyable dans les techniques d’ O Sensei (NDLR : l’appellation traditionnelle de Morihei Ueshiba) », rapporte Henry Kono. « On ne sentait rien mais on se retrouvait au sol », poursuit-il en joignant le geste à la parole, retournant sa main sur la table.
« La souplesse était exigée en première demande, O Sensei ne s’intéressait qu’aux Uke (NDLR : ceux qui chutent, qui accueillent la technique), du coup on en prenait pour trois ans à nous conformer à suivre les techniques », dit Henry Kono.
BLAGUES ET RIGOLADES SUR LE TATAMI
- Henry Kono, au centre. Denis à gauche, Marc à droite
Ce sage expert ajoute que les grades (NDLR : ceintures noires 1er, 2e, 3e dan, etc ...) n'avaient, dès lors, que peu d’importance et surtout pas le caractère obsessionnel et principalement commercial qu’ils revêtent actuellement. O Sensei n'en était pas, on le sait, particulièrement friand...
Une belle surprise arrive ensuite. « L’ambiance était peu conventionnelle, détendue et relaxe », ajoute-t-il. « On se faisait des blagues sur le tatami, on rigolait tout le temps », révèle Henry Kono, laissant son auditoire ébahi.
De nos jours, le moindre écart - au Japon comme en France - est sanctionné par des regards noirs et des propos peu amènes tenus sentencieusement par des thuriféraires auto-proclamés et, loi du genre oblige, souvent parmi les moins talentueux. Il est si facile, et politiquement pratique, d’être plus royaliste que le roi …
« On fumait à l’entrée du tatami, voire même parfois dans le Dojo lui-même », se souvient Henry Kono. On brûlerait de nos jours de tels hérétiques pour moins que cela !
Après le cours, « on allait boire des coups au bar à côté du Hombu Dojo et il n’était pas rare que les Sensei (Maîtres) nous accompagnent », ajoute-t-il. On se prend alors à rêver ….
Peut-être encore plus éloigné encore des habitudes actuelles : « on travaillait beaucoup avec les femmes », encouragé par l’attitude de Morihei Ueshiba qui aimait « beaucoup travailler avec elles » lors des dernières années, relève Henry Kono.
D’où une ambiance pétrie de souplesse et de sérénité. « O Sensei exigeait qu’aucune blessure ne soit à déplorer ! De fait je n’en ai jamais vu pendant les quatre années passées près de lui », ajoute Monsieur Kono.
Henry Kono, assez âgé alors par rapport à ses camarades d’entrainement, aborde donc la Voie avec souplesse et non avec force comme ces derniers, plus enclins à se jeter par terre ou contre les murs au lieu de se préserver.
« De toute façon, Morihei Ueshiba n’expliquait rien de ce qu’il faisait », précise-t-il. Egalement, « O Sensei demandait à tous de se protéger et de faire attention à leurs corps », rappelle Henry Kono.
Il n'y avait donc, selon lui, aucune atmosphère de danger. Ce sur quoi devrait méditer plus d’un « enseignant » du 21e siècle.
Sur les albums photos d’Henry Kono, constitués de tirages papier concrétisant toute la matérialité et l’émotion de l’argentique, nous entamons un formidable voyage dans le temps.
Le vieux Maître déplore, sans toutefois s’attarder, l’absence de certains clichés. « Les gens vous empruntent des photos et ne vous les rendent pas », constate-t-il rapidement en puisant de la main dans un pot de quoi se rouler une cigarette.
Il n’empêche, les témoignages qui ont survécu au pillage sont édifiants. Le sourire vogue au fil des pages. Accroché non seulement aux visages des coreligionnaires d’Henry Kono : Alan Ruddock, Terry Dobson (véritable hagiographe du Fondateur) ou encore Virginia Mayhe, mais aussi sur celui de Morihei Ueshiba : O Sensei. Ce dernier est immortalisé buvant du thé, proche de ses élèves, peut-être plaisantant agréablement avec eux.
- O Sensei, Morihei Ueshiba, le Fondateur de l’Aïkido
On sent qu’il faisait bon vivre dans cette ambiance, on regrette de ne pas avoir été là. Même pas encore né.
A L’UNISSON : YIN ET YANG
L’énergie qui irradie de ces pages antiques porte sans doute plusieurs noms mais celui qui vient sans ambiguité est : le plaisir.
Le plaisir de pratiquer, d’apprendre, de partager des sensations, des vibrations éminemment agréables sans arrière-pensées, ni luttes pathétiques de pouvoir. Salutaire pour le corps et l’esprit.
On se sent à « l’unisson » devant tout cela. « Quand on pratique, de deux on devient Un », résume Henry Kono. L’homme s’empare d’une feuille de papier et d’un crayon et dessine deux centres qui s’unifient sous ses doigts. Le symbole du Yin et du Yang.
« Ce que personne n’a réellement compris, ou voulu comprendre, est que O Sensei garantissait l’équilibre : comme les deux parties du Yin et du Yang. Au contraire, nous essayons erronément d’engager des techniques puissantes pour contrôler le partenaire », analyse Henry Kono.
- Mifune Toshiro dans Rashomon de Kurosawa Akira
D’où l’attachement final du Fondateur à la pratique des femmes. « Il n’était pas rare de voir Morihei Ueshiba entrer dans le dojo et d’accuser : personne ne pratique l’Aiki Do ici sauf les femmes !!! », se rappelle l’élève direct du Fondateur.
Henry Kono se lève alors et sollicite le gigantesque Marc, qui le dépasse de quatre têtes au moins. Avec la douceur d’une plume d’ange, il exécute alors une technique de base sur le colosse. Celui-ci se plie d’abord avec une légère raideur, due à la surprise initiale, puis accepte tranquillement cette « non autorité".
« Il suffit juste de se mettre à la place de l’autre », sourit Henry Kono. Il sort tout seul de la cuisine dans laquelle il nous a reçu en toute simplicité. Il doit « récupérer son énergie » après l’illustration du travail, non seulement de toute une vie, mais d’une humanité entière.
Denis Thomas
Henry Kono enseigne
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