Autisme : comment cacher un éléphant
Selon les statistiques actuelles, l’autisme et les troubles apparentés touche une personne sur 150, avec des degrés d’atteinte divers. Aux Etats-Unis les chiffres les plus récents sont même de 1 sur 100. On peut comparer ce chiffre à la prévalence de la Trisomie 21 (1 naissance sur 800), du retard mental en général (environ 1%), ou de la schizophrénie (environ 0.5%). En France, les MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées) ont en charge la gestion des dossiers d’orientation pour les autistes : affectation d’une auxiliaire de vie scolaire, compensation des frais de prise en charge, orientation vers un établissement spécialisé. Logiquement, compte tenu de ces chiffres, les cas de troubles autistiques devraient représenter une part conséquente des dossiers traités. Curieusement, ce n’est pas forcément le cas…
L’histoire se passe quelque part en France, récemment – il y a moins de 6 mois. Ce jour là, la commission de la MDPH d’un certain département se réunit pour examiner les dossiers d’une petite centaine d’adultes et d’enfants déclarés handicapés, pour lesquels des décisions d’orientation ou de compensation doivent être prises. Etonnamment, aucun de ces dossiers ne fait mention d’un trouble autistique… Ce département jouirait-il d’une faveur particulière à cet égard, l’autisme en serait-il absent ? Mais alors, à quoi servent donc les associations de familles touchées par l’autisme de ce département ? Et pourquoi donc ont-elles des représentants à cette réunion ?
L’examen des dossiers commence, d’abord ceux des adultes. A un moment donné, deux dossiers de « psychoses infantiles » apparaissent. Ce diagnostic d’un autre âge et purement franco-français ne devrait plus être employé depuis 2005, date où la Fédération Française de Psychiatrie a émis des recommandations de diagnostic demandant l’utilisation de la classification internationale CIM-10, d’où la « psychose infantile » est absente. En effet ce pseudo-diagnostic correspond en fait à un trouble autistique, reconnu aujourd’hui d’ordre neuro-développemental et non psychique. De plus, un diagnostic de « psychose infantile », pour un adulte… n’est-ce pas un peu étrange ?
Du coup l’un des participants interpelle le médecin de la MDPH : « Mais ce diagnostic n’existe plus… Quel est le diagnostic selon la CIM-10 ? » Le médecin reconnaît le problème, se propose d'en rediscuter avec ses collègues et de demander aux psychiatres du département de préciser le code CIM-10 dans les certificats médicaux à la MDPH.
L’examen des dossiers se poursuit. Plusieurs autres dossiers font tiquer les participants : en effet, les personnes concernées ont des symptomes et des comportements qui évoquent furieusement la possibilité d’un trouble autistique. Mais le diagnostic est soit absent, soit différent – retard mental le plus souvent… Rien d’étonnant à cela. A plusieurs occasions, des enquêtes ont été conduites par les pouvoirs publics comme par certaines associations gestionnaires de structures. Les conclusions font état de diagnostics à requalifier en autisme dans des proportions de 15% à 70% selon les cas…
Voila bien le résultat de décennies d’isolationnisme de la psychiatrie française : des adultes mal diagnostiqués, orientés par défaut dans des structures dont le personnel ignore les difficultés réelles et leur origine, et ne sait comment les prendre en charge correctement. Ce qui génère à la fois un surhandicap pour ces personnes, et de la souffrance pour les équipes de professionnels, qui voient bien l’inutilité et l’inadéquation de leurs efforts pour les aider.
Comment redresser la barre à présent ? Les plans autisme se succèdent depuis 10 ans, et malgré l’évolution des connaissances sur le sujet, ces personnes restent là où elles sont et ne peuvent accéder à des structures nouvelles plus adaptées – juste parce que leur diagnostic n’a pas été fait dans les règles... Les structures existantes estiment pouvoir continuer à ne pas modifier leurs pratiques parce qu'elles estiment qu'elles ne sont pas concernées, même si la moitié des résidents sont des personnes autistes. Par ailleurs, comment les Agences Régionales de Santé pourront elles décider de la création de nouvelles structures pour les autistes – si l’on est incapable de savoir combien et où ils sont ?
Le Ministère de Santé effectue tous les 5 ans une enquête extrêmement détaillée (personne par personne) dans tous les établissements médico-sociaux . La dernière date de 2010. Il y a 9 items possibles pour le diagnostic dont "autisme et autres TED", et aussi "psychose infantile". L'étude a été refaite l'année suivante par une ARS, à la demande du Comité Technique Régional Autisme). Résultat, pour cette région, sur l'ensemble des "autisme ou psychose infantile" :
• 46% des enfants avec « autisme ou autres TED »
• 31% des adultes avec « autisme ou autres TED »
Les deux tiers avaient donc reçu un diagnostic obsolète de "psychose infantile"...
La réunion suit son cours et l’on passe à présent aux dossiers des enfants. Etrangement, là encore, aucune allusion à l’autisme, à aucun moment, dans aucun certificat médical ni aucune présentation par le médecin de la MDPH. A croire que c’est un gros mot. Les divers services de pédopsychiatrie du département vont défiler tour à tour : CMP, CAMSP, hôpitaux de jour. Il y a un cas de surdité, puis 3 cas de troubles « dys », un syndrome d'origine génétique. Tous les autres, ce jour-là, sont fortement évocateurs de troubles autistiques, par exemple un diagnostic de « retard dysharmonique », ou un « retard de développement psychomoteur, avec anomalie génétique » pour lequel le PECS, prise en charge typique de l’autisme, est utilisé…
De nouveau est posée la question qui fâche : « Et le diagnostic selon la CIM-10, quel est-il pour ce cas précis ? » On chuchote à l’oreille du médecin MDPH (« association autisme ! »). La levée de bouclier est immédiate : pas question de CIM-10, pas question de diagnostic, on ne fait référence qu’aux déficiences fonctionnelles, secret médical !!!
Bizarrement cette règle ne s'appliquera apparemment qu’aux cas d’autisme probable. Dans les autres situations, il n'y a aucun problème pour nommer la pathologie... Pourquoi donc ?
Un jeune (avec traitement médicamenteux) est orienté sur proposition du service de pédopsychiatrie vers un IME « Déficience intellectuelle » : il a un "trouble de la communication". La encore, l’un des participants met les pieds dans le plat : il se trouve qu’il a entendu parler de ce cas par une connaissance et qu’il s’agit probablement encore une fois d’un autiste. Il rappelle que l'autisme est un "trouble développemental d’origine génétique prépondérante". On ne l’écoutera pas.
On voit encore passer un cas de "trouble de la personnalité". Un cas typiquement évocateur d’autisme, avec troubles du sommeil caractéristiques associés. Il est mentionné que pour cet enfant, "une évaluation est en cours au Centre de Ressources". Oui, « centre de ressources » avec rien du tout après. L’autisme, c’est un gros mot, on vous le dit, il ne faut pas en parler ! Lacan aurait-il dit : "ce qu'on ne nomme pas n'existe pas" ?
En tout cas, pour ces divers cas d’enfants probablement autistes mal diagnostiqués, ou dont on veut peut-être taire le diagnostic, il y a multiplication des traitements par neuroleptiques. Ils sont de plus fréquemment orientés en établissement de type ITEP, alors même qu’une circulaire officielle énonce que ce type d'établissement n'est pas adapté pour un enfant autiste, ce n’est pas adapté pour lui et il pourrait "souffrir de la confrontation avec des jeunes accueillis en ITEP"…
De plus les neuroleptiques ne sont généralement pas recommandés pour les autistes. Ainsi lors d’un récent évènement organisé par le Centre Ressources Autisme dont dépend ce département, un éminent pédopsychiatre avait déclaré : « Le problème des recommandations pour l’autisme de la Haute Autorité de Santé, c’est que les parents se mettent à vouloir remettre en cause les prescriptions médicamenteuses, alors que le diagnostic officiel d'autisme cache des comorbidités… » L’un de ses collègues l’avait gentiment repris : justement, c’est une des bonnes raisons de soutenir ces recommandations de la HAS ! Comme quoi certains sont plus ouverts et progressistes que d’autres.
Voila donc en substance comment on arrive à cacher un éléphant. Il suffit d’éviter de dire qu’il est là, bien présent, et de lui donner un ou plusieurs noms différents. Un autiste ? Vous n’y pensez pas, voyons ! Cet homme nous fait une « psychose infantile vieillie » ! Cet enfant a un retard psychomoteur, un trouble de la relation, des angoisses de morcellement envahissantes ! Tant que ces pratiques perdureront, tant que des diagnostics obsolètes, imprécis ou fantaisistes continueront d’être énoncés au mépris des classifications internationalement reconnues et des bonnes pratiques recommandées par les plus hautes instances professionnelles, toute politique publique efficace en faveur des personnes avec autisme sera de fait impossible.
De cela, les associations de familles et les décideurs politiques sont déjà convaincus. Mais la pratique quotidienne montre bien qu’au sein du corps médical et dans les administrations comme la MDPH, les anciennes (et mauvaises) habitudes et pratiques perdurent et la résistance au changement est forte. Il est sans doute difficile d’admettre que depuis 20 ans, on dit et on fait des bêtises… Errare humanum est, perseverare diabolicum. Peut-être qu’une bonne psychothérapie pourrait aider les récalcitrants à franchir le pas de la modernité, et surtout, de l’intérêt des personnes avec autisme ?
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