Autopsie d’un printemps meurtrier : enquête sur ces graines germées qui avaient des germes... tueurs !
Quand les chiffres hurlent à la mort, avec plus de 50 décès en Europe, dont 48 en Allemagne, 4400 victimes dans 16 pays européens, aux Etats Unis et au Canada, les autorités sanitaires sont aux abois ! Identification du désastre : Escherichia Coli de type 0104 : H4. Une bactérie rare, réfractaire aux antibiotiques, et véritable micro-bombe pour le corps humain, engendrant Syndromes Hémolytiques et Urémiques (SHU) et diarrhées sanglantes.
Zoom sur l’un des plus graves imbroglios sanitaires et agricoles de ces dernières années, et sur les spasmes d’une enquête internationale lénifiante, malade de ses propres incohérences. Des concombres espagnols au fenugrec d’Egypte… des rumeurs à la vérité, que s’est-il vraiment passé ?
« Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger » !
Phrase implacable qu’assène Valère à Maître Jacques, à qui il demande si ce dernier « a invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? »... devant un avare Harpagon voulant faire graver ces mots en lettres d’or sur la cheminée de sa salle (Acte III scène I de « L’Avare » de Molière…et citation plus anciennement attribuée à Socrate). Derrière le rire visionnaire du XVIIe siècle, éclate la morbide réalité du XXIe siècle : On en meurt aussi... de manger ! 24 mai 2011, planète Europe : un danger alimentaire fulgurant apparaît et fait disparaître 35 personnes, dont la majorité en Allemagne, en 18 jours. 3 à 4 milliers d’individus seront également infectés, dans ce même laps de temps. Des consommateurs ont ingurgité, pendant des jours, un « A.D.N.I » ou Aliment Dangereux Non Identifié, qui sera à l’origine d’une énigme sanitaire aussi édifiante qu’effrayante, traversant les frontières à la même vitesse que des certitudes scientifiques non fondées.
Quand l’homo sapiens ne sait pas, il invente, faute de preuve, pour se rassurer.
L’histoire commence ainsi : Deux exploitations espagnoles productrices de concombres sont suspectées de ne pas avoir respecté des règles élémentaires d’hygiène et d’avoir laissé leur production de légumes en contact avec des matières fécales animales, contenant des bactéries, tel l’Escherichia Coli se trouvant comme un « coq en pâte » dans le tube digestif des ruminants.
Trop vite, le 26 mai 2011, les longs et verts membres de la famille des cucurbitacées deviendront « l’ennemi public n°1 »... à ne plus consommer !
Une enquête sanitaire mal engagée donnera pour preuve de la dite infection des concombres espagnols, des regroupements d’hypothèses de leur absorbation par des individus résidant en Allemagne, ou y ayant séjourné en vacances, puis hospitalisés… après les avoir mangés !
Ces concombres seront à la « une » de TOUS les journaux européens, montrant, de leur forme pentagonale, les fermes andalouses, qui seront finalement « innocentées » le 1er juin 2011, par expertise scientifique. Les analyses indiqueront que le germe dont les concombres se révélaient porteurs, n’était pas le même que celui retrouvé dans les intestins des patients gravement atteints. Une première fausse piste retentissante, et un non-lieu cuisant pour le légume cru, soit disant meurtrier. La disculpation sera, économiquement, bien trop tardive.
Un danger fulgurant face une enquête-labyrinthe.
Cette nouvelle tragédie humaine et médiatique aura eu le temps de faire naître psychoses et fausses rumeurs, plongeant, à tort, des filières agricoles entières de fruits et légumes européens dans un marasme économique indescriptible, auquel la Commission européenne répondra par une enveloppe de 150 millions d’euros d’aide aux producteurs de fruits et légumes de toute l’Europe.
Nous avons, d’un côté, une dangerosité avérée avec une bactérie, l’Escherichia Coli (E.Coli) entéro-hémorragique (Eceh), de type 0104 :H4, dont l’identification sera confirmée le 3 juin 2011, par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, basé à Stockholm. Il s’agit d’une souche très rare de l’Escherichia Coli, jamais détectée jusqu’ici sous un aspect épidémique. Cette souche ne serait apparue qu’une seule fois, en 2005, en Corée, sans jamais être endémique. La bactérie en question, productrice de shigatoxines (STEC), s’attaque aux petits vaisseaux et détériore les globules rouges, les plaquettes et les reins. A ces dégâts organiques foudroyants, les médecins répondront par des transfusions, la dialyse, voire un changement de plasma. Diarrhées, majoritairement sanglantes, troubles rénaux sévères voire mortels (Syndrome Hémolytique et Urémique ou SHU), jusqu’aux atteintes neurologiques, telles seront les conséquences de ce germe invasif et destructeur, au cours de ce printemps mortifié.
D’un autre côté, s’amoncèle un immense puzzle sanitaire, initialement mal reconstitué, confirmant, comme les dangers sanitaires précédents, les risques d’une libre circulation de marchandises entre pays européens...(et pas seulement). Le 5 juin 2011, des graines germées allemandes provenant d’une exploitation bio de Basse-Saxe, seront suspectées puis officiellement identifiées comme « porteuses » de la bactérie tueuse, le 11 juin 2011.
A raison… cette fois ?
Scénario d’une histoire… sans faim.
Loin d’être finie, l’affaire rebondit une nouvelle fois, et comme un entonnoir trop évasé au début et s’affinant très lentement, l’enquête se précise pour trouver, enfin, le « vrai » coupable, qui, contre toute attente vient… d’Egypte ! C’est, en effet, début juillet, que le verdict tombe : le fenugrec, exporté d’Egypte, est désigné comme étant LE responsable de cette spirale infernale et internationale. Rappelons que le fenugrec est une plante" multifonctions", qui, 1 500 ans avant notre ère, en Égypte pharaonique, concourait, grâce à ses principes aromatiques, à embaumer les morts et à purifier l'air des habitations et des lieux de culte. Dans l’Antiquité, le fenugrec s’utilisait aussi comme fourrage (d’où son nom « foin grec » (foenum-graecum) et s’emploie en Inde, toujours à cet usagel, mais également comme ingrédient culinaire (le méthi) grâce à ses graines et ses feuilles. Au Maroc, les graines de fenugrec servent à la préparation de la « Terda » ou « tagine de récupération »… Et dans l’agriculture biologique, ce dernier est... un engrais vert ! En dernier lieu, les vertus thérapeutiques du fenugrec sont considérables : il stimule l’appétit chez les personnes anorexiques, traite la gastrite et certains troubles digestifs et, en cataplasme, soulage les blessures, les ulcères de jambe, la goutte, les douleurs musculaires, les furoncles et l’eczéma.
Ainsi, ce petit trésor de légumineuse aux mille vertus… a « subitement » muté en passeport pour la mort !
En ce sens, l’Union Européenne va temporairement interdire l’importation d’Egypte de toutes les graines (dont celles de haricots) germées ou destinées à la germination, jusqu’au 31 octobre 2011. Les Etats membres devront garantir la destruction et le retrait de tous les lots de graines de fenugrec détenu par l’Egypte entre 2009 et 2011.
Voile opaque enfin levé sur la vérité ? On n’ose à peine y croire…
Et pourtant !
Selon les sources de Phyllis Entis, microbiologiste américaine pendant 35 ans dans le domaine de la sécurité alimentaire, et auteur de livres comme « Microbiologie des aliments - Le Laboratoire », l’histoire commence vraiment le 24 novembre 2009, avec un lot de graines de fenugrec, portant le « matricule » : Lot n° 48088, arrivé d’Egypte en Europe, par bateau en lieu et place d’Anvers (Belgique). « Encore emballé dans un conteneur scellé par la douane, ce lot fut envoyé par barge à Rotterdam (Pays Bas), où il aurait été dédouané », précise Phyllis Entis. Toujours scellé, ce conteneur pas tout à fait comme les autres, aurait été transporté par camion vers l’Allemagne. L’importateur allemand de graines de fenugrec fournira environ les 2/3 de l’expédition de 2009 à un distributeur allemand (société non identifiée dans le rapport de l’EFSA, Autorité européenne de sécurité des aliments), distributeur allemand, qui, à son tour, vendra 75 kg de graines au fameux producteur allemand de graines germées de Basse Saxe, impliqué dans l épidémie allemande à E .Coli.
Débarquant dans les jolies assiettes germaniques pour agrémenter les salades dont les consommateurs, là-bas, raffolent, ces graines de fenugrec vont s’avérer un poison violent, faisant, au passage, pour ce seul pays, 48 victimes. Ensuite, le fenugrec sera exporté de l’Allemagne vers l’Angleterre à hauteur de 400 kg du même lot de graines tueuses, à un fournisseur britannique de semences (identifié dans les rapports français comme Thompson & Morgan)… et de l’Angleterre vers la France.
La France, touchée en pleine fête !
C’est ainsi qu’une partie de la France a aussi germé de cet Escherichia Coli dévastateur, lors d’une kermesse dans un centre de loisirs à Bègles (Gironde), le 8 juin 2011.On y proposait des soupes froides avec… des graines germées en décoration. Certains ont mangé la décoration ! L'agence régionale de santé d'Aquitaine annonçait alors que 6 des 10 personnes malades avaient, en effet, consommé ces graines lors de la kermesse. La souche retrouvée dans ces graines sera la même que celle, à l’origine et le mois précédent, de la contamination en Allemagne. "Il y a des personnes qui sont sérieusement atteintes mais dont le pronostic vital n'est pas engagé" expliquait alors le maire de Bègles, Noël Mamère, sur Europe1. Trois femmes entre 40 à 65 ans, auront des complications rénales. Et c’est le fabricant britannique Thompson & Morgan qui fut mis directement en cause par Frédéric Lefebvre, secrétaire d'Etat à la consommation. D'après l'enquête de la DGCCRF, ces graines consommées à Bègles, produites par cette entreprise, avaient été commercialisées dans un magasin de l’enseigne Jardiland. La commercialisation de ces graines fut stoppée, avec demande expresse aux personnes qui en avaient acheté dans ce magasin et ceux de cette enseigne, de ne pas les ingurgiter.
Le 28 juin 2011, le président Sarkozy et le premier ministre François Fillon se retrouvaient dans la Sarthe, pour parler de sécurité alimentaire !
Cette incroyable affaire de graines germées, que L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), en collaboration avec les autres Autorités nationales sanitaires, traquera sans relâche, n’efface pas les autres cas d’Escherichia Coli, retrouvés, toujours cet été, dans des lots de steaks hachés congelés, mais sans rapport avec la souche d’E.Coli 0104:H4, présent dans le fenugrec.
Un printemps de tous les dangers et une énigme alimentaire loin d’être… élémentaire !
Florence SIGNORET
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