Coronavirus et masques : les fake news du journal « Le Parisien »
Les réseaux sociaux sont habituellement désignés comme les pourvoyeurs des fake news circulant sur internet. Ils n’en ont pourtant pas l’exclusivité. Dans le contexte de l’épidémie de coronavirus, voici deux exemples relatifs aux masques de protection tirés de la lecture du Parisien.
- Le Parisien (montage)
- Deux articles du quotidien « Le Parisien », consacrés au coronavirus, publiés les 3 et 5 mars 2020.
Le quotidien Le Parisien – dont nous apprécions habituellement le sérieux, la réactivité et la proximité – semble singulièrement manquer de lucidité lorsqu’il aborde le sujet des masques de protection face à l’épidémie de coronavirus.
Une photo trompeuse. En témoigne d’abord cette photo, publiée le 3 mars dernier (1). Prise à Paris, dans un wagon de métro, elle montre deux personnes, voyageant visiblement séparément, portant l’une, un masque anti-projection, l’autre, un masque de type FFP2 « canard ». Autour d’elles, deux voyageurs sans masque. L’authenticité de cette photo ne fait aucun doute. Le problème, c’est que la situation représentée ne reflète en rien la réalité. Elle accrédite l’idée qu’une grande partie des usagers du métro (la moitié, comme sur la photo ?) porte des masques respiratoires alors que, dans les faits, les utilisateurs sont rarissimes, surtout parmi les Français. « Dans le métro parisien, certaines personnes portent des masques de protection », indique la légende, trop brève et imprécise pour parvenir à rétablir la vérité.
Le 28 janvier, Le Parisien avait déjà publié une photo de porteurs de masque à Paris (2). Sur celle-ci, un couple accompagné d’un enfant, ressemblant à des touristes, tous équipés d’un masque chirurgical. La légende permettait, cette fois, une remise en contexte : « À Paris, peu de gens portent des masques pour se protéger du coronavirus, à part quelques touristes asiatiques. Les pharmacies sont pourtant pratiquement toutes en rupture de stock. »
Il est peu probable, désormais, et malgré le développement de l’épidémie, que des photos (réalistes) montrant de nombreux Parisiens équipés de masques apparaissent dans la presse. La raison en est simple : les masques ne sont plus en vente libre et peu de personnes disposent de stocks… De fait, dans un reportage vidéo publié le 4 mars (3), consacré aux précautions prises par les voyageurs du métro pour se protéger d’une infection, Le Parisien ne montre ni même ne parle de masque respiratoire. Il est seulement question de tousser dans son coude, d’éviter de toucher des surfaces potentiellement contaminées et d’utiliser du gel hydroalcoolique (sans, d’ailleurs, qu’il ne soit fait mention des ruptures de stock de ce produit en pharmacie), en droite ligne des recommandations gouvernementales.
Reste une question : pourquoi avoir publié la photo des deux voyageurs masqués, alors que la presse est majoritairement soucieuse de « rassurer » ses lecteurs ? Peut-être parce qu’elle n’était pas vue comme illustrant une précaution, mais une peur. L’article qui l’accompagnait était, en effet, consacré à des Français que l’épidémie n’inquiète pas, prompts à identifier paranoïa et psychose chez leur concitoyens.
Une vidéo mensongère. Dans une vidéo du 5 mars (4), Le Parisien propose, grâce à une interview de la présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, Carine Wolf-Thal, de « tout savoir sur les masques ». Le résultat est incomplet, confus, maladroit et mensonger. « Très honnêtement, affirme notre experte à l’intention du grand public, il faut marteler le message : les masques ne servent à rien quand on n'est pas malade, ne protègent pas. Ça ne sert à rien d’avoir ces masques. » Quelques instants plus tôt, elle a pourtant reconnu l’efficacité du masque respiratoire FFP2, mais pour en tirer une conclusion bien particulière : « Le masque FFP2 est hermétique (…) et lui, effectivement, protège la personne qui le porte mais, du coup, doit être réservé au personnel soignant qui est au plus proche des malades porteurs du coronavirus (…). » À la question « Pourquoi n’est-il pas accessible à tous ? », Carine Wolf-Thal va apporter une réponse étonnante : « Imaginez : vous portez un masque FFP2, donc le plus contraignant, pendant trois ou quatre heures quand vous êtes dehors. Puis, vous rentrez à la maison : il suffit que vous baissiez le masque trois secondes pour boire et manger, par exemple, et ça annule tout l’effort que vous avez fait pendant trois heures parce que vos enfants sont rentrés de l’école, ne se sont pas lavés les mains, etc., etc. » Autrement dit : les masques FFP2 ne sont pas efficaces quand vous ne les portez pas… Quelle magnifique démonstration !
On le comprend, l’objectif de cette vidéo n’est pas d’informer mais de convaincre les Français que la mise à disposition de masques ne leur aurait été d’aucun secours pour se préserver d’une infection par le coronavirus. Pourquoi ? Parce que les capacités d’approvisionnement du pays ne sont pas suffisantes pour répondre à une telle demande. Parce que les gouvernements qui se sont succédé depuis 15 ans (c’est-à-dire depuis l’alerte de l’épidémie de H5N1) n’ont constitué aucun stock de masques FFP2 (5). La pénurie de masques, tous types confondus, est telle que même les professionnels de santé libéraux ne peuvent être fournis. Face à cette situation, il ne reste plus qu’à tenter d’éviter la colère de la population, l’augmentation des vols, l’envolée des prix au marché noir…
Bien sûr, en bon soldat, Carine Wolf-Thal n’omet pas de rappeler les habituels conseils d’hygiène : « la seule mesure qui compte, c’est de se laver les mains, d’éternuer ou de tousser dans son coude, de se moucher avec des mouchoirs jetables, d’éviter de serrer les mains, d’éviter les embrassades. Ce sont les seules mesures qui vont éliminer ou ralentir la propagation du virus. » Mais de quel virus parle-t-on ? De celui de la gastro-entérite ? En parlant de « ralentir » la diffusion du coronavirus, Carine Wolf-Thal est cependant davantage dans le vrai que le gouvernement qui, sur son site (6), n’hésite pas à affirmer : « Comme pour l’épisode de grippe saisonnière, les ‘‘gestes barrières’’ sont efficaces. » La grippe ayant tué plus de 8 000 personnes lors de la saison 2018-2019 (7), on s’interroge sur le sens du mot « efficace »…
Notes :
(1) « ‘‘Je ne vais pas m’arrêter de vivre’’ : ils s’agacent de l’inquiétude autour du coronavirus », Adélaïde Tenaglia et Vincent Gautier, Le Parisien, 3 mars 2020. Photo : Delphine Goldsztejn (Le Parisien).
(2) « Coronavirus : ‘‘Chaque épidémie révèle les stéréotypes d’une époque’’ », Cyril Simon, Le Parisien, 28 janvier 2020. Photo (datée de la veille) : Olivier Corsan (Le Parisien).
(3) « Coronavirus : ‘‘Je ne touche plus la barre du métro’’ », Delphine Perez, Le Parisien, 4 mars 2020, 1’ 16’’.
(4) « Coronavirus : tout savoir sur les masques », Marie Haynes, Le Parisien, 5 mars 2020, 2’ 54’’.
(5) « Coronavirus : le masque, objet de toutes les convoitises », AFP / Relaxnews, Doctissimo, 4 mars 2020.
(6) Rubrique « Informations Coronavirus », paragraphe « Consignes sanitaires ».
(7) Il s’agit d’une estimation basée sur un modèle statistique développé par Santé publique France. Source : « Surveillance de la grippe en France, saison 2018-2019 », Équipes de surveillance de la grippe, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 21 octobre 2019.
L’épidémie 2019-2020 pourrait être plus clémente : depuis le 4 novembre 2019, 744 cas graves de grippe admis en réanimation en métropole ont été signalés. Parmi ces patients, on compte 72 décès (dont 10 enfants de moins de 15 ans). Source : « L'épidémie de grippe diminue, mais tue encore », AFP / Relaxnews, Doctissimo, 4 mars 2020.
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