Covid-19 : un an après, toujours le cauchemar ?
« Les voyageurs parlent d’une espèce d’hommes sauvages, qui soufflent au passant des aiguilles empoisonnées. C’est l’image de nos critiques. » (Diderot, 1758).
Il y a exactement un an, le 16 mars 2020, dans une allocution télévisée, le Président Emmanuel Macron a annoncé le confinement strict de tout le pays. À cette occasion, plutôt maladroitement, il a parlé d’une guerre à mener. La pandémie de covid-19 avait démarré probablement dès novembre 2019, voire avant, mais ce fut à ces minutes que la plupart des Français ont réellement compris la gravité de l’événement mondial. Sidération, peur (oui, peur !), responsabilité, solidarité. On est entré dans une période compliquée et totalement nouvelle. Une période d’incertitudes, de connaissances éparses, de déstabilisation généralisée mais aussi de remise en cause multiples.
Cela faisait déjà près de deux mois que beaucoup de citoyens se croyant éclairés par de nouveaux outils d’information s’étaient improvisés virologues, épidémiologistes, infectiologues, etc. mais le confinement a apporté une note supplémentaire dans l’information et la désinformation ambiante : beaucoup plus de monde avait du temps pour rechercher de l’information ou de la désinformation.
Au fil des semaines et des mois, au fil des montées et des descentes épidémiques, la contestation politique s’est exprimée sous une forme complètement improductive de critiques contre le gouvernement. Ces critiques peuvent être sincères mais elle se trompent d’objectif : l’ennemi, c’est le virus et maintenant, ses variants. L’ennemi, ce n’est pas le gouvernement qui, comme ceux des autres pays, doit faire face avec plus ou moins de pertinence et d’anticipation. Dans les sondages, si les critiques ne sont pas exclues dans la gestion par le Président de la République actuel, il est clairement dit qu’aucune autre personnalité politique n’est créditée du potentiel de faire mieux.
Je ne parle évidemment pas des "fake news" et des propos ouvertement complotistes qui, par la nouveauté de la maladie, ses faces inconnues, ses zones obscures et les connaissances qu’on a pu petit à petit acquérir au fil du temps, ont pu s’engouffrer dans la brèche de la crédulité. Pour dire quoi ? Que ce serait une manipulation ? Mondiale ? Dans chaque pays du monde ? Que les 2,7 millions de personnes décédées n’auraient que fait un mauvais rêve et qu’il faudrait qu’elles quittent leur tombeau pour retrouver le cours de leur vie d’avant-covid-19 ? Que les 121 millions de personnes dépistées positives, plus toutes les autres, non dépistées, surtout pendant la première vague, n’auraient jamais rien eu qu’une petite grippe ? même ceux qui, après deux ou trois mois d’hospitalisation, gardent des séquelles durables ?
On peut évidemment faire des comparaisons. En France, comme on est défaitiste, on se croit toujours les pires, et pourtant, parmi les pays "les plus comparables", la France n’a vraiment pas à rougir. Car finalement, quel est le principal critère à prendre en compte ? Les dégâts humains, le nombre de décès (on pourra aussi reporter sur la population totale mais est-ce si pertinent ?).
Sur ces deux funestes indicateurs, la France est loin d’être dans le bilan honteux : 90 762 décès à ce jour, le 15 mars 2021 (soit 0,139% de la population nationale), à comparer avec les 548 000 décès des États-Unis (0,165%), les 125 600 décès du Royaume-Uni (0,184%), les 102 500 décès de l’Italie (0,170%), les 72 500 décès de l’Espagne (0,155%)… Seule, l’Allemagne affiche un nombre nettement plus bas, avec quand même plus de 74 100 décès (0,088%), mais le pays a eu "de la chance" d’avoir été peu touché lors de la première vague et la deuxième vague a été très dure pour l’Allemagne avec des pics de 1 200 voire 1 400 décès chaque jour, et cela malgré un système de santé qui était sans arrêt vanté de ce côté-ci du Rhin.
En fait, c’est vraiment stupide de dire que les gouvernements ne savent pas anticiper parce que le virus suit une logique complètement floue et aléatoire (comme la météo), sans compter qu’on ne connaissait même pas son existence ni ses caractéristiques avant janvier 2020. Il faut au contraire saluer l’extraordinaire puissance des scientifiques du monde entier à avoir su, d’une part, séquencer très rapidement le coronavirus, d’autre part, évaluer les différents modes de contamination et de protection, enfin, concevoir et mettre sur le marché en moins d’un an des vaccins avec une efficacité exceptionnelle (97% pour le vaccin Pfizer-Biontech).
Tout ce qui est nouveau fait peur, et c’est très normal. Une telle pandémie fait peur, angoisse, on ne peut même pas dire qu’on pourrait prendre l’avion et se réfugier discrètement en Amérique latine. Il faudrait aller au Pôle Nord, ou sur Mars pour pouvoir quitter ce cauchemar que j’espère provisoire.
Du gouvernement français qui a géré cette crise sanitaire, on n’a fait que reproches sur reproches.
Par exemple, les masques chirurgicaux. Tout le monde pouvait comprendre la pénurie de masques dans un contexte où 7 milliards d’être humains en avaient besoin au même moment (toutes les quatre heures) et dont la production était essentiellement basée dans une région de Chine qui avait arrêté toutes ses usines pendant plusieurs semaines. Que les masques fussent réservés au personnel soignant, alors que des médecins sont morts du covid-19, ne paraît pas inopportun. Aujourd’hui, il n’y a plus de pénurie, les masques coûtent même bien moins cher qu’en mai 2020 et tout le monde les utilise sans que cela soit un problème, même les plus récalcitrants ont fini, au fil des mois, par les porter et même, les porter "bien", en recouvrant le nez.
Autre exemple, les tests PCR. Oui, évidemment, il y avait aussi pénurie des différents composants du test, et donc, cela ne paraissait pas anormal que les personnes faiblement touchés par le covid-19 ne fussent pas dépistées et seulement "soupçonnés de covid-19", comme c’est, du reste, le cas pour la plupart des maladies infectieuses. Aujourd’hui, après une phase effectivement de mise en route (le déploiement des laboratoires d’analyses, etc.), la France peut s’enorgueillir d’être parmi les pays qui dépistent le plus massivement, et cela gratuitement contrairement au Royaume-Uni. Ainsi, au 15 mars 2021, près de 58 millions de tests ont été réalisés depuis le début de l’épidémie, à comparer, par exemple, à l’Allemagne (le fameux modèle qu’on sort sans arrêt tout en la haïssant) qui n’en a réalisé que 46 millions (avec pourtant 30% de population en plus).
On pourrait aussi prendre l’exemple de la vaccination, seule sortie rapide possible de cette satanée crise, et la France n’a pas à rougir de ses 5,14 millions de personnes vaccinées, en particulier les plus fragiles. Ce n’est évidemment pas assez rapide et la suspension d’AstraZeneca ne fait pas l’affaire de cette stratégie de vaccination (j’y reviens plus loin), mais tout le monde comprend que, comme pour les masques, l’industrie pharmaceutique ne peut pas produire 14 milliards de doses (deux fois la population mondiale) en un simple claquement de doigts et ceux qui voudraient avoir des doses pour les leurs seuls sans se préoccuper des autres savent que c’est stupide. Car il faudra limiter les foyers d’infection partout dans le monde (l’expansion de l’épidémie en janvier-mars 2020 a montré que ces foyers s’exportent rapidement dans un monde globalisé).
Parmi les autres critiques, il y a les revendicatifs ou les "y avait qu’à faire" qui sont totalement improductifs. Par exemple, les lits de réanimation. Le problème n’est pas le manque de lits de réanimation puisqu’il y a possibilité d’atteindre les 10 000 en cas de nécessité. Le problème est de ne pas les remplir, ces lits. Aujourd’hui, une personne malade du covid-19 qui entre en réanimation sur quatre n’en sort pas vivante (le taux a pu être d’un sur trois voire d’un sur deux pendant la première vague, les médecins ont fait des progrès à ce titre). C’est cela, la réalité. Ce n’est pas multiplier les lits qui va réduire la mortalité. Il faut avant tout réduire le nombre d’entrées en freinant au maximum la circulation du virus (c’est proportionnel). On a bien vu que l’Allemagne, dotée de nombreux lits de réanimation, a eu une forte mortalité au pire de sa deuxième vague.
Tout est donc bon pour critiquer la gestion du gouvernement et les mêmes n’hésitaient pas à faire des critiques complètement incohérentes. Par exemple, critiquer la pénurie de masques d’un côté, et critiquer l’obligation du port du masque de l’autre côté. Critiquer l’absence de confinement d’un côté, et l’absence de liberté en cas de confinement de l’autre côté. Critiquer la pénurie de tests PCR d’un côté, et critiquer le dépistage massif de l’autre côté. Critiquer la précipitation de la vaccination (avec une technologie nouvelle) d’un côté, et critiquer les retards à la vaccination de l’autre côté, ou même, la pénurie des doses (ce qui, encore une fois, dans un contexte aussi tendu, ne peut que se comprendre à moins de croire au Père Noël). Ou même, critiquer le principe du vaccin (ou la peur qu’il engendre de se faire vacciner) d’un côté, et le retard à la vaccination de l’autre côté. La critique systématique est souvent définie dans l’incohérence la plus complète.
C’est un peu normal car les pouvoirs publics, qui font face à une crise inédite et durable, doivent s’occuper de mille paramètres et sont toujours sur la ligne de crête, donc, peuvent être critiqués des deux côtés, en faire trop ou pas assez.
La palme de l’incohérence dans les critiques serait peut-être à décerner au journaliste Guillaume Roquette (dont je n’ai rien de mal à dire par ailleurs) qui, le soir du 14 mars 2021, sur LCI, a formulé deux critiques totalement contradictoires en moins de cinq minutes (il s’est fait vite remettre en face de ses contradictions par l’ancien ministre socialiste Jean-Marie Le Guen, par ailleurs médecin) : d’un côté, il soutenait que même s’il n’y avait pas de raisons scientifiques, il fallait suspendre la vaccination avec AstraZeneca au nom du sacro-saint principe de précaution (sur ce point, le gouvernement lui a donné raison le lendemain), de l’autre côté, il critiquait le retard à la vaccination et prenait comme exemple la vaccination massive du Royaume-Uni qui, justement, avait refusé le principe de précaution en prenant de très nombreux risques pour sa population. On ne peut pas faire les deux critiques à la fois.
À côté de cela, de ces critiqueurs dont l’objet est de critiquer pour critiquer, mais bon, on est en démocratie, tout le monde a le droit de critiquer et j’ai moi-même mon lot de critiques à formuler, après tout, si tous les Français peuvent être entraîneurs de l’équipe de France de football, tous peuvent aussi gérer la crise sanitaire engendrée par cette pandémie !… à côté de ces critiques, il y a des gourous qui, parfois diplômés voire reconnus dans leur métier scientifique, bénéficiant au maximum du "système", ont dit franchement n’importe quoi, au début sans doute par erreur sincère, mais par la suite, par un ego démesuré qui refuse le principe même d’une erreur personnelle. Ceux-là, au bout de quatorze mois, on ne les entend plus, on ne les écoute plus car ils sont complètement hors-jeu dans la crédibilité qu’on peut attendre dans leurs professions.
Il y a aussi des incompréhensions, comme cette forte réticence du personnel soignant à se faire vacciner. Là aussi, la situation est grave : le covid-19 est devenue la première maladie nosocomiale. 45 000 contaminations ont eu lieu à l’hôpital, des centaines de personnes hospitalisées pour d’autres pathologies ont été contaminées et sont mortes du covid-19. Il paraît peu réaliste de rendre obligatoire la vaccination du personnel soignant : les chefs de service ne vont pas faire venir la police pour réprimer le refus de vaccination, mais l’esprit de responsabilité doit cependant l’emporter sur des appréhensions certes légitimes mais incompatibles avec la vocation des soignants qui est de protéger au maximum leurs patients.
La situation de ce lundi 15 mars 2021 n’est malheureusement pas très encourageante pour le gouvernement et surtout, pour les Français. Le taux d’incidence de la région Île-de-France, 404 nouveaux cas par 100 000 habitants, est en train d’exploser, et, mécaniquement, le nombre de lits en réanimation, avec 1 166, a franchi en Île-de-France les 1 138 du pic de la deuxième vague en novembre (dans toute la France, 4 219 lits en réanimation sont occupés par des malades de covid-19, à ce rythme, on atteindre les 5 000 lits bien avant la fin du mois).
Faut-il être surpris ? Malheureusement non. Certains scientifiques sont plus crédibles que d’autres au bout de quatorze mois. Par exemple, la professeure Karine Lacombe avait déclaré sur BFM-TV le 20 janvier 2021 : « L’épidémie progresse (…). On s’attend à un mois de mars très dur. ». Pourquoi a-t-elle eu raison ? Parce que le variant anglais a mis trois mois avant d’exploser au Royaume-Uni. En France, cela correspond hélas au mois de mars. L’explosion est probablement de plus faible ampleur qu’en Angleterre car nous avons maintenu des mesures très restrictives (le couvre-feu à 18 heures) mais insuffisantes pour réduire le haut niveau de circulation du virus. De plus, le contexte épidémique européen est de nouveau mauvais après une éclaircie en février 2021 : l’Italie reconfine pour la majeure partie de son territoire à partir du 15 mars jusqu’au 6 avril prochain au moins (lendemain du week-end de Pâques). La plupart des grands pays sont encore en confinement depuis le nouvel an (Royaume-Uni, Allemagne) avec une grande efficacité sur la circulation du virus.
Autre inquiétude, le rajeunissement des patients admis en réanimation. Un des chefs de service en réanimation à Paris a expliqué le 13 mars 2021 que dans son service, 45% des patients avaient moins de 65 ans, mais ce taux n'est pas forcément représentatif. Au niveau national, les statistiques sont impressionnantes. On n’est (hélas) pas encore au pic d’occupation des lits en réanimation, et déjà, il y a maintenant 693 patients entre 50 et 59 ans à comparer aux 666 du pic de novembre 2020, 292 patients entre 40 et 49 ans (238 au pic de novembre), 104 patients entre 30 et 39 ans (95 au pic de novembre) et 36 patients entre 20 et 29 ans (30 au pic de novembre). Parallèlement, il y a beaucoup moins de patients très âgés (80 à 89 ans par exemple).
La cause de ce rajeunissement n’est pas encore établie clairement mais on peut citer trois causes possibles qui peuvent se cumuler : d’une part, l’efficacité de la vaccination d’une population âgée (il y a 65% d’efficacité dès la troisième semaine après l’injection de la première dose) ; d’autre part, les personnes âgées, parce que vulnérables, font très attention aux gestes barrières, voire s’autoconfinent, etc. ; enfin, la possibilité la pire, le variant anglais s’attaque aussi aux plus jeunes. Certains chefs de service ont déjà constaté une virulence plus forte du virus dans les formes sévères. Ainsi, parmi les patients admis en réanimation, 50% sont désormais sous intubation alors qu’en novembre, ils n’étaient qu’un tiers.
Ce rajeunissement a une conséquence : l’augmentation du nombre de lits occupés. En effet, la moyenne de séjour en réanimation pour des patients "jeunes" (moins de 50 ans) est de six semaines au lieu de quatre semaines (et ceux qui meurent meurent plus vite quand ils sont plus âgés).
Y aura-t-il reconfinement strict en Île-de-France pour réduire la tension hospitalière ? La plupart des médecins hospitaliers le demandent depuis le mois de janvier 2021, et disent même aujourd’hui que c’est "trop tard" dans la mesure où les nouvelles mesures ne feront d’effet que dans deux ou trois semaines.
Tout est une course de vitesse et la politique de non-confinement ne se comprendrait qu’avec une politique de vaccination massive, vaccination "matin midi et soir", comme l’a asséné Nicolas Sarkozy le 3 mars 2021 sur TF1. Mais il manque des doses et la suspension du vaccin AstraZeneca dont des millions de doses allaient être livrées ne facilite pas l’accélération de la vaccination (du reste, le Royaume-Uni a fait une vaccination massive tout en confinant très strictement).
L’effet rapide (et surprenant) de la vaccination des personnes vulnérables tant sur le nombre de lits de réanimation occupés que sur le nombre de décès doit cependant apporter un certain optimisme : malgré les variants, malgré les difficultés, on viendra à bout de cette épidémie parce qu’on a su développer des outils de prévention particulièrement efficaces. Pourvu qu’on les utilise massivement…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 mars 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Covid-19 : un an après, toujours le cauchemar ?
Covid-19 : le mot interdit.
Les jeunes, génération sacrifiée ?
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