Dent de sagesse : halte au massacre
Il en va de la dent de sagesse comme de certaines espèces menacées qu’on décime jusqu’à réaliser, un peu tard, qu’elles avaient une utilité. Que n’a-t-on pas dit ou écrit sur la dent de sagesse : elle ne sert à rien, c’est un reliquat des temps préhistoriques, sorte d’appendice appelé à disparaître de nos mâchoires étroites et graciles de civilisés aux besoins de mastication réduits. Pire encore, la dent de sagesse est accusée de bousculer les autres dents au moment où elle fait son éruption, réduisant ainsi à néant des années d’orthodontie. Placée tout au fond de la bouche, elle est difficile à brosser, elle se carie facilement et donne des abcès. Bref, que faire de mieux avec pareille source d’ennui, sinon l’extraire ?
Halte aux idées reçues
Pour tordre définitivement le cou aux idées reçues, disons d’emblée qu’aucun des arguments invoqués pour justifier les extractions systématiques n’est fondé. La dent de sagesse est une dent comme une autre et ne tend pas à disparaître aujourd’hui plus qu’hier. La formule dentaire humaine (ou nombre de dents) comportant trois molaires, dont la dent de sagesse, est stable depuis 35 millions d’années et les changements alimentaires sont trop récents, trois ou quatre cents ans, pour générer une adaptation génétique susceptible de la modifier. Les phénomènes d’agénésie (ou non formation) de la dent de sagesse, souvent invoqués pour étayer cette théorie, ne sont pas plus fréquents aujourd’hui que par le passé. Ils sont simplement mieux dépistés grâce aux progrès de la radiologie. Quant à bousculer les autres dents, reproche récurrent invoqué pour justifier les extractions dites préventives, de nombreuses études ont démontré que la dent de sagesse n’est pour rien dans les phénomènes de récidive de traitements d’orthodontie (dont une des causes principales est l’âge trop tardif des traitements*). Les encombrements qui apparaissent avec l’âge n’ont rien à voir avec une quelconque poussée de la dent de sagesse, mais sont attribuables à un affaissement transversal qui se produit naturellement avec le temps et réduit l’espace disponible pour les incisives. La présence ou l’absence des dents de sagesse n’y change absolument rien, cet affaissement se produit avec l’âge, un peu comme la peau du visage s’affaisse, laissant apparaître des rides. Enfin, rappelons qu’en dépit de présages pessimistes, de nombreuses dents de sagesse parviennent à se mettre en place correctement sur nos arcades de civilisés. Une étude présentée dans un rapport de la Haute Autorité de Santé (ex-ANAES) en 1997 a montré que les dents de sagesse sont correctement en place dans 44 % des cas à l’âge de 20 ans.
Précieuse dent de sagesse
Réputée superflue, la dent de sagesse est pourtant bien utile dans de nombreuses circonstances.
D’abord, il est utile de souligner que le capital dentaire se réduit de manière drastique avec l’âge. D’après les statistiques de la CNAM (mars 2003), la quarantaine venue, moins du tiers de la population a gardé toutes ses dents et 10 % souffrent du manque de plus de neuf dents. Vers 40 ans, il manque en moyenne quatre dents. Aux États-Unis, d’après les chiffres donnés par les Centers for Disease Control and Prevention, 7 % des Américains ont déjà perdu une dent permanente à l’âge de 17 ans et, à partir de 50 ans, le nombre moyen de dents perdues s’élève à douze. Dans ces conditions on comprend que garder des dents de sagesse en réserve s’avère particulièrement utile. D’abord parce que cette dent située tout au fond de la bouche peut servir de support pour un bridge ou d’ancrage pour une prothèse amovible qu’on sera bien content de pouvoir stabiliser ainsi. Ensuite parce qu’une dent de sagesse est un implant gratuit. Elle peut en effet être auto-transplantée en lieu et place d’une première molaire, dent la plus fréquemment perdue pour cause de carie précoce. Enfin, une dent de sagesse, même incluse dans les mâchoires, représente un précieux réservoir de cellules souches. La thérapie cellulaire, aujourd’hui en pleine évolution, permettra dans un avenir proche de régénérer des organes comme le foie ou traiter des maladies aujourd’hui incurables grâce aux cellules souches contenues dans les germes des dents de sagesse incluses.
Arrêter le massacre
Si la dent de sagesse tend à disparaître des mâchoires de nos contemporains, ce n’est pas en raison des caprices de l’évolution, mais parce que cette dent est systématiquement extraite, souvent même au stade de germe par des germectomies dites préventives. Il est temps aujourd’hui de faire preuve d’un peu plus de discernement et de mettre un frein à l’extraction des dents de sagesse. Est-on allé trop loin dans l’extraction systématique des dents de sagesse ? Oui, certainement, et aujourd’hui des voix s’élèvent pour dénoncer le caractère excessif des extractions systématiques. "La dent de sagesse est aussi importante que les autres dents. Son extraction ne doit pas devenir systématique et répond à des situations cliniques précises", affirmait l’un des intervenants au congrès 2006 de l’Association dentaire française. Souhaitons que patients et professionnels en prennent conscience avant que cette dent, aussi importante que les autres, ne soit définitivement éradiquée de nos bouches et ses possibilités de réparation et de régénération avec elle.
* Les causes réelles des récidives de traitement sont détaillées dans le livre Orthodontie, halte au massacre.
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON