Didier Raoult interdit d’exercer !
« Clap de fin pour Didier Raoult ou sanction purement symbolique qui ne changera rien ? La communauté médicale et scientifique est soulagée mais aussi partagée après les deux années d’interdiction d’exercice de la médecine infligées au chantre de l’hydroxychloroquine. » (article de Nicolas Berrod, le 3 octobre 2024 dans "Le Parisien").
«
À la retraite depuis quelque temps (il a 72 ans, a dû quitter la direction de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection le 1er septembre 2022 qu'il dirigeait depuis sa fondation le 30 novembre 2011 et a pris sa retraite de professeur des universités et praticien hospitalier le 1er septembre 2021), le professeur Didier Raoult, célèbre microbiologiste très médiatique, s'est vu condamner à une peine de deux ans d'interdiction d'exercer la médecine à partir du 1er février 2025 par la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins. C'est du moins ce qu'a indiqué le journal "Le Parisien" le jeudi 3 octobre 2024.
De quoi s'agit-il ? Entre autres reproches faits à Didier Raoult, le fait de promouvoir l'hydroxychloroquine comme traitement contre le covid-19. Dès février 2020, Didier Raoult a semé le doute et la confusion avec ses déclarations intempestives : « C’est efficace sur les coronavirus avec 500 milligrammes de chloroquine par jour, pendant 10 jours. C'est probablement l'infection respiratoire la plus facile à traiter. (…) Donc ce n’est pas la peine de s’exciter pour mettre les vaccins dans dix ans. Il faut travailler, voir les molécules potentiellement actives et qui sont immédiatement disponibles sur le marché. La seule chose que je vous dis : faites attention, il n’y aura bientôt plus de chloroquine dans les pharmacies. ». La plus facile à traiter ? Un peu léger, le professeur. Rappelons que plus de 15 millions de personnes sont mortes dans le monde de cette pandémie.
L'hydroxychloroquine n'a jamais été efficace contre le covid-19, et les vaccins n'ont pas mis dix ans mais moins d'un an pour arriver sur le marché. Didier Raoult a joui de nombreux soutiens, d'abord des gens du Sud face aux gens de Paris, dans une sorte de démagogie anti-etablishment à laquelle se sont prêtaient des personnalités comme Christian Estrosi, Renaud Muselier, etc. Mais les réticences contre la vaccination l'ont mis dans le camp des antivax (qu'il n'est pas), très apprécié par tous les complotistes de tout poils, ce qui lui assurait aussi de fortes audiences dans ses vidéos publiées personnellement, en profitant de l'occasion pour remettre en cause la réalité du réchauffement climatique, et donc de son origine anthropique.
Didier Raoult a été logiquement défendu par tous les extrémismes de la classe politique pour la même raison, par Jean-Luc Mélenchon le 27 mars 2020, et par Jordan Bardella, alors seulement vice-président du RN, qui disait le 28 mai 2024 sur France Inter : « Didier Raoult est à la médecine ce que nous sommes à la politique. ». C'est-à-dire des repris de justice ?
Si Didier Raoult est incontestablement un grand scientifique, il est fortement contesté pour ses méthodes de management de la recherche, son intégrité (il a été interdit de publier temporairement dans certaines grandes revues scientifiques), sa forte médiatisation alors qu'un médecin doit d'abord soigner, etc.
Lorsqu'il a été condamné à un simple blâme le 3 décembre 2021 en première instance par la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins de Nouvelle-Aquitaine pour avoir enfreint plusieurs articles du code de déontologie de la profession, le encore directeur de l'IHU a fanfaronné en disant : « C'est une décision qui ménage l'honneur de tous. Je peux continuer à faire mon métier et le Conseil de l'Ordre de se désavoue pas. ». L'Ordre des médecins a alors fait appel, parce qu'il considérait la sanction beaucoup trop légère. Un nouveau procès a eu lieu en juin 2024.
La chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins a donc été beaucoup plus sévère en appel que le jugement en première instance. Concrètement, cela ne changera plus grand-chose car l'infectiologue était déjà à la retraite, mais cela lui a apporté un grand désaveu scientifique à la face de tous, de manière très symbolique.
Cette chambre lui a reproché de nombreuses méconnaissances du code de santé publique.
Première faute : « Depuis la fin du mois de mai 2020, il existe un consensus parmi les autorités scientifiques et réglementaires pour estimer que l'on ne peut retenir un bilan bénéfice/risque favorable à l'hydroxychloroquine dans son utilisation contre le covid-19. Par la suite, en persistant à prescrire cette spécialité malgré les avis répétés et concordants des autorités sanitaires, le Pr Raoult n'a pas établi ses prescriptions selon les données acquises de la science et a méconnu les dispositions de l'article R.4127-8 du code de la santé publique. Il n'a, par voie de conséquence, pas délivré des soins consciencieux, en méconnaissance de l'article R.4127-31 du même code, et a proposé aux patients comme salutaire un médicament insuffisamment éprouvé, en méconnaissance de l'article R.41 27-39 du même code. ».
Deuxième faute : « En persistant à défendre publiquement la prescription d'hydroxychloroquine contre le covid-19 pendant la période de l'épidémie et après la fin de celle-ci, alors que, d'une part, l'absence de bilan bénéfice/risque favorable faisait consensus au niveau national et international et que, d'autre part, l'étude menée à l'IHU de Marseille sur près de 30 000 patients hors de tout protocole randomisé agréé par un comité de protection des personnes (CPP) et autorisé ne permettait pas de tirer des conclusions valides au plan scientifique, le Pr Raoult ne s'est pas fondé, dans ses prises de position publiques, sur des données confirmées, n’a pas fait preuve de prudence et a promu un traitement insuffisamment éprouvé, méconnaissant ainsi les dispositions des articles R.4127-13 et R.4127-14 du code de la santé publique. ».
La chambre a reconnu néanmoins qu'il n'a pas fait « courir de risque injustifié » à ses patients à qui il a prescrit de l'hydroxychloroquine car il « a sciemment écarté du traitement ceux qui présentaient les facteurs de risque les plus élevés » et la posologie « respectait les seuils » ANSM du 30 mars 2020, selon le président de la chambre disciplinaire nationale.
Troisième faute : Il n'a pas demandé aux autorités l'autorisation de mener une étude clinique sur 30 000 patients, un médecin « ne peut participer à des recherches biomédicales sur les personnes que dans les conditions prévues par la loi ».
Quatrième faute : « Il résulte de l'instruction que le Pr Raoult a tenu publiquement à l'égard d'autres établissements ou confrères des propos dépassant le cadre de la liberté d'expression et empreints d'absence de confraternité. Des propos tels que ceux où le Pr Raoult mettait en avant les bons résultats de l'IHU, en les opposant à ceux des hôpitaux parisiens où "ils comptaient les morts" (interview du 7 novembre 2020), ou encore ceux dans lesquels il désignait nommément un confrère médecin en indiquant que celui-ci "a fait des essais dans lesquels des enfants sont morts. Ça ne m'est jamais arrivé" (interview du 30 mai 2023), doivent être regardé comme méconnaissant les dispositions de l'article R.4127-56 du code de la santé publique. ».
Cinquième faute : Par ses remises en cause de la vaccination généralisée et des confinements, le chercheur a « nui par des propos dénués de pondération aux mesures prises par les autorités sanitaires aux fins de protection de la santé publique ».
On a bien vu, pendant la crise sanitaire, que la parole publique d'un scientifique en pleine pandémie avait des répercussions sociales très fortes, notamment dans le degré d'acceptation des contraintes liées à l'épidémie.
Cette sanction d'interdiction d'exercer la médecine « sera notifiée au Pr Didier Raoult, au Conseil national de l'Ordre des médecins, au conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins, à la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine de l'ordre des médecins, au directeur général de l'agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte d'Azur, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille, au ministre chargé de la santé et à tous les conseils départementaux de l'ordre des médecins ».
Didier Raoult est par ailleurs encore sur le grill d'une enquête judiciaire au sujet de soupçons d'essais cliniques sauvages, c'est-à-dire sans autorisation.
Il est heureux que la justice soit rendue pour toutes les infractions commises par le professeur Didier Raoult pendant la crise sanitaire. C'est aussi cela l'État de droit, des procédures qui sont longues à mener parce que le justiciable a le droit à une défense respectée. L'État de droit protège tous, tant le justiciable que les patients malmenés par un médecin en proie à un messianisme narcissique.
L'argument principal des défenseurs de Didier Raoult, souvent peu connaisseurs de la médecine, c'est la liberté : Didier Raoul aurait dû avoir la liberté de prescrire de l'hydroxychloroquine. C'est stupide, la liberté est un mot complètement galvaudé, invoqué à tort et à travers et le jugement de l'Ordre des médecins le démontre bien. Car à parler sans arrêt de liberté, on en viendrait aussi à la liberté de violer Philippine et de la tuer, si on va jusqu'au bout du raisonnement où seule la liberté tiendrait face aux autres valeurs.
La liberté, liberté de prescrire, liberté de parler, liberté de dire n'importe quoi, c'est d'ailleurs l'argument populiste par excellence des complotistes de tout poils. À défaut de nouveau traitement efficace contre le covid-19, le professeur Didier Raoult aura au moins inventé un opni (objet pensant non identifié) original : la microbiologie populiste ! Qui l'eut cru ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 octobre 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Covid-19 : Didier Raoult et des essais cliniques sauvages ?
Publi en preprint (à télécharger) : "Early Treatment with Hydroxychloroquine and Azithromycin : A ‘Real-Life’ Monocentric Retrospective Cohort Study of 30,423 COVID-19 Patients" (4 avril 2023).
Veut-on vraiment virer le professeur Didier Raoult de la direction de l’IHU Méditerranée Infection ?
Covid-19 : la France plus vaccinée qu’Israël.
Les supposés "bons" résultats de l’IHU Méditerranée du professeur Didier Raoult…
Didier Raoult, candidat des populistes à l’élection présidentielle de 2022 ?
Hydroxychloroquine : l’affaire est entendue…
Didier Raoult, médecin ou gourou ?
Hydroxychloroquine : attention au populisme scientifique !
Polémique avec le professeur Didier Raoult : gardons notre sang-froid !
Hydroxychloroquine vs covid-19 : Didier Raoult est-il un nouveau Pasteur ?
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2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
Covid : attention au flirt !
Papillomavirus humains, cancers et prévention.
Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
Émission "Le Téléphone Sonne" sur la vaccination contre les papillomavirus, sur France Inter le 3 mars 2023 (à télécharger).
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