En matière de constipation, il ne faut pas tourner autour du pot
Le parallèle entre constipation et insomnie ne saute pas directement aux yeux, mais pourtant, en dehors de pathologies spécifiques ayant un support physique ou toxique, la plupart des troubles du transit et du sommeil ne portent pas à conséquences graves sur la santé mais occasionnent une gêne importante pour ceux qui en sont atteints. Or, en dehors de maladies et de troubles physiologiques ayant une origine identifiable, si ce n’est curable, la plupart de ces maux sont avant tout d’ordre psychosomatique et la culture, l’éducation dès l’enfance au travers les croyances et traditions populaires font que beaucoup sont ceux qui souffrent plus du fait de leur ressenti vis-à-vis de leurs selles que des inconvénients de la constipation. En réalité, ils s’inquiètent plus de l’idée qu’ils se font de ne pas aller aux toilettes ou de ne pas dormir qu’ils ne soufrent réellement des effets réels de ces inconvénients sur leur transit intestinal ou leur sommeil. Ces malades subissent de plus en plus difficilement l’idée de ne pas dormir et s’imagine que ne pas aller régulièrement à la selle va les perturber et altérer leur santé de façon irrémédiable. Il faut impérativement passer par les toilettes pour être apaisé, et encore faut-il que ce séjour ne soit ni douloureux ni trop prolongé.
Mais revenons à la constipation. Dès la plus tendre enfance les parents s’inquiètent de la consistance, l’odeur, la régularité des selles de leurs enfants. La mère attend une selle oblative de son nouveau né, arrivant comme une offrande sur la couche en remerciement des soins prodigués à l’enfant. Le nouveau né ressent instinctivement que l’on s’intéresse à ses petits cacas et use et abuse de son pouvoir de se lâcher ou de se retenir, uniquement pour faire chier ses parents. Il peut salir ses couches à contre temps et remarque l’effet qu’il produit en s’exonérant d’une selle bien liquide dans la minute qui suit le changement de couche. Plus tard, quand l’enfant est petit et commence à comprendre, il est d’abord éduqué à la propreté et constate qu’on s’intéresse de près à sa défécation. Donc des le plus jeune âge, déféquer peut être considéré comme une relation sociale intime. D’autant que s’il est normal de parler de caca avec ses gosses, il faut leur apprendre en même temps l’hygiène et une certaine discrétion sur le sujet vis-à-vis de tiers ne faisant pas parti du cercle familial restreint dès qu’ils ont atteints l’âge dit de raison. Certains cas de fixation excessive sur la défécation de l’enfant peuvent déboucher sur l’encoprésie, véritable conflit entre l’enfant et sa mère. Après une longue période de constipation, l’enfant se soulage le sphincter de façon délibérée après avoir volontairement retenu ses selles.
L’éducation et la coutume préparent le futur constipé par une série d’association d’idées de croyance et de préceptes qui font que pour être heureux et bien dans sa peau, il faut pouvoir lâcher des caisses régulièrement, ne pas péter en public et ne pas se sentir ballonné. Celui qui ne se préoccupe pas de ses émissions fécales est incapable de dire depuis quand il n’est pas allé aux toilettes. On peut rester sans problèmes plusieurs jours sans y aller et ne pas en ressentir les effets. D’abord tout dépend de ce que l’on a mangé, après choucroute cassoulet et garbure, surtout si l’on s’est resservi, on va remplir la cuvette, par contre, après avoir grignoté deux chips, une carottes râpée et une demie pomme, il ne faut pas s’attendre à une crotte d’anthologie. Et puis, il y a un océan entre la constipation et l’occlusion qui peut déboucher sur une urgence chirurgicale. Tant que l’on a des gaz, il n’y a rien de grave la plupart du temps. Seul les grands vieillards, incapables de pousser car de musculature pelvienne amoindrie peuvent véritablement souffrir d’un fécalome, véritable bouchon dur comme de la pierre qu’il faut quelquefois évacuer manuellement par voie basse en milieu médical. Il est d’ailleurs curieux que la ritualisation de la défécation depuis la plus tendre enfance n’ait pas généré plus de constipés.
Rester à lire des BD dans les chiottes n’est pas un plaisir partagé par tous. Certains poussent, soupirent dans les toilettes pendant un long quart d’heure en essayant de sortir une minable crotte. Alors qu’il serait si simple d’attendre d’avoir « le chocolat au bout des lèvres » pour se délester d’un bon kilo dans la cuvette sans se dire « ça fait trois, quatre jours que je n’y suis pas allé ! ». Et le constipé de s’extasier sur l’étron enfin produit avant de tirer la chasse. La recherche du bien être sphinctérien est devenu une quête du Graal pour certains constipés, pour qui le passage régulier par les toilettes est une nécessité impérieuse. On se souviendra de la réplique d’Harvey Keitel dans Smoke de Wayne Wang et Paul Auster où il évoque la nostalgie de quitter son étron quand il est ferme et long et occupe toute la cuvette avant de tirer la chasse, on a envie de le saluer avant de lui dire adieu.
Le constipé vit ses matières fécales comme une partie de lui-même, l’inconscient le pousse à, les retenir, l’éducation et la tradition lui conseille de se soulager régulièrement, si ce n’est à heure fixe car il en va de sa santé. Il se crée une relation intime d’amour et de haine du constipé vis-à-vis de ses selles. Au début il garde cette gêne pour lui seul, puis il en parle à ses très proches. Mais après un certains temps, il va décrire en détail ses troubles du transit à son généraliste avant de passer à l’automédication, faite de tisane, de lavements, de laxatifs. Au point de se créer de toute pièces une pathologie chronique appelée maladie des laxatifs entrainant le cercle vicieux de la dépendance comme avec un drogue dure. S’installe alors des épisodes de constipation opiniâtre et douloureuse, suivis de débâcles diarrhéiques fétides aux effluves méphitiques. L’utilisateur de laxatif s’irrite le rectum et le sphincter, peut se créer de toute pièces un déséquilibre électrolytique et se dérégler pour des années le transit.
Le constipé rêve de défécations apaisées sereines et régulières comme un long fleuve tranquille d’épisode de passage aux toilettes où il pourrait aller sans angoisse et sans douleur. Et puis il suit des régimes qui aussi tournent à l’obsession, celui riche en fibre les pousserait à brouter les fibres de sisal de la carpette du salon si cela pouvait les soulager.
La création littéraire et artistique sous l’influence de la constipation caractérise Jonathan Swift. En dehors de ses penchants hypocondriaques qui s’accentueront en fin d’existence, allant jusqu’à l’obsession monomaniaque, l’auteur de Gulliver sera passionné toute sa vie par la défécation. Gulliver chez les Lilliputiens se soulage derrière une maison et les malheureux petits êtres sont obligés d’envoyer des tombereaux tirés par des bœufs pour évacuer les fruits de ses entrailles. Dans les contes du tonneau, Swift, si l’on peut dire se lâche et le thème de la défécation revient de façon récurrente.
Enfin, on ne peut terminer cet article sans mettre l’accent sur la chanson phare de Screamin’ Jay Hawkins « constipation blues », dont une version française fut reprise en septembre 2009 par Véronique Sanson accompagnée au piano par un Jean-François Copé pas particulièrement à l’aise.
Finalement, la constipation c’est un peu comme les impôts, la belle-mère ou Sarkozy, moins on y pense et mieux on se porte.
PS : Pour les causes médicales de constipation, mégacôlon, fissures anales, maladie endocriniennes et neurologiques, le lecteur est prié de consulter les sites médicaux spécialisés. Cet article traite des effets de la constipation chronique sans support organique sur le psychisme et le comportement de l’individu apparemment sain.
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON