Euthanasie 2024 (1) : l’agenda désolant du Président Macron
« Accompagner la fin de vie. Je m'y suis engagé : nous allons présenter une loi de fraternité qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la Nation. » (Emmanuel Macron, le 11 mars 2024 sur Twitter).
La vie politique n'est pas un simple jeu manichéen, où on est pour ou on est contre quelqu'un. C'est un exercice avant tout de convictions et parfois, elles peuvent s'entre-choquer. C'est le cas d'un sujet comme l'euthanasie, qui est un sujet très important, grave et sensible. Soyons donc clairs ici, ce n'est pas nouveau mais je le rappelle : je soutiens le Président de la République Emmanuel Macron pour de nombreuses raisons, sa volonté de redonner à la France et à l'Europe leur souveraineté tant économique que géopolitique, mais (ce "mais" est le contraire du "en même temps") je m'oppose fermement à son projet sur l'euthanasie.
Comme je n'ai jamais caché mes convictions ici, allons-y donc sur le sujet où il y a beaucoup à redire.
D'abord, les faits : Emmanuel Macron s'est exprimé ce dimanche 10 mars 2024 dans la soirée dans le journal "La Croix" (semble-t-il également dans "Libération") au sujet de ce qu'il appelle "l'aide à mourir" et qui n'est pas autre chose que l'euthanasie (appelons un chat un chat). Un tweet de l'Élysée permet d'avoir un peu plus de détails sur son projet de loi. Gabriel Attal a également annoncé que le projet de loi serait examiné en séance publique de l'Assemblée Nationale dès le 27 mai 2024. C'est délirant.
Pourquoi ? Parce que le 9 juin 2024, il y a des élections européennes et cela n'a échappé à personne qu'elles sont très importantes, tant sur le plan intérieur que sur le plan européen, d'autant plus que le contexte alarmant de la guerre en Ukraine n'encourage pas l'optimisme et la quiétude. Polluer la campagne de ces trois prochains mois sur un sujet aussi grave que l'euthanasie ne me paraît pas du tout pertinent alors que c'est un sujet qui mériterait avant tout de la sagesse et de la responsabilité, et surtout de la sérénité.
Deux jours après la promulgation de l'inscription de l'IVG dans la Constitution, Emmanuel Macron voudrait-il capitaliser sur les sujets sociétaux a priori populaires avec quelques arrière-pensées électoralistes ? Je n'oserais bien sûr le penser mais on voit déjà depuis ce dimanche soir un clivage se faire entre antimacronistes de droite musclée et macronistes sociétaux-béats qui ne me paraît pas des plus intelligents pour aborder ce type de sujet. L'idée serait de faire de ce sujet, comme des autres sujets, un simple clivage entre Renaissance et RN. C'est erreur aussi intellectuelle que politique, aussi morale qu'électorale.
Bien sûr, si on demande dans les sondages : "voulez-vous l'euthanasie ou mourir dans d'atroces souffrances ?", l'idée qu'il y ait même 0,1% qui ne répondent pas l'euthanasie paraît insensée, mais justement, la question n'est pas là. La question, c'est déjà d'investir massivement dans les soins palliatifs. Le gouvernement avait proposé un plan en 2018, et on s'aperçoit qu'il y a encore 21 départements qui n'ont même pas une seule unité de soins palliatifs. Il est là le scandale et il ne faut pas, pour y répondre, une loi mais de l'argent, un budget, plusieurs milliards d'euros. Alors Emmanuel Macron voudrait y consacrer un milliard d'euros de plus que les 1,6 milliard d'euros déjà alloués, c'est bien mais c'est certainement insuffisant. Cela devrait être l'urgence du gouvernement.
L'autre élément avant de commencer à toucher à l'euthanasie, c'est de faire une évaluation approfondie de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui avait le mérite d'avoir été consensuelle et d'avoir apporté un véritable modèle français à la fin de vie. Car il est bien là le modèle français de la fin de vie, certainement pas en légalisation l'euthanasie comme un droit comme le souhaiterait Emmanuel Macron.
Avant de présenter ce que souhaite Emmanuel Macron, rappelons aussi que les mots de vocabulaire ont leur sens. Évacuons le mot "dignité" dans l'expression "mourir dans la dignité" qui est une expression insupportable. Cela sous-tendrait qu'on pourrait mourir dans l'indignité, ce qui est une ineptie humaine. Chaque humain a sa dignité, quel que soit sont état et quelle que soit sa souffrance, et cette dignité est intrinsèque à l'être. Retirer, même sémantique, la dignité à de nombreux malades mourants est un vrai manque de respect aux personnes les plus faibles et les plus fragiles. Il mérite mieux qu'une telle insulte avant de mourir. Et remplacer le mot par "fraternité" est peut-être meilleur, mais à peine : tuons-nous fraternellement ?
Autre mot qui me hérisse, le "droit", le "droit à l'aide à mourir". De quel droit est-il ? Faudrait-il aussi l'inscrire dans la Constitution, tant qu'on y est ? Je mets ce mot en parallèle à un troisième mot qui me hérisse tout autant l'esprit, ce serait une "avancée". Dire "avancée", c'est non seulement laisser entendre que c'est un "progrès", or, je crois que c'est totalement l'inverse, ce serait fondamentalement un retour en arrière, une négation totale de la considération qu'on peut apporter à la vie humaine, mais cela signifie nécessairement qu'on va encore "avancer" encore plus loin, dans une prochaine étape. C'est l'insidieux de tout projet sociétal : on propose le PACS mais pas du tout autre chose, non, et puis on en viendra finalement à la GPA, pas la GPA tout court, une GPA "encadrée". Bon, je ne veux pas polluer sur d'autres sujets sociétaux, mais on voit bien que lorsqu'on veut "encadrer" (autre mot que je hais dans ce type de sujet), on n'encadre rien, on ne veut que rassurer les réticences (tellement basses dans les sondages qu'on se demande bien pourquoi, à moins qu'il s'agisse de rassurer sa propre conscience morale ?).
Alors, présentons le projet d'Emmanuel Macron, et puisqu'il vient de lui, ouvrons les guillemets (sur Twitter ce lundi 11 mars 2024 dans la matinée) :
« Nous voulons ouvrir la possibilité de demander une aide à mourir dans des conditions strictes :
- Être majeur.
- Être capable d’un discernement plein et entier. Sont exclus de cette aide les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer.
- Souffrir d’une maladie incurable, avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme et des souffrances réfractaires.
Nous avons consulté les patients, les familles, les équipes soignantes, la société, pour constater que la loi Claeys-Leonetti, qui fixe le cadre légal actuel, avait conduit à beaucoup d’avancées mais ne permettait pas de répondre à des situations humainement très difficiles.
On peut penser aux cas de patients atteints d’un cancer au stade terminal qui, pour certains, sont obligés d’aller à l’étranger pour être accompagnés.
Il fallait aller plus loin, en faisant preuve d’une exigence éthique.
(…)
Ce sera une vraie révolution d’humanité et de fraternité.
Nous avancerons de la manière la plus transparente possible.
C'est un texte sur lequel il faut avoir l'humilité de cheminer, de bouger, accepter que ses convictions puissent être bousculées. »
Comme pour toute personne favorable à l'euthanasie, Emmanuel Macron précise donc bien : sous des conditions très strictes, avec un encadrement très strict pour ne pas faire n'importe quoi. La réalité, l'expérience dans d'autres pays, et particulièrement en Belgique, c'est que ces conditions, en droit ou simplement en pratique, sont toujours moins exigeantes que ce que le législateur envisageait, et ne font jamais qu'évoluer dans le sens du "tout est possible". Dès qu'on entrouvre la porte du principe de l'euthanasie, du droit de tuer, petit à petit, d'une manière ou d'une autre, on l'ouvrira de plus en plus grande. Ce n'est pas la société que je souhaite. Ce n'est pas celle des Lumières, celle des droits fondamentaux qui protège la vie, qui protège les plus fragiles.
Car on voit bien la crainte. Emmanuel Macron est d'ailleurs assez intelligent, car sa loi est en trois parties : « Le projet de loi sera composé d’une première partie sur les soins d’accompagnement, d’une deuxième sur le droit des patients et des aidants et d’une troisième sur l’aide à mourir. ». Je regrette qu'on mette dans une même loi des dispositifs de "l'aide à mourir" à côté de dispositifs de "l'aide à vivre". Soigner et pas tuer, c'est ce qui est nécessaire aux patients. C'est même le contrat de confiance entre soignants et soignés.
Certes, le Président de la République insiste beaucoup sur les soins palliatifs : « La priorité : que dès le diagnostic et le début du traitement, la douleur soit accompagnée avec humanité. (…) Il nous faut continuer de déployer des équipes mobiles qui aident les services hospitaliers à mieux prendre en charge la douleur. (…) Il est primordial d’améliorer la prise en charge de la douleur notamment des nourrissons et des enfants. Nous le ferons aussi avec cette loi et cette stratégie décennale. Nous allons aussi mettre en place un continuum avec la médecine de ville et investir sur l'accompagnement à domicile appuyé par les réseaux de soins. (…) Ce sera une vraie révolution d’humanité et de fraternité. ». Personne ne peut s'opposer à ces objectifs, mais ils n'ont pas besoin d'une loi pour être atteints. C'est une sorte de devanture pour ceux qui auraient trop bien compris le reste du texte.
Le seul côté positif du jour, c'est que tous les médias se sont emparés de ce sujet, malgré les autres sujets brûlants. Cela signifie qu'il va bien y avoir un débat sur le sujet et que, malgré les sondages vaguement consensuels, le projet d'euthanasie ne passera pas discrètement comme une sorte de formalité administrative sans confrontation politique. N'oublions pas que le "mariage pour tous" devait lui aussi être adopté comme une lettre à la poste en 2013 et cela a provoqué des déferlantes de manifestations très nombreuses.
Du reste, ce précédent des "manifs pour tous", même si je considère que cela n'a rien à voir, pourrait permettre une mobilisation plus forte que prévisible des opposants à l'euthanasie. Sur un sujet aussi sensible, le gouvernement joue toujours avec le feu. Dans une société à la cohésion nationale fragile, ce n'est pas opportun de renforcer les brèches et les clivages par un tel sujet.
J'insiste aussi sur le fait que l'Église catholique n'a pas le monopole de l'opposition à l'euthanasie et qu'il ne suffit pas d'être anticlérical pour refuser les objections à ce prochain texte. Ainsi, l'ancien Ministre de la Justice Robert Badinter, que le Président de la République venait d'encenser il y a encore peu de temps, s'était déclaré très hostile à une loi sur l'euthanasie, car il ne fallait pas que l'État soit en capacité de favoriser la mort d'une personne, ce qui était le cas avec la peine de mort.
J'avais présenté sa position le 9 février 2024 de cette manière : « Le 16 septembre 2008, en raison de son expertise juridique, Robert Badinter avait été auditionné par Jean Leonetti pour faire l'évaluation de sa loi, celle du 22 avril 2005 sur la fin de vie. Robert Badinter considérait que cette loi (complétée par la suite par la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016) était "satisfaisante" et préservait l'équilibre entre deux injonctions paradoxales. En particulier, il considérait que "le droit à la vie est le premier des droits de l'homme". C'était même "le fondement contemporain de l'abolition de la peine de mort". Il ne souhaitait pas introduire dans la législation française une éventuelle exception d'euthanasie. Il rappelait que le droit pénal n'a "pas seulement une fonction répressive mais aussi une fonction expressive", à savoir qu'il traduit "les valeurs d'une société". Pour lui, au lieu de légiférer, la justice peut se prononcer pour dire s'il y a abus ou pas dans l'accompagnement d'une fin de vie. Il martelait : "Personne ne peut disposer de la vie d'autrui", rejetant l'idée d'un comité d'experts qui se prononcerait sur l'opportunité d'une exception d'euthanasie pour un cas donné : "Je ne conçois pas qu'un comité, aussi honorable soit-il, puisse délivrer une autorisation de tuer". ».
Au lieu de récupérer la mémoire de nos plus sages, on devrait avant tout s'inspirer de leur sagesse...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu
La dernière illustration est un tableau de Paula Modersohn-Becker.
Pour aller plus loin :
Euthanasie 2024 (1) : l'agenda désolant du Président Macron.
Robert Badinter sur l'euthanasie.
Le pape François sur l'euthanasie.
Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).
Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).
Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : les conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.
Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !
Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.
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