Euthanasie : Jean Luc Romero, président de l’ADMD fait le point
Dans cette partie de l’interview de Jean-Luc Roméro, nous revenons sur son engagement sur ce sujet délicat, au coeur de nombreuses polémiques. La question de l’euthanasie en France s’est développée en parallèle avec les progrès de la médecine. L’ADMD est au coeur de ce débat.

Quelle est l’évolution de l’ADMD depuis sa création en 1979 ? Ses buts et ses moyens d’actions ont-ils changé ?
Son créateur, Michel Lee Landa, publie en 1979 une tribune dans Le Monde intitulée « Un droit ». Devant les nombreuses réactions que suscite l’article, l’association est créée en 1980. dans ses buts initiaux, trois ont été atteints :
- la lutte contre la douleur
- le droit des malades
- le droit de refuser un traitement.
La légalisation de l’euthanasie est encore à obtenir. L’ADMD a longtemps été stigmatisée et a développé un fonctionnement très renfermé sur elle même. Par exemple, le journal de l’association est toujours sous film plastique opaque afin que les membres restent dans l’anonymat. Cependant, depuis un peu plus d’un an, nous ouvrons les portes de l’association, partant du constat que l’ADMD agit dans le cadre légal et qu’en conséquence, nous n’avons pas à nous cacher.
Quelles sont les actions au quotidien de l’association ?
L’ADMD n’est pas une association de service, je rappelle que l’euthanasie est encore illégale en France. Nous faisons un travail de communication auprès des décideurs politiques – du lobbying pour être clair - , des personnels de soin, des médecins. Nous nous efforçons de faire appliquer les lois qui sont déjà en vigueur, comme la loi Leonetti et qui sont encore mal connues et souvent inappliquées dans le milieu médical.
Par exemple, nous distribuons un document de présentation de la loi et nos 105 comités répartis partout en France agissent en cas de refus des équipes soignantes d’appliquer la loi, pour soutenir ceux qui le demandent.
L’ADMD a été agréée par le précédent ministre de la santé Xavier Bertrand et siège donc dans diverses commissions dans les commissions. Sa position et son travail est donc reconnu tant au niveau local qu’au plan national.
En revanche, l’image de l’ADMD est plus contrastée dans le milieu médical. Si son message et ses actions sont reconnues sur le terrain, l’élite parisienne des mandarins reste farouchement contre. Cette attitude est un problème typiquement français : dans notre pays, la fin de vie est exclusivement un problème médical alors que la fin de vie est d’abord une question personnelle.
Durant les dernières années, seuls trois cas de personnes revendiquant une fin de vie dans la dignité ont été médiatisés. Pourquoi et quels sont les chiffres des personnes concernées ?
Quand on arrive en fin de vie, la souffrance provoque souvent un repli sur soi, les gens restent chez eux, sont souvent dans l’incapacité de surmonter cette période difficile. Il a fallu un extraordinaire courage physique et psychologique à Vincent Humbert, Maia Simon et Chantal Sébire pour se battre à ce moment de leur vie.
Pour parler chiffre, vous devez savoir qu’il n’existe aucun observatoire de la fin de vie en France, pas de chiffres officiels. Nous sommes donc amenés à baser nos études sur les chiffres en provenance de Belgique ou des pays Bas. Là bas, enter 0,5% (chiffres belges) et 2% (chiffres néerlandais) des décès sont la conséquence d’un acte d’euthanasie.
On compte en France entre 500 000 et 550 000 décès par an. Ramené à ces chiffres, l’euthanasie pourrait donc concerner entre 2500 et 10 000 personnes par an, si elle était légalisée. Ce qui est considérable ! Si on ajoute à cela le fait qu’en Belgique ou au Pays Bas, seule la moitié des personnes qui demandent l’euthanasie vont jusqu’au bout de leur démarche, nous sommes alors dans une fourchette de personnes concernées qui va de 5 000 à 20 000 par an.
Ces chiffres, extrapolées de situations qui existent dans des pays très proches de nous montrent bien que l’euthanasie n’est pas le grigri de quelques excités seulement mais une vraie demande.
L’euthanasie est elle une préoccupation purement européenne ?
L’ADMD fait partie d’un réseau international. La demande d’une fin de vie dans la dignité est partagée par de nombreux pays dans le monde. En gros, tout le bloc occidental – et pas seulement les pays riches, car les pays d’Amérique latine sont aussi concernés – est sensible à ce sujet. Lors du prochain rendez-vous international des associations qui militent pour la reconnaissance de l’euthanasie, qui va se tenir à Paris fin octobre, nous lancerons d’ailleurs la première journée internationale pour le droit à mourir dans la dignité. Elle aura lieu le 2 novembre, jour des morts dans nos cultures catholiques. C’est à la fois un peu du au hasard – notre rendez-vous se tient à ce moment là – et du au fait que nous n’arrivions pas à bous entendre sur une date qui parlerait à tous.
Les religions ont-elles leur mot à dire dans le débat ?
Bien sûr ! Mais si elles ont le droit le plus absolu de se prononcer sur le sujet, elles ne peuvent pas imposer leur point de vue. L’ADMD et les autorités religieuses – quelle qu’elles soient – dialoguent très peu. Mais l’ouverture de l’association à l’extérieur est en cours. J’espère que nous pourrons entamer ce dialogue.
De même, j’aimerais rappeler que les associations laïques sont elles aussi concernées et qu’elles doivent certainement prendre part au débat.
Le SIDA a-t-il changé la donne dans le débat sur la fin de vie ?
Indéniablement. Avant le SIDA, la relation entre le patient et le praticien était marqué par la toute puissance du médecin. Ses décisions n’étaient jamais discutées, contestées. Le SIDA a touché une population jeune, souvent éduquée et qui est devenue très vite mieux informée que les médecins eux même sur la maladie, les traitements et leurs effets secondaires. Leur révolte devant ce destin leur a donné une force pour revendiquer une part de décision sur ce qui leur était administré. On a vu des patients refuser des traitements aux effets secondaires très lourds car le peu de temps supplémentaire qui leur serait accordé ne valait pas la peine – selon eux – d’endurer ces effets secondaires.
On peut considérer que les lois Kouchner, ainsi que la loi Leonetti sont des conséquences de ces combats. Le rapport de force a évolué. Une personne peut discuter des traitements qui sont sont prodigués, voire en refuser certains.
La santé d’une personne est-elle sa propriété ?
Oui.
Illustration : Condamné à souffrir
Crédit photo : ilConte
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