Fin de vie 2023 (4) : la mystification d’un supposé « modèle français » de la fin de vie
« Et je le dis clairement, cette expression de la convention porte en elle une exigence et une attente, c'est celle d'un modèle français de la fin de vie. Nous y répondrons. (…) Dans ce modèle français de la fin de vie, vous avez fixé des bornes, en deçà desquelles vous estimez que nous ferions fausse route. (…) Ainsi, ces quelques lignes rouges me paraissent utilement encadrer l'hypothèse d'un modèle français de la fin de vie, et constitue notre point de départ. (…) Nous pourrons ainsi, à travers cette maturation, permettre, je le souhaite, je le crois, de tracer un nouveau jalon vers ce modèle français de la fin de vie. (…) Nous avancerons vers un modèle français de la fin de la vie et ce chemin sera irrémédiablement différent, car vous avez travaillé, échangé, décidé. » (Emmanuel Macron, le 3 avril 2023 à l'Élysée).
Comme prévu, le Président de la République Emmanuel Macron a reçu les 184 membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie pour écouter les conclusions de leurs travaux sur la fin de vie, le lundi 3 avril 2023 au Palais de l'Élysée.
Dans son intervention, le chef de l'État en a profité pour faire l'apologie de cette nouvelle forme de concertation, les conventions citoyennes. Je n'y reviendrai pas ici car le sujet est sur la fin de vie et pas le développement d'une nouvelle de forme d'exercice de la démocratie (le sujet est passionnant, surtout en ce moment, mais il est autre).
La position adoptée par Emmanuel Macron me paraît un tantinet hypocrite. Au contraire de tous ses prédécesseurs, opposés à l'aide active à mourir (c'est-à-dire à l'euthanasie et au suicide assisté, je mélange les deux même s'ils sont très différents car ils transgressent tous les deux, de la même manière, la seule intangibilité du devoir de l'État et des médecins, celui de protéger à tout prix les vies humaines), le Président veut se tenir publiquement "neutre" et ne pas "montrer la voie".
Emmanuel Macron l'a répété en effet : « J'ai déjà eu l'occasion de le dire et j'ai en la matière une opinion personnelle qui, comme celle de nombreux Français, peut évoluer, évolue, évoluera, qui le sait ? Sur un tel sujet, j'ai aussi en tant que Président de la République, une responsabilité de concorde et une volonté d'apaisement. (…) Je contredirais aussitôt ce que je viens de dire sur l'articulation des légitimités, si j'en concluais que le dernier mot sur la question devait être dite aujourd'hui. ».
Mais ne pas exprimer d'opinion et vouloir faire évoluer la loi Claeys-Leonetti qui répond à toutes les situations de fin de vie difficile (du moins dans 99,999% des cas) alors qu'elle est encore trop peu appliquée comme l'a affirmé le 29 mars 2023 la mission d'évaluation de cette loi (et comme l'a reconnu le Président de la République : « Il nous faut mieux faire appliquer la loi Claeys-Leonetti. »), c'est déjà prendre position et soutenir ouvertement l'euthanasie et le suicide assisté. Il y a là une part d'hypocrisie que de laisser dire, laisser venir alors qu'on savait très bien que la Convention citoyenne allait aboutir à ce type de conclusion.
Dans les propos d'Emmanuel Macron, il y a deux "piliers". Le premier est soutenu par tout le monde, unanimement : l'État ne fait pas assez d'efforts financiers pour investir dans les soins palliatifs qui doivent être proposés et accessibles à tous les patients, indépendamment de leur situation géographique. Or, c'est rarement le cas aujourd'hui (vingt et un départements ne disposent d'aucune unité de soins palliatifs !). Là est le scandale. Il n'y avait pas besoin de réunir neuf fois en quatre mois une convention citoyenne pour le savoir : c'est un mal français, si j'ose écrire, cela fait depuis plus de quinze ans qu'il y a des manques criants de fonds budgétaires, et le plan lancé par le Premier Ministre Jean Castex en 2020 semble avoir été nettement insuffisant. Tout le monde en convient et tout le monde applaudit cette direction présidentielle : « C'est pourquoi je veux que nous élaborions un plan décennal national pour la prise en charge de la douleur et pour les soins palliatifs avec les investissements qui s’imposent. ».
[Soit dit en passant, la page du site de l'Élysée contient toujours des fautes d'orthographe après plusieurs jours de mise en ligne ("décénal" et "paliatifs" dans la même phrase !) : il faudrait penser à « trouver un agrégé qui sache écrire » pour ce site, selon la demande de De Gaulle en 1944 au diplomate et résistant René Brouillet qui lui recommanda son camarade de Normale sup. Georges Pompidou].
Alors, pourquoi vouloir faire évoluer le cadre législatif avant de faire pleinement appliquer la loi Claeys-Leonetti ? À cause des sondages ? On doit éliminer la souffrance, pas celui qui souffre. Toute la démarche présidentielle, que je crois sincère, est donc viciée par ce postulat qu'il faut faire évoluer la loi alors que depuis une vingtaine d'années, il y a déjà eu quatre lois sur la fin de vie. Arrêtons de légiférer et appliquons les lois !
Ensuite, il y a ce second "pilier" qui est la légalisation de l'aide active à mourir à laquelle je suis très fermement opposé (je reprendrai dans un article tous les arguments pour l'expliquer). Emmanuel Macron va même plus loin et je trouve cette expression très inconvenante : il propose de bâtir un « modèle français de la fin de vie ». C'est plutôt effarant !
Je comprends ce qu'est le modèle français de la solidarité nationale, c'est la sécurité sociale, c'est la retraite par répartition, avec cette solidarité intergénérationnelles ; je comprends ce qu'est le modèle français du vivre ensemble, c'est la laïcité, le neutralité de l'État et la protection des croyants et non-croyants dans leur foi ou non-foi. Mais faut-il vraiment proposer à la Terre entière, avec une certaine forme d'arrogance toute française, un "modèle français de la fin de vie" ? "Venez en France, on y meurt "bien" !? Bon, il y a plein de grèves de transports en commun, vous payerez plein d'impôts et de taxe, on vous fera la gueule dans le métro, mais pour la fin de vie, on ne fait pas mieux ailleurs dans le monde !?". C'est un concept assez déroutant et un tantinet inconvenant.
Si on devait parler d'un "modèle de la fin de vie", original, eh bien, il est là, justement, avec la loi Leonetti du 22 avril 2005 et la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui la complète : ces deux lois sont de véritables bijoux à la fois démocratiques (car basées sur un véritable consensus parlementaire), juridiques (car le droit s'est excellemment exprimé), médicaux (car le but est de bien soigner et de s'occuper de tous les patients) et enfin, surtout je dirais, éthiques, car elles sont parvenues, dans un équilibre jamais intellectuellement satisfaisant à permettre les conditions d'une fin de vie le plus confortable possible, c'est-à-dire, plus modestement, avec le moins de souffrance possible, sans (et c'est là l'essentiel) transgresser ce qui est le pilier de la République, de la médecine et plus généralement de l'humanité, la protection de la vie humaine. En clair, elles sont compatibles avec les deux forces opposées qui font le clivage sur ce sujet : on fait toujours tout pour empêcher la souffrance et on ne tue jamais intentionnellement.
Mais autoriser l'aide active à mourir, ce serait simplement copier la Belgique pour l'euthanasie, la Suisse pour le suicide assisté (ici par absence de cadre législatif), et on a déjà observé dans ces deux pays les nombreux abus que cela entraîne. Pas de quoi fanfaronner avec un modèle original. Cela fera juste des économies à la sécurité sociale.
Ce qui me gêne aussi, c'est que les personnalités très hostiles à l'aide active à mourir qui sont en ce moment auditionnées, par exemple au Sénat le 29 mars 2023, en viennent, dans une sorte de réalisme qui nierait leur ferme opposition, à préconiser les conditions de cette aide active à mourir à laquelle ils sont pourtant opposés. Comme si, bien que fermement opposé au rétablissement de la peine de mort, je m'exprimerais en disant : je suis contre, mais si on venait à rétablir la peine de mort, alors, il faudrait la restreindre aux seuls auteurs de crime contre les enfants et les forces de l'ordre, par exemple. En disant cela, non seulement j'accepte implicitement le rétablissement de la peine de mort, mais je participe même à son rétablissement en lui donnant une enveloppe juridique et un emballage marketing. Si on est contre, il n'y a pas à tergiverser. Il faut rejeter tout en bloc. Il y a donc une sorte de fatalité face à cette perspective.
Emmanuel Macron croit qu'on peut trouver un consensus dans le pays en s'occupant juste des conditions d'application de l'aide active à mourir. Il se trompe mais cela ne l'empêchera pas d'avancer car il sait qu'une large majorité des Français y est favorable (malgré les nombreuses dérives médicales et conséquences économiques que cela va inéluctablement entraîner).
Si, comme je ne le crois pas, il y avait en plus une arrière-pensée politicienne de rebondir sur un sujet qui rétablirait sa popularité, je pense que le Président se tromperait car ceux qui sont contre (même parmi ses soutiens, ce qui est mon cas) risquent d'être mécontents, et les mécontents d'aujourd'hui, qui défilent régulièrement des les rues en ce moment, ne seront certainement pas calmés par un sujet socialement annexe et politiquement "anecdotique" (même s'il est très important).
Alors, évidemment, oui, il y a certainement des convergences pour qu'on n'autorise pas l'aide active à mourir n'importe comment : « Nous avons déjà des éléments irrécusables de convergence. Dans ce modèle français de la fin de vie, vous avez fixé des bornes, en deçà desquelles vous estimez que nous ferions fausse route. D'abord, vous avez souligné l'importance de la prise en compte et de l'analyse du discernement afin de garantir l'expression de la volonté libre et éclairée, que cette expression soit directe ou par des directives anticipées ou une personne de confiance. La question de la réitération du choix est tout aussi cruciale. Ensuite, vous jugez primordial que la condition médicale des patients présente le caractère d’incurabilité, de souffrances réfractaires, psychique et physique. Voire l'engagement du pronostic vital. Vous insistez pour que jamais une aide active à mourir, ne devrait, ne devra être réalisée, pour un motif social pour répondre à l'isolement qui parfois peut culpabiliser un malade qui se sait condamné à terme et voudrait en hâte programmer l'issue, afin de ne pas être une charge pour les siens et pour la société. En outre, l'aporie, ou en tout cas l'absence de conclusions, sur l'aide active à mourir pour les mineurs suggère de ne pas ouvrir cette faculté. Enfin, vous avez voulu assortir l'aide active à mourir de procédures qui permettent une écoute, un accompagnement et une collégialité. Tous ces points, sans faire l'unanimité, ont fait consensus. Mais sur les questions éthiques, mêlant l'intime et le politique, il y aura toujours, et c'est d'ailleurs sain, la possibilité de conscience qui objecte à l'assentiment général. Ainsi, ces quelques lignes rouges me paraissent utilement encadrer l'hypothèse d'un modèle français de la fin de vie, et constitue notre point de départ. ».
Concrètement, le processus est donc loin d'être achevé. Emmanuel Macron a chargé la Première Ministre Élisabeth Borne de commencer un travail de concertation avec les députés et les sénateurs pour trouver un texte consensuel, mais je ne vois absolument pas comment sortir un texte consensuel au sein du Parlement, car les sénateurs, avec raison, me paraissent peu préparés à aider le gouvernement sur ce sujet (au contraire de la réforme des retraites). L'objectif du Président de la République est d'avoir un texte pour la fin de l'été 2023.
Répondant au député de la majorité Olivier Folarni (président de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti) à la séance des questions au gouvernement du 4 avril 2023, Élisabeth Borne a réitéré cette volonté présidentielle de bâtir un "modèle français" : « La seconde conclusion issue des travaux de la convention citoyenne réside dans la nécessité d’inventer un modèle français de la fin de vie. ». Et elle a poursuivi : « Notre cadre législatif n’est plus adapté, notamment pour aborder la question de l’aide active à mourir. ».
Or, cette dernière phrase est un postulat de départ, pas une conclusion. C'est un postulat dogmatique. Rien n'explique pourquoi le cadre législatif de la fin de vie ns serait plus adapté. Que s'est-il passé depuis 2016 pour considérer comme périmée la loi Claeys-Leonetti ? Rien, car elle est encore très peu appliquée. Alors, appliquons d'abord la loi avant d'aller plus loin. Investissons massivement dans les unités de soins palliatifs, y compris les unités mobiles pour l'hospitalisation à domicile.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).
Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).
Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : les conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.
Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !
Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.
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