Fin de vie : les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016
« La mort ravit tout sans pudeur.
Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.
Il n’est rien de moins ignoré,
Et, puisqu’il faut que je le dise,
Rien où l’on soit moins bien préparé. »
(La Fontaine, "La mort et le mourant")
Le 3 août 2016, le gouvernement a signé deux décrets d’application de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 concernant les nouvelles directives anticipées (décrets n°2016-1066 et n°2016-1067). Ces textes réglementaires (ainsi que l’arrêté du 3 août 2016 relatif au modèle de directives anticipées prévu à l’article L. 1111-11 du code de la santé publique) ont été publiés par le Journal Officiel du 5 août 2016 et sont consultables ici. Ils sont applicables à partir du 6 août 2016.
Je rappelle très brièvement le principe des directives anticipées (je propose de lire plus précisément ici où j'a émis quelques réserves sur leur concept) : il s’agit d’une déclaration personnelle sur un certain nombre d’instructions concernant les conditions de sa fin de vie dans le cas où la personne n’est plus en état de les exprimer de vive voix.
Ces textes réglementaires ont pour but de transposer dans l’exécution la nouvelle loi sur la fin de vie qui a été promulguée le 2 février 2016 et qui a pris le nom de loi Claeys-Leonetti (dont j’ai abondamment évoqué le cheminement parlementaire dans de précédents articles).
Deux changements par rapport à la situation juridique antérieure
Il y a deux grands changements par rapport à la situation précédente : d’une part, ces directives ont désormais une valeur contraignante auprès de l’équipe médicale (et aussi auprès des proches), elles s’imposent à tous, alors que précédemment, elles n’avaient qu’une valeur consultative ; d’autre part, elles n’ont plus à être renouvelées comme précédemment (avant, elles n’étaient plus valable après trois ans, maintenant, elle sont indéfiniment valables). Elles sont bien sûr révisables et révocables à tout moment et selon toute forme possible.
Venons-en à la forme : rien n’empêche encore aujourd’hui, malgré la nouvelle loi, de rédiger ses directives anticipées sur papier libre selon la forme (écrite) que l’on souhaite. Néanmoins, c’est très difficile de le faire devant une feuille blanche. Non seulement il faut se projeter sur un avenir peu radieux (sa propre fin), l’imaginer dans le pire des cas (incapacité à s’exprimer et maladie incurable) mais en plus, il faut imaginer ce qu’on pourrait ressentir, quelles seraient ses volontés à ce moment même. Inutile de dire qu’il y a autant de cas que de situations médicales, et pour chaque situation médicale donnée, autant de volontés possibles que de personnes dans cette situation.
D’où l’intérêt de proposer au candidat rédacteur de ses directives anticipées un cadre structuré où il pourrait répondre questions après questions à de nombreuses interrogations possibles. Ce cadre est évidemment facultatif mais se veut comme une aide à la rédaction (notons que le texte initial de la loi avait proposé un caractère obligatoire, ce qui allait à l’encontre de l’esprit même de la loi basée sur le volontariat, et qui posait d’énormes problèmes sur la valeur juridique des directives anticipées déjà rédigées avant la loi).
Par ailleurs, au-delà de ce cadre, avec ou sans lui, la rédaction de ses directives anticipées pourrait se faire avec l’accompagnement d’un médecin, capable d’éclairer le rédacteur sur les différents enjeux et sur les conséquences concrètes de ses réponses. Là encore, rien n’oblige de se faire conseiller par un médecin, mais cet éclairage paraît cependant pertinent.
Le premier décret sur les procédures collégiales
Le premier décret (n°2016-1066) vise à modifier le code de déontologie médicale pour définir les procédures collégiales. Il concerne les « médecins et professionnels de santé impliqués dans le processus décisionnel des traitements de fin de vie ainsi que toutes personnes concernées (patients et leur entourage) ». Il prend en compte la délibération du Conseil national de l’ordre des médecins du 12 mai 2016.
Il précise deux procédures collégiales. La première encadre « l’arrêt et la limitation de traitement en cas d’obstination déraisonnable lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté » ainsi que le « recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès ». La seconde précise les conditions de refus, par le médecin, d’appliquer les directives anticipées du patient « lorsqu’elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».
Au-delà des précisions très techniques sur ces procédures, le texte du décret insiste aussi, à la fin de son article 3 : « [Le médecin] veille également à ce que l’entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire. ».
Le deuxième décret sur les directives anticipées
Le deuxième décret (n°2016-1067) organise la rédaction, la révision, la révocation et la conservation des directives anticipées et concerne toutes les personnes majeures. Ce texte tient compte de l’avis de la Haute Autorité de Santé (HAS) du 6 juillet 2016 et de l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) du 21 juillet 2016. Comme pour le premier décret, le Conseil d’État (sa section sociale) a évidemment été entendu pour sa rédaction.
Les directives anticipées doivent être écrites, datées et signées, et leur auteur, obligatoirement majeur, doit être identifié par ses nom, prénom, date et lieu de naissance. Par ailleurs, « la personne majeure sous tutelle peut rédiger des directives anticipées avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué » (article 1).
Si plusieurs directives anticipées ont été rédigées par la même personne, ce sont bien sûr les directives les plus récentes qui font foi.
Avec le modèle proposé, l’auteur des directives anticipées peut préciser dans quelle situation il se trouve : soit en situation de fin de vie ou d’atteinte d’une affection grave ; soit, au contraire, en situation de (supposée bonne) santé où la fin de vie reste encore très théorique.
Comme pour leur rédaction, la conservation des directives anticipées (qui sont évidemment confidentielles) est assez libre : elles peuvent être déposées dans le dossier médical de leur auteur, et dans ce cas, leur existence est régulièrement rappelé à leur auteur, mais l’auteur peut n’avoir indiqué dans son dossier médical que leur seule existence ainsi que les moyens d’en prendre connaissance (personne dépositaire, lieu de conservation etc.).
Un médecin peut aussi les conserver, ou encore leur auteur lui-même, ou encore une personne de confiance ou même un autre proche : « Les éléments d’identification de la personne qui est détentrice des directives anticipées sont ses noms, prénoms et coordonnées. Cette personne est informée par l’auteur des directives anticipées de l’inscription des données la concernant dans l’un des dossiers mentionnés (…). » (article 3).
De plus, « tout établissement de santé ou établissement médico-social interroge chaque personne qu’il prend en charge sur l’existence de directives anticipées ».
Le modèle de rédaction
Enfin, la Ministre des Affaires sociale et de la Santé Marisol Touraine a signé ce même 3 août 2016 un arrêté ministériel pour proposer un modèle de directives anticipées (on peut télécharger le modèle proposé à ce lien).
Parmi les volontés proposées : « J’indique (…) si j’accepte ou si je refuse que l’on me maintienne artificiellement en vie dans le cas où j’aurais définitivement perdu conscience (…) ».
On peut ainsi préciser si l’on accepte ou refuse « une réanimation cardiaque et respiratoire (tube pour respirer) », « le branchement de mon corps sur un appareil à dialyse rénale », « une intervention chirurgicale », l’alimentation et l’hydratation artificielles, etc.
Par ailleurs, le modèle propose la possibilité d’indiquer sa personne de confiance, à condition que celle-ci signe cette feuille (cette personne n’est pas obligatoirement tenue à prendre connaissance des autres feuilles, c’est-à-dire les directives anticipées).
Quelques commentaires
Une campagne d’information sera lancée par le gouvernement à la fin de l’année. Elle ne sera pas de trop puisque très peu de Français, pour l’instant, connaissent l’existence de ces directives anticipées (en 2009, seulement 2,5% des personnes décédées en 2009 en avaient rédigé, selon l’IGAS).
Pourquoi attendre la fin de l’année ? Raison budgétaire ? Sentiment de fin de vie avec l’approche de l’élection présidentielle ? À mon avis, il n’y avait pas un seul jour à attendre pour faire la publicité de ce document essentiel et si intime dans la vie de chaque personne.
Le modèle proposé me paraît toutefois particulièrement vide et creux. Il ne me paraît pas de nature à dissiper les doutes, les angoisses et les silences que fait naturellement surgir toute pensée de sa propre fin.
Le modèle propose aussi, au début, de décrire si nécessaire sa situation personnelle ou familiale et également d’autres considérations très personnelles. Il n’est pas vraiment rappelé que si ce document est conservé dans son intégralité dans un "dossier médical partagé" qui est informatisé et interrogeable en ligne, de très nombreuses personnes seront automatiquement informées de ces considérations.
Ce choix d’inscrire les directives anticipées dans le "dossier médical partagé" a été proposé par un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) commandée par Marisol Touraine le 13 juillet 2015 et remis en octobre 2015 ("Expertise sur les modalités de gestion des directives anticipées de fin de vie" par Patricia Vienne et Jean-Yves Laffont, rapport 2015-111R) : « La mission propose que le registre prévu pour les directives anticipées soit intégré dans le dossier médical partagé (DMP). » (page 19 du rapport). Ce dossier est considéré comme le "registre national" qui est prévu par l’article 8 de la loi Claeys-Leonetti.
Le "dossier médical partagé" est un fichier informatisé contenant toutes les données médicales d’un patient qui va être généralisé à toute la population française en 2017.
Précisons aussi que l’association euthanasiste de Jean-Luc Romero (l’ADMD) avait posé officiellement sa candidature pour gérer le registre des directives anticipées, en faisant état de son expérience de déjà gérer un fichier de 50 000 directives anticipées rédigées par ses adhérents (mais ce fichier n’est pas informatisé ni connectable au personnel médical). L’ADMD souhaite légaliser et généraliser l’euthanasie après avoir milité (avec raison) pour le développement des soins palliatifs. Chaque fois, cette association veut toujours aller "plus loin" dans la culture de la mort. L’IGAS avait rejeté avec raison cette candidature en raison du principe de neutralité nécessaire à l’organisation et à la conservation d’un tel fichier.
Et n’oublions pas…
Le 3 décembre 2015, la ministre Marisol Touraine a lancé le si attendu plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie (annoncé trois ans et demi avant par François Hollande, le 17 juillet 2012 à Rueil-Malmaison). Au-delà des considérations juridiques, ce plan a surtout l’ambition de financer de gros efforts budgétaires concernant les soins palliatifs dont la faiblesse par rapport aux besoins est un véritable scandale humain.
Même si cela avance à petit pas, les pouvoirs publics réalisent quelques timides progrès pour accompagner les personnes proches de la mort. Il ne s’agit pas de résoudre les problèmes en tuant ou laissant mourir des personnes atteintes de maladies incurables mais de les accompagner le plus humainement possible en supprimant toute forme de souffrance et c’est pour cela que ce plan national pour les soins palliatifs est beaucoup plus important que n’importe quelle loi sur la fin de vie.
Mais avant la fin de vie, il est un drame que des centaines de milliers de personnes vivent avec leurs proches, à savoir celui de la dépendance. En 2011, Nicolas Sarkozy avait souhaité rajouter une cinquième branche à l’édifice de la sécurité sociale, pour financer les coûts très élevés de la dépendance (il faut compter au moins 100 euros par jour pour la prise en charge médicalisée d’une personne dépendante). Il serait temps que la concrétiser, étant donné que personne n’est à l’abri d’un tel drame…
Souhaitons que la campagne présidentielle qui se dessine soit l’occasion de redéfinir quelques fondamentaux pour rendre cette société plus humaine et plus solidaire, et donc, plus protectrice de ses membres les plus fragiles... autrement qu’en les supprimant purement et simplement.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 août 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Documents à télécharger : les décrets d'application de la loi Claeys-Leonetti.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Comme dans un mouchoir de poche.
Vivons heureux en attendant la mort !
Une sacrée centenaire.
Résistante du cœur.
Une existence parmi d’autres.
Directives anticipées.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Tuteur juge et partie.
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
Dernier round de la loi Claeys-Leonetti.
Consensus à la commission mixte paritaire du 19 janvier 2016.
Consensus sénatorial.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les deux rapports des commissions sénatoriales en deuxième lecture (à télécharger).
Retour synthétique sur la loi Claeys-Leonetti.
La loi Claeys-Leonetti en commission au Sénat pour la deuxième lecture.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Verbatim de la deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Adoption en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
La fin de vie en seconde lecture.
Acharnement judiciaire.
Directives anticipées et personne de confiance.
Chaque vie humaine compte.
Sursis surprise.
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