Inquiétudes sur la qualité de l’eau distribuée à proximité des sites pharmaceutiques
Deux études américaines (1) et suédoises (2) accusent directement l’industrie pharmaceutique de générer de redoutables pollutions hydriques. En France, on pensait que l’industrie pharmaceutique était soumise à des normes drastiques. Les résultats des mesures réalisées à New York devraient nous inciter à contrôler l’eau à proximité des sites pharmaceutiques. Explications.

A New York – le chercheur Patrick Phillips a réalisé des prélèvements à la sortie de 23 stations de traitements d’eau entre 2004 et 2009. Sa conclusion est limpide : les résidus de médicaments présents dans l’eau sont multipliés par 100 et 1 000 à proximité des sites pharmaceutiques !
En Inde - une équipe de chercheurs Suédois révélait déjà en novembre dernier que les usines pharmaceutiques de la ville d’Hyderabad, rejetaient massivement dans l’eau un mélange de 21 principes actifs médicamenteux.
« De quoi traiter chaque jour 90 000 personnes avec un puissant antibiotique » précisait Joakim Larsson, de l’Université de Gothenburg .Ces quantités hallucinantes sont ingurgitées tous les jours par les habitants de la région du Patancheru. (3)
A New York, les concentrations de médicaments dans l’eau sont moins apocalyptiques qu’en Inde. Mais restent très préoccupantes. Les chercheurs ont ainsi découvert - à la sortie des stations de traitement des eaux alimentées par des rejets des producteurs pharmaceutiques - des concentrations comprises entre 4 μg/L et plus de 400 μg/L.
Plus grave encore, dans les stations de traitement qui récupèrent les effluents des usines pharmaceutiques, des doses jamais vues d’opioïdes et de myorelaxants ont été détectées. La concentration de ces résidus est carrément alarmante avec 1.700 μg/L d’oxycoldine et 3.800 μg/L de métaxalone (4) dans l’eau du robinet.
Quels sont les effets sanitaires de ces résidus de médicaments ?
Tout dépend du dosage et de la durée d’exposition.
Lorsque les concentrations sont comprises entre quelques nanogrammes par litre (ng/l) et quelques centaines de microgrammes par litre (µg/l), il n’y pas de danger immédiat. Mais ces traces de médicaments dans l’eau sont préoccupantes à long terme.
Elles induisent de sérieux risques en cas d’exposition prolongée :
· pour la vie aquatique. Dans la Seine, on observe une féminisation des poissons liée aux résidus de médicaments à base d’hormones.
· pour notre organisme à long terme. Il y a trop de molécules médicamenteuses contenues dans l’eau et les interactions entre différents polluants (pesticides, PCB, médicaments, etc.) sont méconnues. Mais tous les experts s’accordent à dire que ce « cocktail ne peut pas être bon » (5).
· pour notre santé demain. A force d’être exposé à des molécules antibiotiques, notre métabolisme devient insensible aux traitements. Cela pourrait également favoriser la création de germes résistants aux antibiotiques.
Lorsque les résidus affichent une teneur supérieur à 1 milligramme par litre (mg/l) - les effets sur la santé sont immédiats :
· en Inde, où les niveaux mesurés battent tous les records, « 25 % de la population locale est touchée par des maladies graves », selon le Comité antipollution du Patancheru. Les doses de médicaments dans l’eau atteignent en réalité des niveaux stupéfiants avec 45 kg de Ciprofloxacine, rejeté dans le fleuve tous les jours (ce principe actif est utilisé par exemple pour le traitement des infections urinaires, otites, etc.)
· à New York, avec 1,7 mg/l d’antalgique (oxycoldine) et 3,8 mg/l de médicaments anti-rhumatismes (métaxalone), on soumet les consommateurs d’eau courante à des concentrations comparables à celles administrées à certains patients. Les consommateurs pourraient-il être touchés par les effets secondaires associés à ces molécules, comme la somnolence ou la dépression respiratoire ? Aucune étude épidemiologique n’a été lancée pour l’instant...
Et en France, quels dangers ?
Les teneurs en médicaments dans l’eau courante constatées en France n’ont jamais dépassé le seuil fatidique de 1mg/l, elles varient entre quelques nano-grammes par litre (ng/L) et quelques centaines de microgrammes par litre (µg/L).
Mais l’étude réalisée à New York laisse penser que la concentration de médicaments dans l’eau pourrait être 100 à 1000 fois supérieures à proximité des sites pharmaceutiques français.
Trois raisons renforcent cette crainte :
· la France est le premier producteur de médicaments en Europe,
· la teneur en médicaments dans l’eau ne fait pas partie des critères de qualité régulièrement contrôlés par les distributeurs d’eau et les autorités sanitaires,
· notre système de traitement des eaux est incapable d’éliminer les résidus médicamenteux, il n’a d’ailleurs pas été conçu pour cela.
Il serait donc intéressant d’opérer quelques prélèvements dans la région Centre qui constitue le principal bassin de production de médicaments en France. Les régions Rhône Alpes, Paca ou Ile de France pourraient également être exposées aux rejets d’effluents en provenance de l’industrie du médicament.
Quand on sait déjà qu’un CHU (6) moyen comme celui de Rouen rejette déjà 50 kg de codéine, 77 kg de tramadol et 5 kg d’acide valproïque directement dans la Seine chaque année, il paraît légitime de renforcer la surveillance des effluents également rejetés par l’industrie pharmaceutique. Cela nous permettra de savoir si certains bassins de populations sont exposés à des teneurs en résidus médicamenteux supérieures au seuil fatidique d’1 mg /l.
Notes et sources :
(2) Washington Times, 26 Janvier 2009, Worlds highest drug levels entering India stream.
(3) Des résultats révélés en 2009 qui ont mis en évidence le lien entre médicaments dans l’eau et sites de production pharmaceutiques. Cela peut paraître étonnant, mais les études précédentes mettaient en cause les particuliers ou les hôpitaux, jamais l’industrie pharmaceutique…
(4) L’oxycoldine et la métaxalone est utilisée dans des traitements contre la douleur ou les rhumatismes.
(5) The Lede, Blogging the News with Robert Mackey, There Are Drugs in Drinking Water. Now What ? 10 Mars 2008
(6) Le Télégramme de Brest, 6 septembre 2010, Médicaments : des résidus dans l’eau traitée
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