J’en ai plein le dos !
Jeux de maux …
Récit intime ...
Depuis le temps que je me complais à être sur le dos de mes contemporains, à déblatérer sur leur compte, leurs mésaventures et leurs bassesses, j'ai enfin reçu le coup de l'âne. La nature a repris ses droits, toutes mes railleries, mes billevesées se sont retournées contre moi. J'en ai plein le dos et c'est brisé et courbé que je dois, la mort dans l'âme, me mettre à l'arrêt !
Fini pour l'heure de jouer la bête à deux dos, les fantaisies et les galipettes ne sont plus à l'ordre du jour. Je traîne une raideur qui n'est pas de celle qui convient à la chose. Je passe le plus clair de mon temps sur le dos, c'est désormais pour soulager une douleur affreuse. Me voilà bien puni de mes fantaisies acides, de mes propos cassants.
Pour oublier ces plaisirs perdus, il me reste la ripaille. J'ai le dos au chaud et le ventre à table. Je gourmande des volailles qui ne sont plus « caqueteuses », je m'empiffre de belles plantes bien fanées, je lutine des délices trop inertes. Pour me souvenir des temps d'avant, je n'ai d'autre expédient que de dévorer des yeux ce qui, désormais, m'est inaccessible.
Durant cette période, je fais le gros dos, je supporte ma peine et mon embarras. Il faut contre mauvaise fortune faire bon cœur et s'ôter de l'esprit qu'il puisse être joli ! Le lumbago m'a tiré dans le dos, le coup fut redoutable et la sanction immédiate. Je suis sur le flan, inapte à la navigation et aux folles équipées.
Mais pourquoi diable, ce corps qui a, bon an mal an, supporté le bonhomme depuis si longtemps, a décidé soudainement de lui faire un enfant dans le dos ? La chose est d'autant plus surprenante que c'est par-devant qu'une certaine proéminence pourrait évoquer l'idée de grossesse ... Il me faut tourner le dos à l'espoir d'avoir belle apparence, me voilà affublé d'un profil qui n'est en aucun cas flatteur !
C'est l'instant choisi pour établir le bilan. Le dos au mur, il faut enfin admettre que les abus et les excès sont passés d'âge. Le chemin qui me reste à parcourir sera parsemé de dos d'âne et de chausse-trappes, les petits signes d'alors seront maintenant alertes à prendre en compte. Il n'est plus temps de prendre tout cela par-dessus le dos.
Un petit frisson, une sourde inquiétude me fait froid dans le dos. Il en est fini des années d'insouciance, la machine exige désormais de la modération en toute chose. Les belles années sont dans mon dos, celles qui se présentent seront plus délicates. Accepter les premières marques de la lente et inexorable d'échéance demande bien des reniements.
La réalité m'est tombée sur le dos. Les espiègleries, les farces, les coups de folies qu'on pensait ne jamais rembourser, réclament leur du. Il faut payer à tempérament ces dépenses inconsidérées. L'usurier du temps réclame son dû : douleurs, raideurs, fatigues, maux de toutes natures. La sagesse impose de lui concéder quelques sacrifices.
Ça suffit ! Je ne vais pas plus longtemps me laisser manger la laine sur le dos. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Sitôt remis d'aplomb, je compte bien brûler encore la chandelle par les deux bouts. Je laisse derrière moi ce coup de cafard ! Je vais renvoyer, dos à dos, prudence et tempérance, la demi-mesure n'est pas marinière.
Que gente dame vienne me passer la main dans le dos, plus n'est besoin d'y adjoindre de la pommade ! C'en est fini le temps des jérémiades. Je redresse le dos et la tête, je tourne le dos à cet épisode fâcheux. Que la fête recommence ! Ce maudit lumbago ne va pas me scier le dos plus longtemps
Dorsalement vôtre.
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