Je vis sur une autre planète !
Mon propos est de souligner un paradoxe géopolitique : au sein d’une Europe qui se veut moderne, laïque, égalitaire, mettant au frontispice de ses priorités la défense des Droits de l’Homme, il existe un petit pays qui représente à lui seul un condensé de paradoxes et de contradictions. Il s’agit de la principauté de Monaco.
Acceptée comme membre de l’ONU le 28 mai 1993, acceptée ensuite comme membre du Conseil de l’Europe le 5 octobre 2004, signataire du protocole de Kyoto en 2005 (un des derniers pays à avoir signé), la principauté de Monaco n’en accuse pas moins un retard vertigineux vis-à-vis de la majorité des pays européens, dans les domaines économique, politique, juridique et social. Je ne vais pas énumérer ici toutes les anomalies qui font de ce petit pays, par certains aspects, un bastion moyenâgeux, je me bornerai à un seul exemple qui met quelque peu en émoi la population locale. Évidemment, avec 7000 nationaux et à peine 32 000 habitants, l’actualité monégasque laisse le reste de la planète totalement indifférent, et c’est normal.
Mais le thème qui fait débat aujourd’hui dans les chaumières monégasques a pourtant de quoi mobiliser l’opinion des pays voisins, ne serait-ce que la France.
En peu de mots, voici ce dont il s’agit : sans doute l’ignoriez-vous, mais selon la loi en vigueur à Monaco, loi qui s’applique à tous ceux qui y résident, autochtones ou étrangers, l’avortement est illégal. Pas simplement l’interruption volontaire de grossesse, non, l’avortement médical également, connu sous le nom d’ITG, « interruption thérapeutique de grossesse ». Non seulement la pratique de l’avortement est punie par la loi, mais en plus la femme qui s’en rendrait « coupable » perdrait la garde de ses enfants en cas de divorce, et l’avortement lui-même serait d’ailleurs un motif suffisant pour que le mari demande et obtienne le divorce, aux torts de l’épouse.
Incroyable, me direz-vous, d’autant plus que géographiquement, la frontière monégasque est mitoyenne de la France, c’est une enclave !
Il y a cependant une explication : à Monaco, la religion catholique romaine est, selon la Constitution, religion d’État, et à ce titre, ce petit pays est dit « concordataire ». Cela signifie que l’Eglise est soutenue financièrement par l’État, et les religieux sont salariés, avec logements de fonction et véhicules de fonction. Disons-le avec des mots simples, être prêtre catholique à Monaco, c’est cool. Fort heureusement, la liberté de culte est néanmoins préservée et l’on trouve aussi à Monaco une église protestante, une église anglicane et une synagogue, même si, pour l’heure, il n’y a pas de mosquée.
Fort de cette situation de plein privilège, le clergé catholique bénéficie d’un grand pouvoir, se mêle d’un certain nombre d’affaires sociales et prend part à de nombreuses décisions, dès que la morale chrétienne peut avoir son mot à dire.
Comme notre Conseil national (nom du parlement monégasque comprenant 24 conseillers élus au suffrage universel pour une durée de 5 ans) a souhaité moderniser la loi sur l’avortement, et donc dépénaliser l’ITG, il s’en est suivi une levée de boucliers de la part du clergé, archevêque de Monaco en tête.
Ce dernier est en effet parti en campagne la semaine dernière, en allant d’église en église, avec un ton alarmiste, pour prévenir les fidèles du « danger » et leur demander de se mobiliser contre la légalisation de l’ITG. On se croirait revenu cinquante ans en arrière. Je vous rappelle que l’on parle bien d’ITG, et qu’il n’a jamais été question d’IVG, sujet qui n’est même pas à l’ordre du jour.
L’archevêque brandit haut et fort le sacro-saint principe de la « primauté de la vie » sur toute autre considération. Il existe d’ailleurs à Monaco un comité de soutien chrétien, issu de l’Eglise, destiné à accueillir les femmes enceintes pour les empêcher d’avorter. Il est bon aussi de rappeler l’attitude du pape Benoît XVI qui affirme que, je cite : « dans le cas de l’avortement, la peine de mort frappe quelqu’un d’absolument innocent ».
Pour tout arranger, quelques spécialistes du droit monégasque pensent que le projet de loi ne passera pas, à cause de la pression vaticane. En conséquence de quoi, les femmes enceintes qui souhaitent avorter continueront de la faire dans la plus grande discrétion, obligées de se cacher, en allant tout simplement en France.
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