Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
« Les gens doivent savoir qu’il ne s’agit pas d’une expérience unique que nous avons réalisée et que le vaccin n’a pas été fabriqué en dix mois. Nous avons modifié l’ARN messager et nous avons eu les honneurs, mais les vaccins sont basés sur plus de vingt ans de travail par Kati et moi et sur le travail de centaines, voire de milliers d’autres scientifiques. » (Drew Weissman, le 2 octobre 2023 au "New York Times").
Je reviens sur l'attribution du Prix Nobel de Médecine de l'année 2023, annoncé le lundi 2 octobre 2023 par le Comité Nobel : cette prestigieux récompense, aboutissement de grandes recherches, s'est portée sur le vaccin à ARN messager adapté à combattre le covid-19 et ses deux principaux "inventeurs", Katalin Kariko, d'origine hongroise, et l'Américain Drew Weissman, tous les deux travaillant dans une université américaine, celle de Pennsylvanie, à Philadelphie. Les deux lauréats recevront leur prix dans quelques jours. Inutile de dire que j'ai été très ému à l'annonce de ce Nobel.
Ce Prix Nobel répond à tous les impératifs de la recherche : un travail en équipe, un saut technologique voire une véritable révolution technologique, une réalisation concrète qui a sauvé des millions de vies humaines et aussi, et c'est peut-être le plus important, un espoir pour de nombreuses autres maladies, en particulier le sida et le cancer, même s'il faut toujours resté prudent dans ce domaine puisque d'optimisme n'ont pas toujours été tenues dans le passé.
Et en cerise sur le gâteau, ce Prix Nobel, qui donne une autorité morale indéniable (quoi qu'on en dise ! ceux qui le critiquent sont très loin de pouvoir y prétendre !), répond par excellence à tous ces complotismes antivax qui truffent le Web de fausses informations aux conséquences parfois mortelles (j'en prends pour exemple les frères Bogdanoff qui avaient refusé le vaccin à ARN messager, qui attendaient un vaccin classique et qui sont morts du covid-19). Il rappelle que la science médicale avance mais aussi qu'aucune avancée ne peut se faire sans argent (heureusement que des initiatives privées ont cru au vaccin à ARN messager et ont investi massivement).
En janvier 2021, j'avais envisagé (je n'étais pas le seul, bien sûr !) le Prix Nobel pour Katalin Kariko pour ce vaccin (on peut y lire son histoire), mais je pense que le Comité Nobel avait préféré prendre du recul sur ce vaccin et attendre deux années supplémentaires pour en confirmer tant l'efficacité que l'innocuité, deux éléments majeurs d'un vaccin ou d'un médicament. Je rappelle que jamais il n'a été dit, sinon par des déformateurs professionnels ou des ignorants qui s'ignorent, que le vaccin à ARN messager empêchait avant tout la contamination du covid-19, il réduit la contagiosité mais elle ne l'élimine pas massivement ; en revanche, et c'est ce qui avait été annoncé dès l'automne 2020, ce vaccin réduisait drastiquement (de l'ordre de 90% !) les risques de développer une forme sévère de la maladie qui, elle, peut aboutir en salle de réanimation voire à la morgue.
Aujourd'hui, il n'y a plus de doute sur son efficacité et son innocuité. Plus de 15 milliards de doses ont été injectées dans le monde et les agences de santé dans le monde considèrent que cette vaccination a sauvé une vingtaine de millions de vies humaines. Ce dernier chiffre, on y croit ou on n'y croit pas, on ne pourra jamais le confirmer sans refaire l'histoire et mettre en danger les personnes, mais ce qui est clair, c'est que finalement, malgré les nombreuses mutations du coronavirus SARS-CoV2, on en est enfin venu à bout (même si le covid-19 n'a pas disparu et continue à tuer, mais comme d'autres maladies infectieuses, grippe, tuberculose, etc.) et, pour répondre aux délires des complotistes antivax, il n'y a pas eu d'hécatombe due à la vaccination ; l'hécatombe, elle avait eu lieu avec la maladie, pas le vaccin (7 millions de décès déclarés dans le monde, probablement le double).
Pourquoi les antivax semblent-il si enragés encore aujourd'hui ? Probablement parce que jamais une vaccination n'a été aussi mondialement généralisée (15 milliards de doses en trois ans) et jamais elle n'a été aussi transparente. En effet, chaque personne vaccinée pouvait signaler un effet secondaire sur le site Internet adéquat, éventuellement aidé de son médecin, mais parfois tout seul. On peut imaginer, au-delà des médisances, qu'avec toutes les peurs (moyenâgeuses) véhiculées sur Internet, le moindre pépin de santé fasse croire à un effet du vaccin. Malheureusement, le vaccin en question réduit énormément les risques de mourir du covid-19, mais pas d'autre chose, n'empêche ni le cancer de naître, ni les embolies pulmonaires de survenir, ni les AVC de surgir, et l'étude détaillée des statistiques ne montrent pas une augmentation de ces affections depuis la vaccination contre le covid-19.
Ces attaques contre le vaccin à ARN messager sont d'autant plus étonnantes (et malveillantes) qu'il répond justement aux arguments (souvent erronés) des antivax du vaccin classique qui sont principalement : d'une part, l'adjuvant à l'aluminium qui serait mauvais pour la santé (rien ne l'indique et cela a fait perdre beaucoup de temps pour la vaccination contre l'hépatite B au début des années 2000) ; d'autre part, l'inquiétude d'inoculer le virus de la maladie dans l'organisme avec le risque d'être atteint par cette maladie. Le vaccin à ARN messager n'a pas besoin d'adjuvant (il aurait plutôt besoin du contraire) et, au contraire du vaccin classique, le vaccin à ARN messager ne provoque pas la formation du virus lui-même mais d'une protéine particulière au virus pour inciter le corps à créer des anticorps contre ce virus.
Mais ces attaques sont peu scientifiques et qu'importe la rationalité : les complotistes s'amusent avant tout à casser, à tromper, à s'opposer, même si cela peut se révéler très irresponsable. Heureusement, nous sommes en liberté d'expression, ce qui signifie que ce genre d'excès ne peut donc être évité, il s'agit donc d'opposer des arguments éclairés par la science et le Prix Nobel donne ainsi une auréole qui, pour bien des profanes, n'est certainement pas inutile.
Rappelons l'histoire humaine. Katalin Kariko travaille sur l'ARN messager depuis plus d'une trentaine d'années. Cela n'a rien à voir avec la recherche génétique : justement, la mode, ce n'était pas l'ARN messager, mais l'ADN, tout simplement. Les thérapies génétiques relèvent de l'ADN et pas de l'ARN. En principe, ceux qui ont étudié jusqu'au baccalauréat devraient avoir ce minimum de culture scientifique, la différence entre ADN et ARN messager, mais je doute que cela suffise à éviter les peurs qui, comme pour le nucléaire ou les ondes des smartphones ou de la wifi, font appel avant tout à l'ignorance scientifique du trouillard. Donc, pour faire honteusement très court, disons que l'ARN messager est une molécule très instable servant uniquement à dupliquer une série de protéines de l'ADN. L'ADN est stable, c'est même une sorte de Graal, notre code génétique, notre QR code, notre carte d'identité, quand j'écris "notre", c'est celle de tous les vivants, c'est large, alors que l'ARN messager n'est qu'un facteur furtif qui disparaît après avoir acheminé le courrier. Katalin Kariko cherchait, difficilement car peu de budget était alloué (sujet pas à la mode), à utiliser l'ARN messager à la lutte contre les cellules cancéreuses.
Drew Weissmann, lui, travaillait sur la confection de vaccins contre le sida à base d'ADN. Et malheureusement, l'ADN étant très stable, les effets secondaires de ces candidats vaccins étaient déplorables puisqu'il était possible de provoquer des mutations génétiques (d'où les peurs, pour le coup justifiées). Les deux chercheurs se sont rencontrés un peu par hasard devant une photocopieuse en 1998. Ce fut le départ d'une coopération longue et fructueuse.
La collaboration des deux chercheurs (jusqu'en 2013) a permis la confection d'un vaccin à ARN messager. L'une des principales difficultés, c'était que l'injection d'ARN messager provoquait une surréaction immunitaire de la part de l'organisme. Il a fallu ainsi modifier l'ARN messager pour en garder le fonctionnement tout en évitant cette réaction immunitaire. Cela a donné lieu à un brevet majeur en 2010 qu'ont utilisé, entre autres, les entreprises BioNTech et Moderna (dont c'est la dénomination provient de "Modified RNA").
L'intérêt de l'ARN messager, c'est qu'il ne peut pas s'intégrer au noyau de la cellule, cette molécule ne peut donc pas modifier le génome. En revanche, comme elle est très instable, il a fallu trouver des solutions technique et ce fut là le point critique de la confection du vaccin : garder stable l'ARN messager jusqu'au but recherché (duplication de protéines à un endroit donné). C'est pour cela qu'il y a des contraintes sur le transport et le stockage, notamment en température, pour ne pas perdre l'ARN messager qui est stabilisé dans une sorte de bain d'huile à l'intérieur de nanobilles en graphène (du coup, de la part des complotistes, on a pu entendre n'importe quoi sur le graphène).
Cette stabilisation de l'ARN messager a été aussi le fruit de nombreuses autres études de chercheurs qui n'ont toutefois pas été récompensés par le Nobel à cette occasion. Ainsi, "Le Monde" du 2 octobre 2023 a rappelé : « Le palmarès laisse ainsi dans l’ombre ceux qui sont venus avant, tels les Américains Robert Malone et Philip Felgner, les premiers à avoir montré, en 1990, qu’un mélange d’ARN messager et de graisses pouvait entrer dans des cellules et produire des protéines. Ou encore les Français Frédéric Martinon et Pierre Meulien, qui établirent, en 1993, que des ARN messagers encapsulés dans des sphères de lipides pouvaient déclencher une réponse immunitaire. Il oublie leurs contemporains, comme l’Allemand Ingmar Hoerr et le Français Steve Pascolo, fondateurs de la start-up CureVac, les premiers à avoir réalisé, entre 2003 et 2006, l’essai clinique d’un "vaccin anticancer" appuyé sur cette technique. Et tous ceux qui, plus tard, chez BioNTech et Moderna, ont œuvré pour assembler ce puzzle révolutionnaire. Il laisse encore de côté le Canadien Pieter Cullen, concepteur de l’armure de nanoparticules lipidiques indispensable à l’acheminement du fameux ARN. Une longue chaîne, en vérité. Mais le règlement du Nobel impose de limiter à trois le nombre de lauréats. » (Nathaniel Herzberg).
En quoi ce vaccin est-il révolutionnaire ? La première chose, comme écrit plus haut, il ne joue pas avec le feu en inoculant le virus de la maladie. Ensuite, il prend en compte seulement une protéine particulière, pour le covid-19, la molécule spike qui a surtout la capacité de faire la contamination (s'intégrer dans une cellule de l'organisme). Bien sûr, et c'était le problème sur ces deux ou trois dernières années, la protéine spike du coronavirus a également muté et il fallait donc, pour préserver l'efficacité du vaccin, adapter le vaccin à cette mutation. Du reste, c'est bien la preuve que les encouragements à faire des rappels de vaccination dictés par les gouvernements n'ont pas pour but d'écouler un stock de vaccins déjà produits, puisqu'il s'agit de vaccins adaptés à la situation du moment (les vaccins qui servent aujourd'hui ont été introduit sur le marché français au début du mois d'octobre 2023).
Dans la production du vaccin, ce qui est important est la connaissance génétique du virus ou de la bactérie à combattre. C'est donc un décodage du génome qui est nécessaire (pour le SARS-CoV2, le génome a été connu dès la troisième semaine de janvier 2020). C'est la raison pour laquelle le vaccin a pu être fabriqué et mis sur le marché aussi rapidement. Ce qui était le plus long, c'était les inévitables (et toujours obligatoires, malgré l'urgence sanitaire) tests cliniques qui permettent d'évaluer l'efficacité et l'innocuité du vaccin. Pour le covid, ces tests ont démarré dès avril 2020, en pleine première vague. La rapidité des contaminations et leur globalisations ont permis d'aller vite pour les tests cliniques (au contraire du virus d'Ebola, par exemple), dans la mesure où l'éthique médicale interdit heureusement qu'on inocule le virus aux patients testés (on doit donc attendre qu'ils soient contaminés naturellement).
En fait, c'est bien dans le développement et la production que sont les avantages majeurs du vaccin à ARN messager, surtout dans le cas d'une pandémie soudaine et généralisée comme on l'a connu en 2020 : on peut garder les mêmes unités de production avec des ARN différents, il suffit de modifier l'ARN messager en question pour adapter l'outil de production à une autre infection. C'est un avantage compétitif complètement fou par rapport aux autres médicaments ou vaccins, l'adaptabilité et la rapidité.
L'espoir, c'est l'utilisation de cette technologie pour le cancer. Le problème du cancer est qu'il est individuel et propre à chaque patient. C'est pour cela que certains réagissent à certains traitements et d'autres pas. Avec l'ARN messager, on peut identifier celui des cellules cancéreuses, avec de l'argent (le métal, pas la monnaie !), on peut localiser la sortie de l'ARN dans le corps par simple laser (en pointant à l'endroit voulu). Et donc faire un traitement très localisé du cancer. Ainsi, on peut concevoir un vaccin spécifique à un patient particulier, et dans l'avenir, chaque hôpital devra avoir sa machine lui permettant de délivrer la molécule ARN messager voulue, comme maintenant il a son scanner et son IRM.
Pour en savoir plus, j'incite vivement le lecteur à regarder l'excellent documentaire de Raphaël Hitier et Fabrice Delaye qui a été diffusé sur Arte le samedi 7 octobre 2023 et qui rappelle notamment l'origine de la découverte : « En 1965, les Français François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff remportent le Nobel de Médecine pour avoir identifié le processus par lequel l'ARN messager, fabriqué à partir de l’ADN, dirige la production de toutes les protéines dans les cellules. Un processus auquel sont soumis tous les êtres vivants, qui permet notamment aux cellules du foie de fournir de l’insuline ou à celles de la peau de produire les cheveux. Mais dans les années 1980, alors qu’à l’aube de la révolution des thérapies géniques, l’argent afflue vers les laboratoires pour lutter contre le sida, le roi ADN concentre tous les moyens et l’attention aux dépens de l’ARN messager. » (Attention, cette vidéo est disponible seulement jusqu'au 5 décembre 2023).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
7 questions sur les vaccins contre le covid-19.
Covid-19 : vaccins et informations parcellaires.
Katalin Kariko : bientôt un Nobel ?
Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
Covid : la contre-offensive du variant Eris.
Hubert Reeves.
Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
Des essais cliniques sauvages ?
John Wheeler.
La Science, la Recherche et le Doute.
L'espoir nouveau de guérir du sida...
Louis Pasteur.
Howard Carter.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.
Frank Drake.
Roland Omnès.
Marie Curie.
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