« L’altération des fonctions des gènes est différente entre l’animal et l’homme »
En quelques semaines, ce sont des dizaines de médicaments ayant reçu une autorisation de mise sur le marché de l’ Afssaps qui se retrouvent sur la sellette. S’appuyant sur les analyses de la revue médicale indépendante Prescrire, l’association de défense des consommateurs UFC Que Choisir vient de publier une liste de 31 médicaments à éviter, dont 8 particulièrement dangereux, sont à retirer du marché sans attendre : Actos, Arcoxia, Equanil, Hexaquine, Nexen, Valdoxan, Vastarel et Zyban(1). Une question cruciale demeure soigneusement évincée par les autorités sanitaires : les conflits d’intérêts sont-ils la seule explication à ces dérapages ? Véronique Andrieu, vice-présidente de la commission d’AMM nuance : « Nos avis sont pris dans la collégialité. Il ne s’agit pas de la décision d’une seule personne. Maintenant, on est tous conscients que certains experts ne jouent pas le jeu. »(2) Dès lors, n’y a-t-il pas une problématique de fond quant à la façon de tester ces produits qu’il convient de traiter sans aucun tabou ?
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L225xH225/images-93-475c5.jpg)
"L’altération des fonctions des gènes est différente entre l’animal et l’homme. Il a été trouvé, par exemple, que la saccharine facilite le développement de tumeurs chez la souris, ce n’est pas le cas pour l’homme." Renato Dulbecco, Prix Nobel de médecine.
Quand des experts indépendants défient la foi absolue en l'expérimentation animale
L'un d'eux, Ray Greek a publié ses travaux dans des périodiques scientifiques et non scientifiques. Il a participé à de nombreuses émissions de télévision dont la BBC et CNN. Depuis 1996, il est le président de l’association Americans For Medical Advancement.
Ray Greek a obtenu son doctorat de médecine à l’Université d’Alabama-Birmingham en 1985, puis sa spécialisation en anesthésiologie à l’Université de Wisconsin-Madison en 1989. Il a exercé dans deux hôpitaux universitaires où il a également fait de la recherche sur l’homme. Il avait, auparavant, participé à de la recherche sur des animaux. Ses travaux ont été publiés dans des périodiques scientifiques et non scientifiques. Il a participé à de nombreuses émissions de télévision dont la BBC et CNN. Depuis 1996, il est le président de Americans For Medical Advancement.
Interview du Docteur Ray Greek, expert en anesthésiologie, au sujet de l’expérimentation animale
Antidote Europe (AE) : Pouvez-vous indiquer à nos lecteurs comment vous en êtes venu à remettre en cause l’efficacité des expériences sur des animaux ? Votre premier livre a été co-écrit avec votre épouse qui, il est intéressant de le noter, est vétérinaire.
Ray Greek (RG) : Vers la fin des années 1980, mon épouse Jean suivait des cours de médecine vétérinaire dans la même université où j’enseignais la médecine humaine. Le soir, à la maison, nous discutions des traitements que nous utilisions sur nos patients, des différentes maladies dont ils souffraient, des différentes façons de les anesthésier, etc. Nous avons rapidement réalisé que ses patients chats et chiens avaient peu de choses en commun avec les miens. Des maladies mortelles pour l’homme n’affectaient pas ses patients et des médicaments qu’elle utilisait ne pouvaient pas être prescrits aux humains. Ceci nous a amenés à nous demander s’il était rationnel d’expérimenter sur des animaux dans le but de trouver des thérapies pour l’homme.
Après plusieurs mois d’une discussion assez intense, j’ai demandé à plusieurs médecins-chercheurs si ce qu’ils faisaient sur des animaux conduisait vraiment à développer des traitements pour l’homme. Tous m’ont répondu que, bien que la recherche spécifique qu’ils faisaient n’y conduisait pas, les recherches d’autres chercheurs menaient bien à ces traitements. J’ai trouvé cela très intéressant car ce que chaque chercheur disait, c’est que l’expérimentation animale était utile pour les autres. Chacun pensait que l’expérimentation animale était extrêmement importante pour quelqu’un d’autre. C‘était même assez amusant d’aller ainsi d’un chercheur à l’autre et d’entendre exactement la même chose.
AE : Vous êtes l’auteur ou le co-auteur de cinq livres qui critiquent l’expérimentation animale d’un point de vue strictement scientifique. Votre dernier livre Modèles animaux à la lumière de l‘évolution (co-écrit avec le professeur Niall Shanks) traite avec force détails de la question de la prédictivité. Pourriez-vous expliquer, pour un public non scientifique, l’importance de ce concept clé et son impact sur la santé humaine et l‘évaluation des risques toxiques ?
RG : Le public accepte la recherche utilisant des animaux sensibles car il lui a été dit que cette recherche permettait de développer des médicaments plus sûrs et plus efficaces car si l’animal meurt ou subit des lésions suite à l’essai, alors ce médicament ne sera pas mis sur le marché. En d’autres termes, la réaction animale peut permettre de prédire la réaction humaine. Ce que j’ai appris vers la fin des années 1980 c’est que ceci est tout simplement faux. Les différentes espèces animales ont une évolution différente avec des différences dans l’expression et la régulation des gènes de sorte qu’aucune espèce animale ne peut prédire la réaction d’une autre espèce, dans ce cas, de l’homme. C’est aussi vrai pour l‘étude des maladies humaines à partir de recherches sur des animaux. On fait la supposition que si des chercheurs déterminent comment le VIH entre dans les globules blancs d’un singe alors ils auront appris comment ce virus entre dans les globules blancs d’un homme. Encore une fois, on peut démontrer que ceci est faux. Donc, la société utilise des animaux pour tester des médicaments et trouver des thérapies en pensant que les modèles animaux prédisent ce qui se passera chez l’homme alors que ces modèles ne permettent pas cette prédiction. La société permettrait-elle l’utilisation d’animaux sensibles si elle était consciente du manque de prédictivité de ces “modèles” ? Cela concerne aussi les lois et les réglementations en vigueur dans des pays comme les Etats-Unis ou le Royaume Uni et qui mènent à décider quels médicaments et substances chimiques peuvent être vendus.
AE : Il y a de nombreuses et très fortes preuves scientifiques du fait que les études sur des animaux ne permettent pas de prédire les réactions humaines. Donc, à votre avis, quels sont les principaux obstacles au remplacement de cet ancien paradigme par un paradigme nouveau ?
RG : Le nouveau paradigme est de faire les essais sur du matériel biologique humain, et même, sur l’individu qui va recevoir le médicament. Votre principale préoccupation n’est pas de savoir comment tel médicament va agir sur la plupart des gens mais, plutôt, comment il va agir sur vous. On peut déterminer cela en faisant un essai sur vos propres gènes grâce à une puce à ADN. Ceci se fait déjà de façon courante pour certains médicaments. Les raisons pour lesquelles nous ne progressons pas davantage dans ce domaine sont les mêmes que celles pour lesquelles la société conserve d’autres pratiques ridicules. La recherche sur des animaux est alimentée par les mêmes forces de la nature humaine qui ont lésé des individus depuis l’aube des temps : ignorance, cupidité, ego, préservation de soi, peur. Ajoutez à cela l’inertie et l’obéissance au système et vous aurez la formule parfaite pour maintenir florissante cette industrie multi-milliardaire.
Beaucoup de personnes s’enrichissent en utilisant des animaux pour la recherche et la toxicologie et des institutions ont grandi aux côtés de ces individus. Tant que chacun n’aura pas réalisé que, en tant qu’individus, nous pouvons être lésés par les tests et la recherche sur des animaux, les groupes qui ont des intérêts dans ces tests et recherches continueront à en profiter, au détriment des patients.
AE : Après avoir identifié les obstacles au progrès, quelle serait, d’après vous, la stratégie la plus efficace pour conduire au changement ?
RG : L’information. La société dans son ensemble doit pouvoir comprendre ce qui se passe et pourquoi. C’est seulement alors qu’elle sera capable de s’opposer avec suffisamment de force aux groupes qui ont des intérêts dans l’expérimentation animale. Je suggère la lecture de notre livre(3), destiné à un public de non scientifiques, Les Questions les plus fréquentes au sujet de l’utilisation des animaux en sciences. Ce livre a été écrit pour informer un public cultivé non scientifique sur les raisons de l’utilisation des animaux dans la recherche, pourquoi cette démarche est un échec et quelles sont les conséquences de cet échec. Je ne recommande pas ce livre dans un intérêt personnel ; tous les bénéfices sont versés à des associations. La société ne fera pas l’effort de changer le système tant qu’elle n’aura pas compris à quel point le système est corrompu et à quel point les recherches sur des animaux sont dangereuses pour l’homme. Ce livre(3) est une bonne source pour commencer à apprendre ces choses.
AE : Merci beaucoup pour le temps que vous avez consacré à cette interview. Avez-vous d’autres commentaires que vous aimeriez partager avec nos lecteurs ?
RG : Depuis plus de 150 ans, des groupes anti-vivisectionnistes et de protection animale ont montré à la société à quel point l’expérimentation animale était mauvaise. Pourtant, la société n’a pas réclamé de changement, pensant que cette pratique était nécessaire pour le progrès scientifique et la découverte de thérapies. Nous disons que, même si vous aimez les animaux ou si vous aimez manger des animaux, il est dans votre intérêt de vous informer davantage sur ce sujet car votre santé, voire votre vie, ou la vie de quelqu’un que vous aimez, pourrait un jour dépendre d’une recherche biomédicale viable, basée sur les connaissances que nous avons dans des domaines comme la génétique ou la biologie de l‘évolution. Si la société continue à permettre aux chercheurs en blouse blanche de continuer comme jusqu‘à présent, les patients continueront à souffrir et à mourir.
Scientifiquement parlant, les modèles animaux ne peuvent pas prédire la réponse humaine et ceci ne va pas changer. Il faut que tout le monde en soit conscient et s’implique pour exiger les changements nécessaires.
Interview réalisée par Antidote Europe, un comité scientifique ayant pour vocation le développement d’une science sûre et responsable.
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON