L’AM3506, une molécule de synthèse contre la peur ?
Des chercheurs de la Duke University et du National Institute of Health (U.S.) ont récemment approfondi (1) les modalités d’une action particulière sur une voie métabolique permettant de calmer des souris stressées ou angoissées via neuromodulation chimique. Ils ont aussi pu déterminer que les différences des taux naturels des molécules concernées, chez l’Homme, s’expliquaient par des expressions génétiques variables et reproduisaient, via des expériences de psychologie cognitive menées sur des volontaires, les différences de comportement face au stress (et plus précisément la « peur ») précédemment simulées et relevées chez les souris par modulations moléculaires. C’est aussi un progrès dans la compréhension du circuit physiologique cérébral de la peur. Il est donc désormais possible de limiter la « peur » chez l’Homme, avec une simple molécule, l’AM3506. Cependant, cette « augmentation » reste délicate à appréhender puisqu’elle entraîne également une potentielle "diminution", et peut soulever certaines questions éthiques.
Le docteur Andrew Holmes et ses collègues ont observé chez la souris les effets comportementaux d’une diminution des niveaux d’hydrolase (enzyme) des amines d’acides gras ou FAAH pour Fatty Acid Amide Hydrolase. Cette enzyme diminue les taux d’une endocannabinoïde, l’« anandamide » (AEA), responsable de la régulation, c’est-à-dire de la diminution des niveaux de stress, d’angoisse, d’anticipation et de « peur » chez de nombreux mammifères. Plus il y a d’anandamide qui n’est pas dégradée par l’enzyme FAAH, et moins l’animal (ou l’Homme) est stressé. Plus il y a d’hydrolase FAA, et plus l’animal a « peur ». Augmenter artificiellement les niveaux d’anandamide reviendrait à limiter significativement l’intensité de stress, d’angoisse et de « peur ». Les scientifiques du Laboratory of Behavioral and Genomic Neuroscience ont ainsi administré un agent inhibiteur de la FAAH à des souris afin de diminuer leur stress. Cette molécule baptisée AM3506, c’est le 5-(4-hydroxyphenyl)pentanesulfonyl fluoride. Elle a été synthétisée (2) par le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIH) dès 2011 spécifiquement pour inhiber la FAAH. Cependant que, depuis 1996, des chercheurs (3) du Neurosciences Institute, CA.-US, avaient déjà établi que le chocolat (le cacao) contient de l’anandamide ainsi que les molécules N-oleoylethanolamine et N-linoleoylethanolamine, capables d’en imiter les effets.
L’étude (4), publiée le 12 juin 2012 dans Nature/Molecular Psychiatry, démontre que l’AM3506 a très probablement les mêmes effets chez l’Homme, car le circuit métabolique impliqué est précisément le même, de l’expression génétique jusqu’à la dégradation de l’anandamide par la FAAH. En mettant en concurrence, au moyen d'une expérience de psychologie cognitive simple, des personnes exprimant faiblement le gène responsable de la FAAH à des personnes l’exprimant plus fortement. Les participants (ou plutôt leur cerveau) réagissaient à des images angoissantes et moins angoissantes qui leur étaient projetées. L’activité cérébrale était enregistrée grâce à un IRMf, ce qui a permis de visualiser des activations plus ou moins importantes du complexe amygdalien. Une activité importante lors du visionnement des images angoissantes signale une activité importante du circuit physiologique de la peur, donc des niveaux de FAAH plus importants et une diminution de l’anandamide se traduisant par un stress plus élevé. L’AM3506 pourrait donc tout-à-fait fonctionner chez l’Homme, et permettre une diminution temporaire de la peur. Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer la posologie, la toxicologie et la pharmacocinétique de l’AM3506. Mais cette molécule existe d’ores et déjà et semble structurellement simple et facile à produire, ce qui suppose des génériques (indiens) peu chers. Coïncidence, des travaux de recherches réalisés par un autre laboratoire (5) et dans un autre domaine de neuromodulation du circuit neurophysiologique de la peur – via l’action d’un peptide tiers ont été publiés dans l’édition de juin 2012 de la revue FASEB avec le titre : La libération des gliotransmetteurs via les hemicanaux de connexine 43 astrogliale est nécessaire pour la consolidation des souvenirs d’expériences de peur dans les amygdales basolatérales (Release of gliotransmitters through astroglial connexin 43 hemichannels is necessary for fear memory consolidation in the basolateral amygdala).
Évidemment, il ne s’agit pas d’endormir ou de diminuer la vigilance du sujet humain, ce qui n’aurait alors plus aucun intérêt, d’autant plus qu’une des nombreuses applications de l’AM3506, concerneraient probablement le combattant, qu’il soit sur le terrain ou bien qu’il doive, après coup, récupérer d’un conditionnement traumatique de type PTSD (trouble de stress post-traumatique). Pour ce qui concerne, par exemple, l’étude (4) du NIH, il serait même possible de prévenir en partie ces pathologies si le traumatisme survient lorsque les taux d’anandamide sont suffisamment élevés, c’est-à-dire peu après la prise d’un inhibiteur de la FAAH tel que l’AM3506. Augmenter la quantité d’anandamide permettrait aussi de diminuer la sensation de douleur, sans perte cognitive significative. L’enjeu est en effet d’obtenir une diminution ponctuelle de la peur, sans effets secondaires et sans diminution cognitive quelconque (mémoire de travail, mémorisation, focus, fonction exécutive et vigilance par exemple).
Ces objectifs sont délicats à atteindre, puisque, de manière apparemment contradictoire, des études - parfois récentes, et que nous avions relevé ici (6) et là (7) montrent que la peur et que l’angoisse jusqu’à un certain degré proto-pathologique possèdent des propriétés d’augmentation de la vigilance, de la fonction exécutive (pour simplifier à l’extrême : la vitesse de calcul) et du quotient intellectuel de manière générale. Des effets probablement liées aux voies de survie et d’évolution génétique d’Homo Neanderthalensis, d’Homo Sapiens et de leurs ancêtres depuis plus de 200.000 ans. Ainsi, une étude (8) publiée le 6 juin 2012 dans The Journal of Neuroscience met en lumière qu’une plus grande « peur » permet à des rats de beaucoup mieux retenir une information – à long terme, qui y est associée que l’absence de peur, et cela via des voies de signalisation là encore au niveau des amygdales (corpus amygdaloideum), et impliquant la protéine Kinase A (PKA). Alors, verra-t-on dans les années à venir l’utilisation de médicaments non anesthésiants contre la peur : des molécules du courage ? Pour le moment, le chocolat reste un excellent Ersatz de l'AM3506. Si chacun devait se rendre maître de lui-même, chacun devrait aussi mener une réflexion éthique et participer à la compréhension de l’augmentation cognitive dans ses plus petites circonvolutions, là où les plans technologiques, scientifiques et éthiques ("quelle volition ?") se rencontrent subtilement.
(1) http://www.eurekalert.org/pub_releases/2012-06/du-wab060812.php
(2) http://caitlingoestodc.blogspot.fr/2011/08/pharmacokinetics-of-novel-faah.html
(3) Di Tomaso E, Beltramo M, Piomelli D. « Brain cannabinoids in chocolate ». Nature 382, (Aug 1996). http://www.nature.com/nature/journal/v382/n6593/abs/382677a0.html
(4) O. Gunduz-Cinar, K. P. MacPherson, A. Holmes et al. « Convergent translational evidence of a role for anandamide in amygdala-mediated fear extinction, threat processing and stress-reactivity ». Molecular Psychiatry, (12 June 2012). http://www.nature.com/mp/journal/vaop/ncurrent/full/mp201272a.html
(5) Stehberg J., Moraga-Amaro R., Retamal M. A. et al. « Release of gliotransmitters through astroglial connexin 43 hemichannels is necessary for fear memory consolidation in the basolateral amygdale ». FASEB, (June 4, 2012). http://www.fasebj.org/content/early/2012/06/04/fj.11-198416.abstract
(6) http://amplicog.fr/2012/05/du-cafe-pour-lutter-contre-la2ar-augmenter-sa-memoire-prevenir-alzheimer-vivre-plus-longtemps/
(7) http://amplicog.fr/2012/03/lanxiete-ameliore-immediatement-lodorat/
(8) Ryan G. Parsons and Michael Davis. « A Metaplasticity-Like Mechanism Supports the Selection of Fear Memories : Role of Protein Kinase A in the Amygdala ». The Journal of Neuroscience, (6 June 2012). http://www.jneurosci.org/content/32/23/7843.abstract?sid=e32ddf50-c6a6-4e80-acbe-a046545e1c5b
Auteur : A.E.
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