Le collectif Hypertension : A l’image de Génération Précaire, de Sauvons les riches, Jeudi-Noir, le collectif Hypertension s’est réuni sur une préoccupation centrale : les inégalités face aux soins. Malgré leur nom assez parlant, il ne s’agit pas de sensibiliser sur les soucis cardiologiques des quinquagénaires mais plutôt de montrer une volonté très pro-active de pousser des idées concernant les tensions inégalitaires qui traversent la société concernant la santé. Ainsi, le jeune collectif a une volonté de mettre en relief les répercussions brutales et aberrantes de politiques lancées depuis quelques années. L’accès au soin dans leur démarche est un point essentiel. On sait par exemple que le patient CMU parcours un véritable chemin de croix pour pouvoir être soigné par certains généralistes et pire encore par des spécialistes. Les séances de testing des professionnels de santé ont été affligeantes pour le corps médical qui a fait un serment d’hypochrate : « Le Fonds CMU dans une enquête, menée en 2005, réalisée auprès de 215 médecins et dentistes dans le département du Val-de-Marne montrait les médecins spécialistes opposent un taux de refus de (41%) comme celui des dentistes (39,1%). Les médecins généralistes opposent un taux de refus de soins de 4,8 % (1,6% pour les généralistes du secteur 1 ; 16,7% pour ceux du secteur 2) ». Une autre enquête de Médecin du Monde montrait des résultats aussi alarmants dans le courant 2006 avec une assise d’étude plus large. En 2008, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques se scandalisait de voir que plus d’un tiers de ces bénéficiaires de la CMU avait déjà connu un refus de soins de la part d’un professionnel de santé. Le « collectif Hypertension » a été enfin alerté de cette vague de refus par un nouveau signe particulièrement inquiétant concernant un sondage LH2/CISS indiquant que les refus de soins touchent essentiellement les personnes aux revenus les plus faibles. Alors que 3% des Français disent y avoir été confrontés à cela en population générale, 13% parmi ceux ayant des revenus moyens, les bénéficiaires de la CMU en constituent une masse de 60% des personnes qui se sont vu opposer un refus de soins. Ainsi à Paris, on retrouve les clivages sociétaux souvent pointés du doigt par deux sociologues Monique et Michel Pinçon Charlot dont l’expertise concerne les disparités de richesses. Ainsi, dans le 7 ième arrondissement, le taux de refus est de 59% alors qu’il n’est de 35% dans le 13ième arrondissement et enfin 32 dans les quartiers populaires du 18ième. Face à ces constats, il y a deux ans, un représentant du Conseil de l’ordre des médecins disait lors d’un colloque d’éthique médicale grossièrement qu’il s’agissait de légendes urbaines et que le conseil n’avait que très peu de plainte concernant les patients CMU. Tout était dit dans ce sarcasme très suffisant, on imagine d’abord le désarroi d’un homme repoussé du soin avec brutalité, l’humiliation sociale assénée par un professionnel et enfin le dédale de recours impossibles pour quelqu’un qui ne saurait même pas s’exprimer devant un avocat et dont le principal souci est de se nourrir jusqu’à la fin du mois. En effet, intenter une procédure complexe face à un conseil de l’ordre dont la « réputation d’objectivité » s’illustre par le seul fait qu’il est actuellement dirigé par un ancien élu de la Mairie de Neuilly… Mais ceci est un autre débat.
Le collectif Hypertension se préoccupe aussi de la santé de tous. Il voit les effets massivement délétères des franchises médicales et des déremboursements. L’accès au soin et aux médicaments est donc remis en question avec les politiques aveugles ou à courte vue stratégique. Telle année, les veino-toniques seront évacués des listings, telle autre année des médicaments dits de conforts. Enfin des produits taxés d’inefficacité. Pourtant, ceux qui ont des antennes dans des agences de santé savent que ces « petits cachets » sont particulièrement importants pour accompagner des sujets âgés qui ont bien besoin de stabiliser leur condition de vie. Il aura suffit surement de la parole d’un expert pour bannir tel produit de la liste de remboursement. Ainsi, l’Etat fait des économies sur le présent et hypothèque la santé sur le moyen terme. Les patients ne peuvent pas tous se payer « l’élixir » qui fait un peu de bien et on les retrouve quelques années plus tard avec des états de santé plus abrupts. Leurs jambes lourdes seront les phlébites de demain…
L’appel à une fausse solidarité est aussi un gadget de gouvernements libéraux. Au départ personne n’a vu de mal dans ces quelques euros prélevés sur des actes médicaux ou des achats à la pharmacie. Mais l’aspect cumulatif commence à bloquer bon nombre de patients qui ne peuvent plus suivre. On imagine le calvaire de certains séropositifs qui pour des raisons de pauvreté doivent oublier certains produits dit de « confort » voire de « luxe ». Idem pour certains cancéreux qui sont convoqués par l’Assurance Maladie pour vérifier leur aptitude au travail à cause d’une politique de flicage jumelée avec une logique de chiffre. Le Collectif Hypertension met donc le doigt sur ces politiques très égoïstes et contre-productives en termes d’économie. Ainsi, les politiques de déremboursement auront un résultat peu probant au niveau budgétaire et engendre des frustrations sociales très dures qui produisent des inégalités intolérables pour une société moderne. On pourra d’ailleurs parcourir l’ouvrage remarquable de Justine Levy à ce sujet. Le cancer de sa mère l’a mis en face d’une médecine inégalitaire. Alors que la maladie la ronge, cette mère se trouve face à des réalités de système. Un rendez vous pour un cancéreux riche sera bien plus rapide avec un spécialiste que pour un patient moins argenté. Des passes droits qui choquent cette patiente et sa fille… et enfin, l’image de certains médecins qui ont dématérialisé la médecine et ne considèrent plus l’humain. Non pas par protection psychologique mais par pure manque d’humanité. Cette description m’a d’ailleurs rappelé un grand spécialiste de l’Hopital Saint Vincent de Paul qui devant ses petits patients les traitent de « gros tas » et qui dans des représentations officielles discute d’éthique, de droit du patient ou de science dure… Mais le collectif n’ira pas jusqu’à faire la psychanalyse de certains professionnels. L’objectif est le patient, l’accès au soin et la fin d’une hypocrisie d’état : ce n’est pas en rognant sur quelques dépenses qu’on fait des économies, c’est en permettant les dispositifs d’accompagnement et de prévention. D’ailleurs, l’Amérique d’Obama est en train de réaliser cette vérité. Les 10000 morts de la grippe A relèvent probablement d’une résultante d’un système de santé privatisé et très brutal plutôt que d’une pandémie très meurtrière.
Sur ce point le Collectif pointe du doigt les assurances privées qui ont d’ailleurs eu le mérite de placer un de leur confrère à la tête du Ministère ces dernières années. Les déremboursements et autres décisions burlesques de Xavier Bertrand ont permis aux assureurs de préparer des bouquets financiers totalement obsolètes pour assurer les gens. En effet, les français sont de plus en plus nombreux à renoncer à ces systèmes privés, très chers… Le résultat est donc sans appel… les soins sont oubliés… le diabétique oubliera tel produit de santé pour se retrouver un jour face à une cécité ou une amputation et des protéines glyquées massivement présentes dans son organisme : les fausses économies d’aujourd’hui sont les gouffres de la santé publiques de demain… On n’ira pas jusqu’à poser la question de l’abandon de certains produits de santé efficaces au profit de certains médicaments nouveaux couverts par des plans de gestion de risque protégeant plus les firmes et l’état que les patients.
Dans ce monde inégalitaire et de plus en plus brutal, le Collectif Hypertension pose des questions centrales et la réponse globale qu’il apporte se tisse dans un maillage de relations solidaires et humaines. D’ailleurs, cet aspect « d’économies intelligentes » dans un but de santé publique est aujourd’hui en plein essor. Lorsqu’on voit par exemple les trésors d’inventivité et de courage que certains développent : ainsi, les aidants si peu considérés et qui s’occupent des patients cancéreux ou Alzheimer, ces aidants savent que les plans de communication dit « plan Cancer » ou « plan Alzheimer » n’apportent pas grand-chose dans le quotidien. Ils savent qu’ils doivent eux même trouver des ressources humaines autour d’eux et souvent ils comprennent que l’Assurance Maladie se sent en plein désarroi face à eux. En effet, les administratifs ne peuvent pas inventer la santé d’aujourd’hui avec des principes de privatisation du soin ou d’une culture d’un égoïsme social prôné par un gouvernement pris dans des idéaux financiers et clientélistes d’une autre temporalité.
Pour finir, le « colletif Hypertension » a mené un flash-mobilisation au pied de Notre Dame de Paris et au portail de l’Hôtel Dieu. Masqués avec une croix rouge sur la bouche, les militants avaient bien préparé leur happening dont vous pouvez voir la vidéo ici. Juste avant le début de l’action une anecdote assez amusante qui est à relater. La trentaine de jeunes s’était tout d’abord fondu dans la foule au point qu’un couple de touristes a demandé à Sarah Degiovani, une des piliers du collectif, de faire une photo d’eux face à la cathédrale. Quelques instants plus tard, Sarah donna le signal de l’action… chacun tomba d’une crise cardiaque et s’écroula sur le sol… sous l’œil des touristes très médusés.
En conclusion. Outre cet happening du collectif Hypertension, il est important de comprendre que désormais des jeunes s’emparent de la question de la santé publique et de l’égalité au soin. La démarche de ce groupe ne fait que commencer et risque d’occuper la scène médiatique tant que les bases de la médecine ne seront plus respectées pour tous. Mais Sarah Degiovani aura le dernier mot : la « logique de privatisation de la santé », transforme les « hôpitaux en entreprises » et « détruit la solidarité ». « Mais on est là pour se battre pour l’ensemble de la population ! ».
1-Desprès C., Naiditch M. , Analyse des attitudes de médecins et de dentistes à l’égard des patients bénéficiant de la Couverture Maladie Universelle, DIES, rapport final, mai 2006.
2-Testing sur les refus de soins de médecins généralistes aux bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle ou de l’Aide Médicale d’Etat dans 10 villes de France, Médecins du Monde, septembre 2006.
3-Panorama de l’accès aux soins de ville des bénéficiaires de la CMU complémentaire en 2006, DREES, mars 2008.
4-Mauvaise fille, Stock, 2009 (ISBN 978-2234058644)