Le petit Maulnes au pays des songes
Racontathon
Il était une fois Vincent, un enfant que la terrible loterie génétique avait affublé d’un mal sournois qui le condamnait à vivre dans un fauteuil roulant. Le garçon vivait heureux car il était entouré de l’affection d’une famille aimante et de camarades de classe toujours disposés à lui venir en aide quand il en avait besoin. Il grandissait ainsi, le corps assigné dans cette prison dorée, équipé au fil des années de tout ce que la technologie pouvait concevoir pour lui faciliter l’existence.
Chaque année, début décembre, Vincent devenait une vedette. Des gens, pleins de bonnes intentions se regroupaient autour de lui pour organiser des défis sportifs, de grandes manifestations avec des personnages illustres qui venaient parader au premier plan, tandis que Vincent, engoncé dans son fauteuil, restait à l’arrière-plan.
Le gamin avait compris que cette mascarade permettait de gagner beaucoup d’argent. C’était sans doute grâce à elle qu’il vit son fauteuil évoluer au fil des années. Il fut d’abord électrifié, lui assurant ainsi une autonomie appréciable pour se déplacer. Puis il devint modulable avec des possibilités infinies afin de monter des marches ou bien se surélever pour manger à la table des gens qui vont debout.
La technique faisait chaque année des bons prodigieux. Il eut encore un ordinateur de bord pour donner des instructions à son fauteuil qui fut changé l’année d’après pour un boîtier à commande vocale. C’était toujours plus sophistiqué. Vincent s’en satisfaisait quoiqu’il aurait préféré marcher, courir, sauter comme tous ces gens qui agrémentaient les trois jours de générosité et de prouesses physiques.
Cette année-là, il n’y eut pas d’invité célèbre pour répondre à l’invitation des généreux organisateurs. La météo elle aussi se mit de la partie, elle était si tourmentée qu’il fallut annuler la grande course de brouettes, le marathon des trottinettes et surtout la fabrication d’un Saint Nicolas géant avec des canettes de soda qu’il fallait acheter et consommer sur place avant de contribuer à l’immense réalisation artistique.
Vincent qui était allergique aux boissons gazeuses n’était pas mécontent que cette idée saugrenue et parfaitement déplorable fut abandonnée. Il n’avait même pas pu donner son avis, il était devenu au fil des années, le simple prétexte à un bel évènement médiatique qui mettait en lumière son petit village. Il en venait même à penser que pour le Maire, sa guérison aurait été une catastrophe.
Cette année-là, les généreux donateurs se firent rares. Sans animation, pas de contribution, le lion était dans le maïs et la cabine téléphonique était tombée sur le 36-37 local. Vincent et ses parents au plus profond de leur cœur n’étaient pas fâchés de la déplorable tournure de circonstance. Bien au contraire, ils pensèrent qu’ils allaient enfin pouvoir décider par eux-mêmes de ce qu’ils entendaient organiser.
La simplicité fut de mise. Une humble petite réunion dans la petite salle des fêtes du village, gracieusement mise à disposition par une adjointe bienveillante. Un repas partagé autour d’une veillée sans caméra ni micro. Une conteuse, une dame du pays qui allait de temps à autre, raconter des histoires à la bibliothèque fut invitée.
La vieille dame raconta, raconta, raconta toute la nuit des contes de fées avec des lutins malicieux, des sortilèges qui finissent par se dénouer, des braves gens qui surmontent les pires des épreuves, des aventures avec des animaux qui singent les humains. Vincent riait, rêvait, s’évadait de ce corps qui le faisait parfois souffrir.
Il était redevenu ce petit gamin qui n’avait pas encore conscience de son avenir. Au fil de la soirée, la conteuse l’avait pris par la main pour le conduire au pays des songes. Là, il se vit dans une belle prairie couverte de marguerites et de coquelicots, jouant à Colin-maillard avec ses amis d’école. Il se mit à courir, il sentait ses jambes répondre à ce désir dont il ignorait tout. Il attrapa celle qu’il avait toujours rêvé d’embrasser, la prit dans ses bras et lui déposa un langoureux baiser.
Vincent avait non seulement rêvé mais qui plus est, il s’était vraiment endormi dans son fauteuil lors du dernier conte de la dame. La conteuse s’était tue, chacun avait fait silence pour respecter son repos quand, emporté par les images qui s’animaient dans son esprit, il se mit à parler à haute voix dans son sommeil.
Vincent décrivait la scène. Autour de lui, pas un présent n'échappait à la larme à l’œil. L’émotion fut à son comble quand il évoqua la jeune fille qu’il avait toujours chérie de toute son âme. Il prononça à plusieurs reprises un prénom, celui d’une camarade qui avait grandi à ses côtés, la fille de voisins : « Jacquenote je t’aime, je t’ai toujours aimée sans oser te le dire. Embrasse-moi ma belle adorée ! »
La jeune fille, plus émue que tous les autres était présente. Malgré tous les regards qui se tournèrent vers elle, elle ne se démonta pas. Elle se leva, s’approcha du dormeur volubile et le réveilla du plus tendre baiser sur la bouche. Vincent n’avait pas rêvé, elle était là, tout contre lui. Le fauteuil était là mais qu’importe, il se sentait pousser des ailes.
Nulle caméra pour transmettre au pays tout entier ce moment magique. Il se peut que les promesses de dons eurent afflué dans tous les standards. Ce n’était pas là l’essentiel, les vraies émotions doivent rester intimes. L’argent pouvait bien attendre, Vincent avait trouvé plus précieux encore qu’un nouvel aménagement ou une lointaine et hypothétique promesse de recherche médicale. Il avait trouvé l’amour, c’est le plus précieux de tous les dons et celui-là ne sera jamais défiscalisé.
Amoureusement leur.
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