On parle d'uranium dans la région de Bourges depuis plus de quarante ans. La population s'est habituée aux expérimentations sur ces armes de guerre et ne semble pas concernée par les enjeux de santé publique. Qu'en est-il réellement ?
Un minerai de poids.
L'uranium appauvri est un sous-produit de l'uranium naturel mais reste hautement radioactif en comparaison avec la radioactivité naturelle de la Terre ou de l'homme(1). Il entre dans la catégorie des métaux lourds comme le tungstène, l'iridium, le platine ou l'or. Sa masse volumique élevée et son faible coût de production le font préférer aux autres matières. Les États-Unis, la Russie et la France possèdent les stocks les plus importants au niveau mondial(2). Son usage est exclusivement non-nucléaire cependant souvent militaire. Il peut être utilisé comme lest sur les quilles des bateaux
mais la quasi-totalité du stock est utilisé pour la fabrication de blindages pour des chars (les chars Abrams par exemple) et de projectiles d'armes de guerres. On parle ici de munitions à l'uranium appauvri.
On retrouve ces munitions dans les obus « flèches » ou « antichar »Ils ont la particularité d'être « pyrophoriques » : c'est-à-dire qu'ils peuvent percer les blindages des ennemis et brûler tout ce qui pourrait se trouver à l'intérieur. La densité et la vitesse de ce métal lourd permet aux pilotes d'accroître leur sécurité pendant les opérations.
Une arme hors la loi ?
Selon Avril Mac Donald(4), cette arme n'est étrangement classée dans aucune catégorie : ni nucléaire, ni radiologique, ni chimique, ni incendiaire, ni empoisonnée, elle est aux yeux de la communauté internationale une arme classique. D'ailleurs, cette arme ne fait partie d'aucun accord de désarmement.(5). La Belgique a été le premier pays au monde à interdire les munitions à l'uranium appauvri et même à punir les banques qui engageraient un marché de ce minerai(6).
Pendant l'impact, l'uranium s'échauffe et atteint sa température de fusion (600°c), une réaction avec les métaux environnants se produit et entraîne sa fusion. L'uranium dégagé lors de l'impact se propage et s'enflamme.
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Obus flèche américain M-829, flèche blanche composée d'uranium appauvri. |
La matière radioactive se répand donc sur une dizaine de mètres par rapport au point d'impact et pénètre le sol jusqu'à 10 cm d'épaisseur. Selon la CRIIRAD, une fois que l'obus a explosé, des particules d'oxyde d'uranium ( environ 5 microns) viennent se placer sur les poumons, sur les reins et sur les os.
C'est contre ce risque majeur pour les populations que bon nombre d'associations comme « vivre sans nucléaire Lot » ou le collectif « alerte uranium » dans le Cher militent.
Joel Frison, le président de l'association berruyère s'en explique :
« La production de ces munitions s'effectue sur deux sites en France à Annecy( SICN Haute Savoie) et à Romans( CERCA Isère). Les sites d'expérimentation se trouvent à Gramat (Lot) et à Bourges( Cher)(3). L'Armée française réalise des tirs depuis plus de 40 ans dans ce qu'on appelle le Polygone de tir. À Bourges, ce centre de tir s'étend à l'Est de Bourges , d'Osmoy à Bengy sur-Craon, le point de tir à l'uranium appauvri se situant entre Jussy Champagne et Avord. ».
Cet homme organise de fréquentes réunions d'information sur ce thème (7). « Le but de ces réunions est de rendre compte de nos travaux de recherche et surtout d'informer la population sur les risques en termes de santé publique. La recherche de témoignages, de documents nous est donc indispensable pour rendre compte des actions opaques engagées par l'Armée. » Les nombreux rendez-vous avec les élus ont permis de nombreuses avancées : « Nous avons demandé, lors de la visite du Ministre de la Défense, M. Longuet, le 5 janvier dernier, la mise en place d'un CLI ( comité local d'information) auquel nous serions associés afin de rechercher la vérité sur ces armes dangereuses. Une proposition de loi à l'Assemblée Nationale sur l'interdiction de ce type d'arme a même été demandé au député du Cher, M. Louis Cosyns(UMP), lors d'un entretien le 24 février dernier. »
Des vœux pieux.
Le lundi 12 décembre 2011, le Conseil Général a adopté à l'unanimité le vœu "Pour la vérité sur les armes à uranium dans le Cher" à l'initiative du Collectif d'associations "Groupe alerte uranium" qui avait rencontré au préalable les représentants de la majorité de gauche et de l'opposition UMP. Le voeu présenté en commun par les Conseillers des groupes communistes et socialistes a reçu le soutien des élus UMP. L'objectif ici était d'exercer une pression des élus locaux sur le Ministère de la Défense et celui de l'Écologie.
Lors d'un entretien accordé au quotidien national Libération M. Cosyns, député de la circonscription concernée par l'expérimentation des tirs, était quelque peu réticent à l'égard de ce vote unanime :« Ce vote est absurde, je l’ai dit aux élus de mon bord politique. Nous avons récemment perdu 3 400 habitants. Ce n’est pas en brandissant ces peurs que nous allons les faire revenir. »(8)
L'entretien du 24 février accordé au collectif par M. Cosyns à la permanence UMP de Bourges a permis de clarifier la situation sur le niveau d'information que sont en droit d'attendre les électeurs résidant autour du polygone : « Les gens s'en fichent de connaître les tractations de l'Armée sur les tirs. Ils se préoccupent seulement de vivre de leur travail et de rentrer chez eux en toute tranquilité. »
À ce jour, aucune information n'est délivrée aux citoyens environnant la zone d'expérimentation. M. Cosyns n'estime pas utile de fournir des informations régulières à ses administrés. Une note de la DGA (Direction Générale des armées) fournie aux élus locaux aurait tout de même pu les informer lconvenablement. Elle indique qu'une étude épidémiologique a été réalisée pour mesurer les effets de l'uranium appauvri sur la faune et la flore du Polygone.La SPRA(9), l'OPRI et une entreprise privée( dont le nom n'a pas été dévoilé) auraient participé à l'étude. Après recherches, il s'avère que ces organismes appartiennent à l'armée. Le doute subsiste toujours quant à l 'indépendance des résultats fournis.
À cette question , M. Cosyns répond : « Je pars du principe que l'Armée a fait son travail en engageant ces procédures, il faut arrêter de croire qu'il y a d'un côté, les bons et de l'autre les méchants. Je fais confiance aux acteurs en présence et il n'y a aucune raison de discréditer leurs actions ».
Des riverains apparemment confiants.
La manne d'emplois que génère l'activité militaro-industrielle dans la région n'est pas négligeable. (9), une relation de confiance s'est installée avec les corps militaires et les entreprises sous-traitantes travaillant pour la « Grande Muette ». Une relation qui tend à se fissurer depuis que de nombreuses personnes cherchent à témoigner de leur vécu ainsi que de leurs conditions de travail au sein du complexe. Le témoignage marquant de Michèle Barrillet, veuve d'un employé vient briser ce lien:Pascal Barillet a travaillé chez Giat industries de 1970 à 2000. Pendant ces trente années, il était tourneur sur métaux sur tour à commande numérique (avec la qualification Ouvrier hautement qualifié). Giat industries réduisant ses effectifs le licencie dans le cadre d'un plan social en 2000, Pascal Barillet n'a que cinquante deux ans. Il passe quelques années paisibles dans sa maison de Mehun. En janvier 2009 il ressent une très grande fatigue, est essoufflé pour un rien, ne supporte plus le café qu'il aimait tant. Il consulte son médecin qui décide une analyse sanguine. Au vu des résultats, il décide une hospitalisation immédiate à l'hôpital de Bourges. Pascal est atteint d'une myélodysplasie (une forme de leucémie) qui l'emporte en dix-huit mois.Michelle Barillet rapporte que son mari tournait des obus flèches dans divers métaux, dans un matériau nommé Denal, et se disait étonné des réactions d'un métal qu'il usinait et qui avait la particularité de s'enflammer. D'ailleurs Giat avait fait disposer des seaux de sable près des postes de travail. Cela lui a été confirmé par un collègue de son mari, qui a déclaré avoir travaillé lui aussi sur un métal inflammable. On pense évidemment à l'uranium appauvri, qui s'enflamme à six cent degrés.(11)
Sur ce dossier, de nombreuses zones d'ombre restent à éclairer. Les parties en présence semblent vouloir agir mais les tirs continuent et une étude indépendante sur le taux anormalement élevé de cancers dans la région tarde à venir alimenter le débat sur un sujet épineux de santé publique.
(3)Observatoire des armes nucléaires françaises.
(4)Avril McDonald est associé de recherche au TMC Asser Instituut, La Haye, et chargé de cours sur le droitinternational humanitaire à l'Université de Groningen.
« Depleted Uranium and International Law : A Precautionary Approach « (La Haye, TMC Asser Press, 2008).
(5)A.Mc Donald « un nouvel objectif du désarmement ? »
(7)La prochaine réunion ayant lieu à Soye en Septaine le 24 mars 2012.
(9)Service de Protection Radiologique des Armées.
(10)Le site de l'ETBS (Bourges) comprenait au 31 décembre 2005, 800 personnes. La base militaire d'Avord emploie 3500 personnes.