Médicaments : entre 13 000 et 34 000 morts chaque année en France
La nouvelle loi sur la sécurité du médicament permettra l’indemnisation des victimes du Mediator. Mais toujours pas des victimes, bien plus nombreuses, des effets secondaires des autres molécules. Pas assez médiatiques, sans doute… On ne cherche d’ailleurs pas à savoir avec exactitude combien de morts sont causées chaque année par les effets indésirables des médicaments.
L’Assemblée nationale a voté le 19 décembre 2011 le projet de loi relatif à la sécurité sanitaire du médicament. Celui-ci renforce la lutte contre les conflits d’intérêt et modifie le système de pharmacovigilance. Enfin, il crée l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui remplace l’Afssaps.
Or le texte ne comporte aucune disposition pour les victimes d’effets secondaires graves des médicaments, hormis celles du Mediator. Il ne peut donc pleinement atteindre son objectif annoncé, celui de « restaurer la confiance des citoyens dans le médicament ».
Pourtant, ces victimes, qui crient à l’injustice et à la discrimination, sont autrement plus nombreuses que celles du Mediator…
Dans le rapport déposé par la commission des affaires sociales de l´Assemblée en conclusion des travaux de la mission sur le Mediator et la pharmacovigilance, le député Roland Muzeau indique : « On estime dans notre pays à 150 000 le nombre d’hospitalisations annuelles liées à des accidents médicamenteux et de 13 à 18 000 le nombre de morts provoquées par des médicaments ».
L’étude EMIR (Effets indésirables des Médicaments : Incidence et Risque), conduite par le Réseau des centres régionaux de pharmacovigilance, a porté sur les hospitalisations liées à un effet indésirable médicamenteux. Rédigée en 2007, cette recherche concluait que « 3,60 % des hospitalisations étaient dues à des effets indésirables de médicaments » (contre 3,19% lors de l’étude précédente menée en1998). Et que « le nombre annuel d’hospitalisations dues à des effets indésirables de médicaments en France peut être estimé à 143 915 et le nombre de journées d’hospitalisation à 1 480 885 ».
Mais « il ne faut pas oublier, notent les rédacteurs de l’étude, que ces résultats ne reflètent qu’une partie du problème. En effet, ils ne prennent pas en compte tous les aspects de la iatrogénie médicamenteuse en particulier des décès qui ne sont pas hospitalisés, des hospitalisations dans les services de chirurgie ou dans des établissements privés et enfin des effets indésirables graves survenant au cours d’une hospitalisation ». En outre, il faut tenir compte de « la sous-notification ne permettant pas d’avoir le reflet des cas réellement survenus ».
Au moins 150 000 malades tous les ans
Bref, le chiffre de 150 000 personnes rendues malades tous les ans par les médicaments est un minimum.
Pour ce qui concerne le nombre de décès, pourtant conséquences plus graves que les seules hospitalisations, il n’y a pas de chiffres officiels. La consultation de différentes sources fait apparaître des chiffres compris entre 13 000 et « 34 000 voire plus ».
Ainsi, la sénatrice Anne-Marie Payet, lors d’une audition parlementaire en 2005, a voulu savoir si l’Office national d´indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) disposait de statistiques relatives à la survenance d´accidents médicamenteux en France. Elle a rappelé que « les chiffres les plus couramment avancés font état de 140 000 hospitalisations provoquées par des accidents médicamenteux et 13 000 décès avérés, sans compter les accidents bénins qui ne font pas l´objet d´une déclaration systématique ».
Ce à quoi le président de l’Oniam a répondu : « L’Oniam n´établit pas de statistiques particulières relatives aux accidents médicamenteux ».
Pas d´étude sur le sujet
Selon d´autres sources, un rapport sur la « iatrogénèse médicamenteuse », remis par les centres de pharmacovigilance en novembre 1997 à Bernard Kouchner, alors ministre de la santé, indiquerait que les médicaments causeraient au moins 18 000 décès en France chaque année.
De son côté, Julien Husson, docteur en sciences de gestion, indique, dans un article intitulé Risk management à l’hôpital : vers un modèle pour le manager hospitalier : « L´iatrogénie médicamenteuse engendre 25 000 morts par an ».
Enfin, dans un tableau récapitulatif sur l’iatrogénèse sociétale et organisationnelle, paru sur le site ecoetsante2010, Suzanne Gaubert note : « Total iatrogénèse : + de 20.000-22.000 décès/an, voire + de 34.000, voire plus ».
A rapprocher des 3959 morts sur la route en 2011... Presque dix fois moins.
Pour Françoise Haramburu, responsable du Centre d´évaluation et d´information sur la pharmacodépendance de Bordeaux, « la question de la mortalité due à l’usage des médicaments est une question difficile. En effet, il n’existe pas de données en France. Les chiffres communément avancés et que vous citez [de 13 000 à > 30 000] me semblent des estimations raisonnables. Il faudrait des études pour les déterminer plus précisément. Ce serait en effet intéressant d’avoir ces données, ce qui nous permettrait de mieux définir ce qui est évitable de ce qui ne l’est probablement pas. Mais beaucoup de personnes s’intéressent à l’aspect qualitatif de la question, et moins à l’aspect quantitatif, difficile à établir. Il n’y a pas d’étude en cours à ce sujet. »
Les parlementaires peu désireux d´y voir clair
Le 25 janvier 2005, le sénateur François Autain et les membres du groupe communiste républicain et citoyen avaient déposé une proposition visant « la création d´une commission d´enquête sur les conditions de délivrance et de suivi des autorisations de mise sur le marché des médicaments ». Déjà, ils y dénonçaient notamment « l´absence d´étude sérieuse sur [la] question [des] décès attribués en France aux effets secondaires des médicaments et sur les lacunes du système national de pharmacovigilance ».
La proposition fut rejetée. Marie-Thérèse Hermange, auteure d’un rapport sur la question au sein de la commission des affaires sociales, avait en effet considéré « que la formule de la commission d´enquête ne [semblait] pas la formule la mieux adaptée pour répondre à ces interrogations, car il s´agit d´une procédure lourde, contraignante, dont on doit à l´avance fixer les limites et qui peut se heurter aux procédures judiciaires en cours ». Nicolas About, qui présidait la commission, avait « estimé que le choix d´une commission d´enquête risquerait d´être interprété comme une procédure de type inquisitorial »…
François Autain s´était déclaré « déçu » de ce refus de principe de constitution d´une commission d´enquête. Cette structure lui paraissait « pourtant la mieux adaptée, dans la mesure où elle offre des garanties juridiques et assure la fiabilité des témoignages des personnes à auditionner ».
Une analyse similaire avait été faite par l´Assemblée nationale, où une proposition de résolution ayant le même objet, et qui a connu le même sort, avait été déposée par Jean-Marie Le Guen.
> Article paru une première fois sur Ouvertures.
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