Mission d’information sur la révision des lois bioéthiques : les prélèvements et greffes d’organes (suite)
Dons d’organes : prélèvements « à coeur arrêté » : à défaut de marchandiser le corps humain, l’aurait-on rendu consommable ? Cet article constitue la suite de celui paru dans AgoraVox le 04/08/09 : « Mission d’information sur la révision des lois bioéthiques : les prélèvements et greffes d’organes » (lire). Le mercredi 30 juin 2009, le Professeur Jean-Michel Boles, qui dirige le service de réanimation et des urgences médicales du CHU de Brest, co-directeur de l’Espace Ethique de Bretagne Occidentale, était entendu à l’Assemblée Nationale, dans le cadre de la révision des lois de bioéthique prévue à horizon 2010. (source) Il a rappelé la loi du 6 août 2004, qui fait de la greffe d’organes une « Grande priorité nationale ».
La révision des lois bioéthiques (2004) est prévue à horizon 2010. Le 30 juillet 2009, le Professeur Jean Leonetti, rapporteur de la Mission d’information sur la révision des lois bioéthiques, a donné la conclusion des états généraux de bioéthique qui se sont tenus au printemps 2009, et qui prenaient en compte les réflexions d’un panel de citoyens sur les questions biomédicales et bioéthiques. Les conclusions du rapport remis par le Professeur Leonetti, constituant une synthèse de ces états généraux, indiquent que les Français souhaiteraient que le consentement présumé reste la règle en matière de don d’organes, avec la création d’un « registre du choix » (source).
Le consentement présumé, qu’est-ce que c’est ? Nous sommes tous présumés consentir au don de nos organes à notre mort, c’est le « consentement présumé », qui est inscrit dans la loi (lois de bioéthique d’août 2004) en France. Dans d’autres pays, comme la Suisse ou les Etats-Unis, c’est le « consentement exprès » qui prévaut : si on consent au don de ses organes à sa mort, il faut s’inscrire sur un registre prévu à cet effet. Si on n’est pas inscrit sur ce registre, c’est qu’on ne consent pas au don d’organes. Dans un tel système, la carte de donneur d’organes a une valeur légale, ce qui n’est pas le cas en France, puisque, du point de vue de la loi, nous sommes tous présumés consentir au don de nos organes à notre mort, nous n’avons pas besoin d’effectuer une quelconque démarche pour exprimer ce consentement, il est déjà prévu, à défaut, par la loi. Les pays Anglo-Saxons expriment ces deux formes juridiques distinctes de consentement par les termes de « opt-in system » et de « opt-out system » : en France, nous sommes dans le « opt-out system » car il faut s’inscrire sur le Registre National des Refus, géré par l’Agence de la biomédecine (registre informatisé) si on est contre le don d’organes – il faut donc faire une démarche pour s’inscrire si on ne veut pas donner ses organes – , tandis qu’en Suisse et aux USA, nous sommes dans le « opt-in system » : il faut faire une démarche pour s’inscrire comme donneur d’organes.
Missionnée par l’Etat, l’Agence de la biomédecine, issue d’une décision parlementaire en mai 2005, prend la suite de l’Etablissement Français des Greffes et a pour mission d’encourager et d’orchestrer les activités de don, de prélèvement et de greffe d’organes, de tissus et de cellules. L’Agence de la biomédecine orchestre également le discours public sur le don d’organes. Cette gestion bicéphale est problématique. Entre information et promotion, l’Agence de la biomédecine peut-elle fournir à l’usager de la santé une information qui soit exempte de toute promotion du don d’organes ? Que signifie un consentement éclairé, si l’information donnée au préalable de ce consentement ne s’affranchit jamais de la promotion du don d’organes ? Le consentement éclairé au don de ses organes peut-il être donné par un citoyen qui a reçu une information ne s’affranchissant jamais de la promotion du don d’organes ? Nous sommes pourtant dans un contexte de « consentement présumé », qui est inscrit dans la loi, et le présupposé légal de ce « consentement présumé » est l’information, qui permet justement de donner un consentement éclairé. Ne peut-on pas dire qu’il y a carence d’information sur le don d’organes (sur les prélèvements d’organes), ce qui rend le « consentement présumé » problématique : je suis présumée consentir au don de mes organes à ma mort, et l’information que je reçois au préalable ne s’affranchit jamais de la promotion du don. Mon consentement ne peut être que présumé, en aucun cas il ne peut être éclairé.
Je cite ici un extrait de l’analyse du « consentement présumé » par le Professeur Boles lors de son audition du 30/06/09 à l’Assemblée Nationale. Ces propos me semblent tout à fait de nature à alimenter la réflexion des usagers de la santé sur la question du consentement présumé.
Alors j’aimerais arriver à la question de savoir ce qui peut être choquant dans ces prélèvements ‘à cœur arrêté’. [Pour une bonne compréhension de ce qui suit, il est recommandé de lire la première partie de cet article, qui explique ce que sont les prélèvements ‘à cœur arrêté’, depuis quand ils ont repris en France, qui sont les potentiels donneurs de reins qui peuvent être prélevés suite à un arrêt cardiaque et, enfin, qui expose les conditions et circonstances du don d’organes dans le contexte d’un arrêt cardiaque, dont nous rappelons qu’il diffère de celui du don d’organes à partir d’un donneur en état de mort cérébrale. Ndlr.] (Lien)
Quand on dit : ‘On va mettre un certain nombre de machines en route sur un cadavre’, moi j’aimerais qu’on fasse attention à la perte de repères pour les équipes soignantes que cela va constituer, surtout si ce sont des gens qui ne font plus que ça, ou qui font beaucoup ça, et, aussi, qu’on fasse attention à la modification du rapport à la mort pour le médecin. Il y a des aspects psychologiques pour les soignants et pour les familles qu’il ne faudra pas négliger ; la SRLF [Société de Réanimation de langue française], quand elle a pris sa position en 2007 [sur les prélèvements "à cœur arrêté", Ndlr.] a bien mis ça en exergue, ce sont sans aucun doute des problèmes qu’il ne faut pas négliger. Deuxièmement, on est en train de remettre en cause (…) trois grands principes de droit. Alors, je ne sais bien qu’ils ne s’appliquent qu’aux vivants et que là on est en train de parler de cadavres [cadavres sur le plan légal, certes, mais sur le plan physiologique, il s’agit de patients en toute fin de vie au préalable du prélèvement de leurs organes, Ndlr]. Il y a l’inviolabilité du corps, l’indisponibilité du corps et la non-patrimonialité du corps. L’inviolabilité du corps, c’est aussi l’inviolabilité du cadavre et c’est un délit que de porter atteinte à l’intégrité physique d’un cadavre, sauf bien entendu dans les cadres qui sont explicitement prévus par la loi. Ca, c’est un principe sociétal. Alors, ce qui est paradoxal, c’est qu’on a l’impression que ce principe sociétal général est devenu caduque de par la nécessité médicale d’avoir accès au corps de l’individu. Il y a un petit problème. L’indisponibilité du corps et la non patrimonialité du corps s’adressent à l’individu : l’individu n’a pas le droit de faire n’importe quoi avec son corps de son vivant, et c’est le refus de la marchandisation. C’est d’ailleurs au nom de cela qu’on interdit la vente d’organes (donneur vivant), Dieu merci. Alors c’est tout à fait surprenant parce que du moment où on devient un cadavre, ça [i.e. l’indisponibilité du corps et la non patrimonialité du corps, Ndlr.] ne concerne plus la société, qui, elle, a le droit de faire un certain nombre de choses sur le corps, jusqu’à preuve que vous n’étiez pas opposé à les faire, et sans le savoir tant qu’on n’a pas pu le documenter [alors que les manœuvres invasives de réanimation sur le "cadavre" aux seules fins de conserver ses organes ont déjà commencé, Ndlr.]. Vous m’excuserez, mais là je pense quand même qu’on est rentré dans une réification [instrumentalisation, Ndlr.] du corps. Et qu’à défaut de le marchandiser, on l’a rendu consommable. Et ça, on ne peut pas le mettre de côté. Et la généralisation de l’instrumentalisation, parce que quand on regarde les choses, quand on parle de mort encéphalique : alors, un mort encéphalique, en gros, c’est à peu près 4.000 par an. (…) Entre 3.000 et 4.000 par an. Notre ’chance’, plus exactement notre risque d’être en mort encéphalique, est quand-même relativement minime. Et c’est quelque chose qu’on ne conceptualise pas. Aucun d’entre nous n’a imaginé un jour qu’il risquait de se trouver en mort encéphalique, sauf peut-être nous qui de temps en temps en voyons dans nos services et nous disons ‘ça pourrait être moi’, ou ‘ça pourrait être un de mes enfants’, quand on voit des jeunes qui se tuent stupidement sur la route [Le Professeur Boles, en tant que réanimateur médical, est un spécialiste du diagnostic de mort encéphalique, Ndlr.]. Par contre, l’arrêt cardiaque, ça, je suis désolé mais tout le monde sait que depuis qu’elle existe, l’humanité est morte d’arrêt cardiaque. Et tout le monde sait qu’un jour on va mourir et que, globalement, ce sera d’un arrêt cardiaque. Alors il peut y avoir quelques petits phénomènes autour, mais la fin, la véritable fin, c’est l’arrêt cardiaque. Alors, quand on parle d’arrêt cardiaque, ça veut dire que ça concerne tout le monde. L’Agence de la biomédecine, dans son protocole a, pour l’instant, limité ces prélèvements chez des gens qui ont entre 18 et 55 ans, mais il est bien évident que du jour où on aura des résultats extrêmement positifs on élargira la tranche d’âge, il n’y a d’ailleurs pas de raison de ne pas le faire, puisque nous faisons des prélèvements sur des personnes en état de mort encéphalique qui ont jusqu’à (et au-delà de) 65 ans, à l’heure actuelle. Il y en a eu quelques centaines faits l’année dernière, soit trois fois plus qu’il y a 7 ou 8 ans. Et donc là [dans le cas des prélèvements "à cœur arrêté", Ndlr.], c’est chaque personne qui peut se dire : ‘Ca pourrait être moi’. Quand les Français auront pris conscience que ça pourrait être une possibilité réglementaire et technique qui est tout à fait ouverte – Dieu merci, ils ne le savent pas – mais enfin quand ils vont en prendre conscience, toute personne va pouvoir se dire : ‘Oui, avant, moi je n’étais pas contre le don d’organes parce que moi, je serai jamais en mort encéphalique, mais là, maintenant, il faudrait que je me mobilise et que je dise [que je suis contre le don d’organes, Ndlr.] parce que là, un arrêt cardiaque, ça je peux en faire un’. Alors c’est vrai qu’on n’y pense pas beaucoup à 18 ans, Dieu merci il n’y a pas beaucoup de footballeurs qui font un arrêt cardiaque sur les stades de football, mais les gens de 50 ans qui meurent d’arrêt cardiaque dans la rue, il y en a quand-même un paquet. On a changé de registre. Et ça, ce n’est quand-même pas qu’un changement quantitatif, c’est aussi un changement qualitatif induit par la quantité. Et la généralisation de cette instrumentalisation veut dire, et je sais que je vais choquer certaines personnes, alors ce n’est pas pour le plaisir de les choquer, mais c’est ce que je ressens profondément au fond de moi : nous sommes rentrés, ou plutôt, sommes-nous rentrés, ce sera moins choquant, dans une logique de nationalisation des corps, sommes-nous tous devenus des réservoirs de pièces détachées au service de la société dans une logique utilitariste ? Et ça, il faut qu’on apporte une réponse à cette question. On peut décider en toute connaissance de cause, mais au moins ayons le courage de le reconnaître et de le dire. Troisième question de fond : quelle information pour les citoyens, et comment est-ce qu’on considère les citoyens ? Je suis profondément choqué en tant que citoyen mais je dois dire aussi en tant que médecin que sur quelque chose qui est quand-même un sujet majeur, au moins dans son versant médical, il y ait eu ce silence médiatique assourdissant entre août 2005 et le 31 mars 2008, quand il y a eu la conférence de presse de l’Agence de la biomédecine. Il y a des médecins à l’Agence de la biomédecine, et je rappelle que les médecins sont soumis au code de déontologie médicale et que, sauf erreur de ma part, je crois que c’est l’article 35, qui dit que l’on doit au patient une information claire, loyale et appropriée [on en est loin, déjà au sujet des prélèvements "à cœur arrêté", Ndlr.]. Force est de constater, et j’en suis navré, qu’elle n’a été ni claire, ni loyale, ni appropriée à l’égard non pas des malades, mais de l’ensemble du corps social français. Et ça, ça n’est pas recevable. D’autant que quand on regarde le compte-rendu des débats à l’Assemblée Nationale dans le cadre de la préparation des lois bioéthiques d’août 2004, on s’aperçoit que la question des prélèvements ‘à cœur arrêté’ n’a absolument pas été abordée. Aucune discussion à ce sujet. (…) Finalement, le secret, dans ces matières-là, [le secret vis-à-vis du grand public, Ndlr.] est beaucoup plus pénalisant et plus risqué que (…) le fait de dire les choses telles qu’elles sont. Là, il y a un véritable déficit démocratique qu’il faut dénoncer. Il faut demander ce débat démocratique et il faut demander qu’on travaille dans la transparence. Alors, j’ai des propositions concrètes, pour ne pas être dans un discours strictement littéraire. La première, c’est la nécessité, absolument impérative, et je souhaiterais que ça soit rappelé de façon très forte dans la loi [de bioéthique prévue à horizon 2010, Ndlr.], que le don d’organes, ça doit être basé sur un don, et non pas un dû. Il n’y a pas de droit à la greffe, il n’y a pas de devoir à donner. Il y a la possibilité de recevoir une greffe grâce à un don librement consenti qui relève de l’altruisme. La deuxième proposition concrète, c’est de remplacer le consentement présumé par le ‘consentement positif’ [ou "consentement exprès", ou "opt-in system", Ndlr.]. Si on le veut, c’est la seule façon de valoriser le don. Troisième proposition concrète, c’est de rendre valide, enfin valable, la carte de donneur d’organes [qui n’a aucune valeur juridique en France, dans un contexte légal de consentement présumé, Ndlr.]. Il est tout à fait invraisemblable d’imaginer qu’en France actuellement, la carte de donneur d’organes n’a aucune valeur légale. Cette carte pourrait être proposée par l’Agence de la biomédecine, par les Adot départementales [Associations pour le Don d’Organes et de Tissus, Ndlr.], les hôpitaux, la sécurité sociale, etc. (…) Il a été proposé de faire inscrire son choix sur la carte vitale [Mais est-ce qu’on va bien me soigner si ma carte vitale indique que je m’oppose au prélèvement de mes organes à mon décès ? Et si je consens au don de mes organes s’il m’arrive de me retrouver en état de mort encéphalique, mais si je m’y oppose s’il m’arrive de faire un arrêt cardiaque qui ne pourra pas être récupéré ? A quelle mort est-ce que je crois ? Ndlr.]. Il a même été proposé d’inscrire son choix sur le permis de conduire ou la carte d’identité, enfin bref, sur des choses qui ont une valeur légale connue et qui peuvent être contrôlées facilement. Et bien sûr, il faut que la personne puisse y avoir accès pour modifier son choix si elle le veut. Il faut laisser le choix sélectif ! Quand vous prenez le formulaire de refus de don, c’est : vous refusez tout ! Vous ne pouvez pas refuser un seul organe. Vous pouvez décider que vous êtes d’accord pour donner un organe et pas un autre. Ca vous regarde. Donc pourquoi est-ce qu’on est sur quelque chose de monolithique – oui/non, blanc/noir, ‘on’/‘off’ ? (…) Pourquoi, dans les journées d’information sur les prélèvements et greffes en 2006-2007 ne dit-on pas qu’on peut faire des prélèvements sur des donneurs ‘à cœur arrêté’ ? [L’a-t-on dit lors des journées d’information en 2008 ? J’ai demandé autour de moi : personne ne connaît la signification du terme de prélèvements "à cœur arrêté", ou suite à décès "après arrêt cardiaque non récupéré", Ndlr.]. L’information complète qui devrait être donnée au grand public par l’Agence de la biomédecine devrait concerner les circonstances dans lesquelles on donne, les modalités [du prélèvement d’organes, Ndlr.] qui vous préparent à donner et quels en sont les résultats. Dernière proposition concrète : je souhaiterais qu’il y ait un contrôle parlementaire de cette information et de ses résultats, parce que l’Agence de la biomédecine, (…) c’est un pouvoir technique. Mais nous sommes sur des matières dont le niveau d’enjeu est tel que le niveau de contrôle doit être le niveau parlementaire. Parce que c’est le Parlement [Assemblée Nationale et Sénat, Ndlr.] qui est le représentant de la nation. Et si on veut véritablement être dans une démocratie, le technique est subordonné au politique."
Le consentement présumé ne doit pas ouvrir la porte à l’industrialisation du don d’organes. Gageons que les législateurs en charge de la révision des lois bioéthiques sauront éviter l’écueil de cette industrialisation du don qui ferait qu’"à defaut de marchandiser le corps humain, on l’aurait rendu consommable"...
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