Plan Autisme : la volonté politique face aux sabotages
Lancé début mai 2013, le 3è Plan Autisme est porté depuis à bout de bras par Marie-Arlette Carlotti, Ministre Déléguée aux Personnes Handicapées. Ce plan a fait dès son lancement l’objet de nombreuses critiques de tous bords. Il entre maintenant dans sa phase de croisière avec le lancement imminent de structures dédiées pour accompagner les enfants autistes à l’école.
En raison du choix assumé de se baser sur les recommandations de prise en charge émises par la Haute Autorité de Santé en 2012, les premières critiques étaient venues des professionnels encore attachés à l’approche psychanalytique. Cette approche est désavouée en raison de son absence de résultats. En raison de moyens jugés très insuffisants et de son caractère encore non-contraignant envers lesdits professionnels, d’autres critiques sont venues d’une association de parents connue pour son franc-parler, Vaincre l’Autisme, qui a publiquement rejeté ce plan.
Nous-mêmes constations dans nos récents articles la persistance des situations révoltantes dénoncées par les familles depuis 40 ans : diagnostics obsolètes, cahier des charges de structures autisme ne prenant pas en compte les recommandations, attributions de structures autisme à des associations gestionnaires se réclamant ouvertement de la psychanalyse. Malgré tout, avec d’autres associations, nous avions choisi de soutenir les orientations de ce plan, car la volonté politique de faire bouger les choses semblait enfin présente.
Or, une récente instruction interministérielle vient de démontrer la réalité de cette volonté politique. Elle concerne la mise en œuvre concrète de deux mesures très importantes : l’ouverture de 850 places de service d’accompagnement spécialisé (SESSAD) destiné aux enfants autistes scolarisés, et la création de 30 unités d’enseignement en maternelle. Cette circulaire est émise par les Ministères de la Santé et, ce qui est nouveau, par l’Education Nationale. Celle-ci se tenait jusqu’à présent très soigneusement à l’écart des divers plans autisme et ne manifestait aucun empressement à accueillir les enfants autistes dans ses écoles, collèges et lycées – malgré la loi de 2005 qui en théorie l’y oblige.
Le contenu de la circulaire est remarquablement précis, à un niveau jamais vu, sur le contenu concret des cahiers de charges et des exigences d’accompagnement. On y exige la mise en place concrète et effective des prises en charges comportementales et développementales recommandées par la HAS, en demandant par exemple aux ARS, lors du choix des associations gestionnaires : « Vous devez ainsi, dans la rédaction des cahiers des charges et dans tout le processus conduisant à la notation et à la sélection des projets, veiller à bien prendre en compte les conséquences de la mise en oeuvre des recommandations en vigueur d’un point de vue organisationnel, managérial, en termes de projets associatif et d’établissement. » On exclut ainsi de fait les associations revendiquant l’orientation psychanalytique de leurs prises en charge, comme il en existe beaucoup. Certaines ont encore récemment remporté des appels à projets « autisme », à la grande fureur des associations de familles. On y donne des directives claires de notation des projets permettant, enfin, de privilégier la qualité et la conformité aux recommandations des prises en charges.
Outre l’association de l’Education Nationale, on trouve une bonne surprise dès le début du document, s’agissant des « plans d’actions régionaux » : « Il est primordial de s’assurer de la mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés, notamment les structures de psychiatrie (infanto-juvénile et générale) dont le rôle dans le suivi des personnes avec autisme ou autres TED doit être soutenu et dont l’évolution doit également être accompagnée. » C’est la première fois qu’on demande, même à mots couverts, aux ARS, de faire bouger les mentalités et les pratiques souvent sclérosées dans les hôpitaux de jour, dont une forte majorité reste influencé par les idées, théories et méthodes psychanalytiques. Ils proposent encore ainsi des « ateliers conte », des « ateliers pataugeoire » ou du « packing » décriés par les associations de familles et non conformes aux recommandations de la HAS, ni aux pratiques internationales.
Le cahier des charges des Unités d’Enseignement en maternelle, quant à lui, semble avoir tenu compte des critiques virulentes que certaines associations ont pu formuler. La principale crainte des familles est qu’on en fasse un « ghetto à autistes », destiné à y évacuer dès la maternelle ces élèves par trop dérangeants, qui poursuivraient par la suite une voie toute tracée en CLIS puis en IME, loin, très loin de l’école ordinaire. On y trouve en effet la phrase suivante, soulignée : « Le projet de l’UE visera la scolarisation des élèves en milieu scolaire ordinaire à l’issue des trois années d’accompagnement, ou en cours. Le projet comprendra par conséquent des temps de décloisonnement en classe ordinaire, accompagnés par un membre de l’équipe (…). Ces temps seront progressivement augmentés et ajustés aux possibilités et besoins de l’élève. » Le projet se positionne donc clairement dans le sens des attentes des familles : un accompagnement précoce et inclusif dans une école, destiné à permettre à leur enfant à terme de suivre une scolarisation ordinaire (éventuellement avec un soutien par une AVS et un SESSAD).
D’un point de vue budgétaire, là encore c’est une bonne surprise : pour les unités d’enseignement en maternelle, on alloue 280.000€ par classe de 7 places, soit 40000€/an par place. Pour les structures médico-sociales dédiées aux autistes, on trouve 807 places de SESSAD à 30000€ par place, et 1425 places en foyer pour adultes à 45000€ la place. Ces budgets sont nettement plus conséquents qu’à l’accoutumée : un SESSAD « généraliste » se voit ainsi en général attribuer 15 à 20 k€ par place, alors qu’on estime qu’une prise en charge éducative précoce et intensive pour un enfant autiste nécessite 40 à 45k€ la place. Pour la première fois, on voit des budgets cohérents avec les besoins spécifiques des personnes autistes.
Il est vrai qu’il était temps, alors que la France vient d’être condamnée une 5è fois par le Conseil de l’Europe en février dernier, pour « violation de l’article 15§1 de la Charte Sociale Européenne en ce qui concerne le droit des enfants et adolescents autistes à la scolarisation en priorité dans les établissements de droit commun » et également « en ce qui concerne l’absence de prédominance d’un caractère éducatif au sein des institutions spécialisées prenant en charge les enfants et les adolescents autistes ». L’apartheid bien français qui veut qu’on évacue les enfants handicapés en institutions où ils passeront le restant de leur vie, au lieu de leur donner une chance par l’inclusion scolaire et sociale, est donc vigoureusement dénoncé. C’est tout un système et les mentalités qu’il va falloir changer.
Face à cette volonté politique clairement établie, on constate avec effarement des résistances généralisées sur le terrain. Au-delà des attaques en règle dans la presse par les adversaires du Plan Autisme, notamment nombre de psychiatres « Mandarins » de renom, officiant dans de célèbres hôpitaux parisiens et provinciaux, diverses manœuvres ont lieu pour saboter ce plan et préserver le « désordre établi ».
La base de ce plan, ce qui aujourd’hui donne la force aux familles de lutter, ce sont les recommandations de prise en charge de la HAS émises en 2012. On y privilégie les approches développementales et comportementales largement éprouvées depuis 40 ans à l’étranger et on y désavoue l’approche psychanalytique qui perdure en France et en Argentine. Refusant de voir les résultats des nombreuses études internationales (800 articles sont référencés dans le documents de la HAS), l’ALI (Association Lacanienne Internationale) a entamé un recours auprès du Conseil d’Etat en mai 2012 pour tenter d’obtenir le retrait de ces recommandations. Leur volonté est de couper l’herbe sous le pied à toutes les demandes des familles et à l’ensemble du Plan Autisme ; on reviendrait en arrière de 5 ans. La décision du Conseil d’Etat est attendue en avril prochain. En cas de victoire de l’ALI, l’association Vaincre l’Autisme a d’ores et déjà annoncé son intention de faire « tierce opposition » à la décision. Cette voie de recours est juridiquement possible mais rarement utilisée ; ce serait la seule restante. Elle n’est généralement pas suspensive, et le temps que la procédure aboutisse, il est donc possible que les recommandations de la HAS doivent de toute manière être retirées…
Un deuxième axe d’attaque de ce que les familles ont désormais coutume d’appeler « le côté obscur » cible un autre prérequis à la mise en œuvre du plan autisme : l’existence de professionnels formés aux prises en charges éducatives comportementales et développementales. Du fait de la mainmise de l’approche psychanalytique sur la plupart des UFR de psychologie, seules deux Universités proposent des filières avec diplôme d’Etat (type Master) permettant de former des psychologues aux approches TEACCH et ABA recommandées par la HAS. Ce sont le Master d’Analyse Appliquée du Comportement de Lille 3, qui forme à l’ABA, et le Master « Psychologie des Troubles Neuro-Développementaux » à Toulouse 2, qui forme aux approches TEACCH et ABA en particulier.
Or, le Master ABA de Lille 3 est menacé de suppression. La Présidente de l’Université de Lille 3 aurait déjà quasiment entériné la décision de ne plus reconduire cette formation, pourtant reconnue et qui commençait à prendre suffisamment d’ampleur pour fournir les professionnels aptes à répondre aux besoins des familles. Un psychologue qui en sort aujourd’hui met en moyenne 3 mois à trouver du travail, alors que d’une manière générale le taux de chômage des psychologues est de 50% à l’issue de leur formation… Cherchez l’erreur ! Du coup, dans un bel ensemble, toutes les grandes associations et collectifs se sont associés pour protester contre cette décision, dans un courrier envoyé à l’Université de Lille, au Rectorat et au Ministère de l’Enseignement Supérieur.
Si cette formation devait disparaitre, ce serait dramatique pour les familles qui perdraient ainsi un des rares viviers de professionnels formés, mais ce serait aussi un coup très dur porté au Plan Autisme. S’il n’y a pas assez de professionnels formés à l’ABA ou aux autres approches recommandées, qui pourra-t’on recruter pour faire fonctionner les structures prévues par le plan ?
Le troisième front concerne les Centre Ressource Autisme. Les associations réclament avec insistance qu’on les rende statutairement indépendants des CHU auxquels beaucoup sont rattachés budgétairement et hiérarchiquement, surtout depuis le scandale de l’éviction du Dr Lemonnier du CRA de Brest. Elles demandent aussi à être étroitement associées à la gouvernance des CRA afin de s’assurer qu’ils remplissent bien leur rôle dans le respect des recommandations de la HAS, ce qui est loin d’être le cas partout aujourd’hui. Un projet de décret est en préparation depuis des mois mais les réunions de concertation relèvent de l’accouchement dans la douleur. Les professionnels représentant les CRA lors de ces réunions refusent catégoriquement l’indépendance des CRA et font tout pour limiter la place laissée aux familles ; en face, le Gouvernement tente de résister. Ainsi le projet actuel relève du compromis ne satisfaisant personne et surtout pas les familles.
Le quatrième front concerne les Agences Régionales de Santé, qui sont responsables de l’attribution des budgets de structures pour autistes. Plusieurs attributions jugées inacceptables ont été dénoncées par diverses associations de familles. Par exemple, l’association Tous Pour l’Inclusion (TouPI) vient de déposer un recours au tribunal administratif contre l’ARS d’Ile de France. Elle souhaite faire annuler une décision d’attribution d’un SESSAD autisme à l’association Arisse, dont l’orientation et les pratiques sont notoirement très psychanalytiques. On a aussi vu le directeur de l’ARS de Corse vigoureusement pris a parti par les associations pour des propos jugés pro-psychanalyse. Suite aux protestations officielles des associations il a été convoqué à Paris par Marie-Arlette Carlotti afin de « lever le malentendu ». Même les toutes nouvelles unités d’enseignement en maternelle, un des points clés du plan autisme, font l’objet d’attributions « à la hussarde » par certaines ARS à des organismes gestionnaires pas forcément les mieux formés à l’ABA ou au TEACCH, pour des raisons difficilement compréhensibles et avec peu de transparence. Les habitudes, le « business as usual » entre les ARS et les gestionnaires déjà bien connus des « bonnes personnes », tout cela est difficile à faire évoluer.
Finalement, un cinquième front concerne les adultes autistes, souvent les grands oubliés des plans successifs. Si des recommandations de diagnostic ont bien été émises par la HAS en 2011, rien n’existe encore concernant la prise en charge, même si les recommandations pour enfants peuvent s’appliquer au moins partiellement. Dans certaines régions on relève des cas d’inspections « surprise » par l’ARS de structures pour adultes utilisant des approches comportementales et développementales, tournant assez rapidement à l’acharnement. Peut-être du fait d’une ignorance certaine des ARS des besoins des autistes. Quoi qu’il en soit, il serait bon que ces recommandations existent rapidement pour clarifier ce genre de situations, et éviter aussi la création de nouvelles structures pour adultes mettant toujours en œuvre des approches dépassées. Or, justement, la HAS a été échaudée par la polémique ayant suivi la sortie des recommandations pour les enfants, et ne fera rien tant que le recours au Conseil d’Etat par l’ALI n’aura pas été jugé…
La bataille se joue donc sur tous les fronts à la fois, pied à pied, entre les associations de familles et les professionnels d’obédience psychanalytique et leurs réseaux. Il est sidérant de voir une communauté de « professionnels soignants » s’opposer de manière aussi frontale à la communauté des « patients » et refuser ainsi les résultats de la science. Cette bataille est très inégale, les bénévoles des associations étant en permanence au bord de l’épuisement. La volonté désespérée de laisser à leurs enfants autistes des perspectives d’avenir décentes et dignes les soutient, la science aussi par la voix de la Haute Autorité de Santé. Face à eux, c’est l’idéologie et le corporatisme de trop de professionnels de santé qu’il faut combattre, sans parler des intérêts financiers considérables du « business du handicap ».
L’espoir des familles, tient aussi à l’émergence au sein de la classe politique de droite comme de gauche d’une prise de conscience qui a débuté avec Mme Simone Veil et le Député Jean-François Chossy et qui se poursuit aujourd’hui avec des personnalités comme Valérie Létard, Marie-Arlette Carlotti, Gwendal Rouillard et Daniel Fasquelle.
La France est un pays difficile à réformer, espérons que dans le domaine de l’autisme on y parviendra enfin dans un avenir proche. Par humanité – et par simple bon sens.
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