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Priorité aux plus vulnérables : l’attitude du service des pensions et des sociétés d’assurance mutuelle au temps du Covid

 

Depuis mars, une pression constante s’exerce sur les esprits. Il est rabâché comme s’il s’agissait d’une éternelle et incontestable évidence que toute personne qui fait mine de s’opposer aux décrets gouvernementaux, même à la marge, est égoïste, complotiste voire depuis peu négationniste, en une escalade qui de fait criminalise tout dissensus. Le présupposé jamais mis en discussion est en effet le suivant : les restrictions des libertés publiques ont pour unique but de sauver des vies, en particulier celles des plus vulnérables, qui sans ça tomberaient par millions. Cette antienne doit sa terrifiante efficacité précisément à l’altruisme de la majorité de la population, qui accepte tout (et son contraire, puisque les mesures sont extrêmement labiles, bien que toujours nécessaires et scientifiques) parce qu’elle se soucie du sort d’autrui.

2020 marquerait donc un tournant majeur : enfin, les autorités auraient pris conscience de l’importance de la santé publique, du caractère essentiel de toute vie, se seraient réinventées, mettant soudain de côté la quête forcenée de la rentabilité au profit de la philanthropie, de la bienveillance, surtout en direction des plus vulnérables.

Ce que j’aimerais contribuer à montrer ici, en me concentrant sur la situation en Belgique, est qu’il n’y a eu aucun tournant « pro-vulnérables ». Au contraire, les processus nietzschéens qui consistent à armer les forts contre les faibles se sont accélérés. Et si on peut le constater maintenant, en plein milieu d’une pandémie dévastatrice selon le discours officiel, pourquoi en irait-il autrement demain, dans ce monde d’après qu’on nous peint aux couleurs du paradis et qui risque plutôt de ressembler à une prison géante pour l’essentiel de la population ?

A quoi les catégories qu’on prétend protéger sont-elles confrontées, en particulier les seniors isolés aux faibles revenus, depuis mars ? Passons rapidement sur les données strictement administratives, sociales et psychologiques pour en venir à des considérations plus strictement sanitaires, même s’il conviendrait de tracer un tableau d’ensemble des répercussions de la politique adoptée sur la santé publique au sens large.

Quand ces anciens ont l’impression d’avoir contracté le virus, que leur dit-on ? De rester chez eux, sans même pouvoir consulter un médecin. Or une consultation a des effets bénéfiques en elle-même car elle donne le sentiment d’être pris en charge. Si la maladie s’aggrave, ils sont hospitalisés dans des conditions d’isolement total : les visites sont interdites, le personnel n’ose guère les approcher et n’a de toutes façons pas le loisir d’assurer des tâches sociales, pourtant bénéfiques même sur le plan sanitaire, leur charge de travail étant « optimisée » à la seconde près.

Quant aux autres maladies dont ils sont affectés, les temps d’attente pour recevoir un traitement se sont encore allongés, du fait de l’engorgement avéré ou seulement redouté (on lira à cet égard avec profit un article publié en page 3 du Canard enchaîné du 23/12/2020 : "Ces tests qui fabriquent des malades") des hôpitaux, entraînant des complications et parfois la mort.

L’accès aux soins est par ailleurs rendu encore plus précaire par l’attitude nouvelle des sociétés d'assurance mutuelle (mutuelles). On sait que depuis quelques années déjà ces entités, mises en concurrence avec les multinationales de l’assurance, en ont dans une large mesure adopté le mode de fonctionnement et les objectifs (voir Le Monde diplomatique, octobre 2020, p. 20-21). Ces derniers mois, elles ont pris l’allure de forteresses assiégées. Les clients ne sont plus accueillis physiquement. Joindre les employés par téléphone relève de la gageure, du jeu de patience ou du supplice chinois, quand les lignes n’ont pas tout simplement été coupées. Comme beaucoup de seniors, et presque tous les plus vulnérables, ne peuvent communiquer par mail, il ne leur reste donc que le courrier classique. Quand on connaît l’état des services postaux, en France, en Belgique ou ailleurs, on comprend vite que c’est rarement une solution à toute épreuve ; énormément de courriers se perdent, y compris les recommandés. Il est donc impossible de savoir si la non-réception d’une missive relève de la poste ou de la mauvaise volonté du destinataire. Et même quand les courriers parviennent à destination, la question est loin d’être réglée. Les mutualités ont semble-t-il des difficultés d’acheminement interne des demandes de remboursement. Une employée m’a ainsi confié sans rire qu’entre le moment où une lettre est déposée dans leur boîte, par la poste ou l’affilié averti lui-même, et sa réception par le chargé de dossier, quatre étapes sont nécessaires, chacune représentant un risque de déperdition de l’information.

De toute évidence, ces absurdités ne sont pas imputables au zèle bureaucratique de quelques-uns, mais à une volonté managériale de restreindre les remboursements. Celle-ci emprunte massivement une autre voie, tout aussi préjudiciable aux malades. De plus en plus régulièrement, il est demandé aux affiliés de fournir des attestations à tout propos, dans le but de rogner sur les droits. Sachant en effet que l’obtention d’un tel document relève dans les circonstances actuelles du parcours du combattant, beaucoup abandonnent en cours de route. Pour les plus persévérants, d’autres obstacles existent. Ainsi, l’attestation sera jugée trop ancienne (ce qui est en réalité généralement dû aux lenteurs de la poste, comme la direction ne peut l’ignorer), erronée ou insuffisante. Les affiliés devront donc repartir à zéro, avec le risque que l’institution délivrant le document, se disant surchargée, se refuse à envoyer un duplicata.

Prenons un exemple concret, pour lequel l’adjectif kafkaïen paraît bien trop faible. En Belgique, les mutuelles ont opté ces derniers temps pour une révision régulière du statut BIM (donnant droit à des remboursements majorés) de leurs affiliés, afin de s’assurer que leurs revenus ne dépassent pas le plafond fixé. Les retraités doivent donc en majorité s’adresser au Service fédéral des pensions. Celui-ci a récemment décidé de ne plus fournir aucune attestation, arguant conjointement d’une surcharge de travail et du fait que les mutuelles ont accès à ces données. De plus, les mutuelles ne précisent que rarement quelles période doit couvrir la preuve de revenus, ce qui leur permet ensuite de refuser le document et d’en exiger un autre. Conséquence : beaucoup de personnes âgées, parmi les plus isolées et fragiles, perdent le statut auquel ils ont pourtant droit et/ou n’obtiennent aucun remboursement. Et comme les recours traditionnels, relevant des services de l’Etat ou du secteur associatif, sont soit débordés soit en standby, ces décisions iniques restent incontestées.

D’autres choix du service des pensions interrogent. Ainsi, depuis le premier confinement, les tentatives d’escroquerie sur les retraités abondent. L’une d’elles est massive et bien documentée. Des aigrefins se font passer pour des fonctionnaires des pensions afin d’obtenir les coordonnées bancaires de leurs victimes et ainsi vider leurs comptes. Notons que ces escrocs disposent des numéros de registre national (équivalent du numéro de Sécu français) de leurs cibles, ce qui signifie qu’ils ont accès à des bases de données en principe confidentielles. Le service, dont la réputation est pourtant en jeu et qui est au courant depuis le début, a décidé de ne pas se pourvoir en justice, se bornant à conseiller à ses clients de porter plainte. Une attitude particulièrement cynique quand on sait que les victimes ont parfois 80 ou 90 ans, que le matraquage médiatique en a poussé beaucoup à rester le plus possible chez eux et que la police semble avoir pour unique priorité de combattre le Covid à coups d’amendes, de sirènes tonitruantes et de canons à eau…

Bref, tous ces développements ont pour effet de dissuader un très grand nombre de personnes âgées de recourir aux soins, avec des effets pernicieux évidents sur la santé publique. Et ce à un moment historique où on nous répète que nous devons accepter des privations de liberté inédites au nom de la survie de ces mêmes catégories.

Notons enfin qu’il importe peu que les dirigeants politiques soient ou non conscients des répercussions de leurs décisions. Quand on occupe de tels postes, la négligence est criminelle. De plus, des collectifs, chercheurs etc. n’ont cessé de les alerter sur ces dérives, sans qu’ils jugent utile d’apporter la moindre réponse concrète. Ils choisissent donc de faire la sourde oreille, non parce qu’ils seraient individuellement des monstres d’immoralité, mais par fidélité à l’idéologie dont ils sont abreuvés, et à laquelle il n’y a dans leur esprit (et celui d’une part croissante de la population) aucune alternative. Dans les faits, ils n’ont pas renoncé à la moindre parcelle de leur prêt-à-penser fondé sur des notions profondément anti-sociales comme la rationalisation et la rentabilité. Et ce au détriment non seulement de pans entiers de l’économie, des libertés publiques mais aussi, il faut le répéter, de la santé des plus vulnérables.

 


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Père_Vaire


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