Prof Rabindranath Rufo
Allô Rufo, émission de France 5, plagie quotidiennement le sketch bien connu de Francis Blanche et Pierre Dac, Sâr Rabintranath Duval.
Églantine Eméyé est plus photogénique que Francis Blanche, mais Marcel Rufo, lui, est beaucoup moins drôle que Pierre Dac.

Le Dr Rufo utilise son autorité de professeur de pédopsychiatrie pour répondre à des questions de téléspectateurs (le plus souvent de téléspectatrices), durant 10 mn le matin sur France 5.
A partir de quelques phrases d’une téléspectatrice, il prétend dire à quoi est dû tel comportement ou tel propos d’un enfant et quelle attitude il convient d’adopter, ou comment réagir à tel événement ou remédier à telle situation...
Il n’est déjà pas très sain de donner à croire qu’on peut évaluer et résoudre un problème sans tenir compte de la complexité des choses, sauf à être astrologue ou voyant…
Mais parfois le dérapage est sérieux. Le Dr Rufo, dans son émission du 3 décembre 2012 (à partir de 1’20’’), a gravement méconnu les données des études et gravement dérogé aux règles élémentaires de la déontologie, par des commentaires aussi incongrus les uns que les autres à propos d’une histoire douloureuse.
Le verbatim de la séquence peut être consulté sur la page de la pétition lancée par le CRIFIP, ou encore sur la page de la lettre de l’AIVI à la ministre de la santé suite aux propos du Dr Rufo.
S’ajoutant à ces réactions, le Dr Gérard Lopez, président de l’Institut de Victimologie, exprime également en son nom personnel son indignation.
Sans rien connaître du contexte, le Dr Rufo a mis un souvenir d’abus sexuel dans l’enfance chez une jeune femme sur le compte de fantasmes délirants, il a affirmé que l’immense majorité des enfants abusés vont bien, il a conseillé de s’en remettre à ce qu’en dirait l’abuseur désigné, il a reproché aux parents de croire trop facilement les enfants sur ce thème, il a donné des conseils de suivi pour une patiente qu’il n’a jamais vue.
Or, à ce jour, France 5 refuse toujours de s'expliquer publiquement sur ce dérapage, et de donner un droit de réponse aux associations concernées.

ANALYSE
Lors de cette émission du 3 décembre 2012, une mère rapporte que sa fille de 28 ans, souffrant d’une addiction à des antalgiques, a dû être hospitalisée en HDT [on dit actuellement « SDT », Soins à la Demande d’un Tiers, c’est-à-dire hospitalisation en psychiatrie décidée par l’entourage et les médecins, si la personne malade a expressément besoin de soins et que son consentement fait défaut ou est trop incertain].
Et qu’un mois plus tard, elle a dit qu’elle avait toujours eu la conviction depuis son enfance d’avoir été abusée sexuellement vers l’âge de 3 ou 4 ans, et elle a cité un nom.
La mère demande : « je voudrais savoir si cette intime conviction peut correspondre à une réalité ? »
Les réponses de M Rufo :
« L’immense majorité des enfants abusés vont bien » [...]
« Un abus ne peut pas entraîner un tel dégât, sauf si la vulnérabilité et la fragilité du sujet vient faire que l’abus renforce cette pathologie d’organisation »
Les études concordent au contraire à décrire des troubles psychiques et/ou somatiques (médicaux) chez les sujets ayant subi des abus sexuels.
Il est par définition difficile de connaître le pourcentage de sujets abusés sans séquelles, puisqu’ils n’ont pas affaire à la médecine. Mais il existe des enquêtes épidémiologiques (les données étant recueillies chez un échantillon de population, par questionnaire papier, informatique, téléphonique ou en face à face). Les résultats sont hétérogènes sur le plan de la fréquence tant des abus sexuels que des types de troubles ultérieurs, mais tous concluent à une plus grande fréquence de troubles sexuels, psychiques ou somatiques chez les personnes ayant été abusées.
Ainsi, la dernière étude en date (Pérez-Fuentes G et al - Prevalence and correlates of child sexual abuse : a national study. Compr Psychiatry. 2013 Jan ; 54(1):16-27) porte sur rien moins que 34 000 adultes représentatifs de la population américaine, interrogés en face à face. L’analyse en régression logistique, tenant compte des autres facteurs de risque, établit des corrélations entre l’abus sexuel dans l’enfance et de nombreux troubles psychologiques caractérisés.
Et on ne sait pas en quoi consiste le souvenir rapporté dans l’émission. L’impact peut être fort différent selon la nature de l’acte (de la simple exhibition jusqu’à la pénétration), sa fréquence (d’un acte isolé jusqu’à des actes régulièrement répétés), ou ses circonstances (de la manipulation par la douceur jusqu’à la contrainte physique brutale) .
« Là, dans ce que vous décrivez, c’est complètement fantasmatique, ca fait partie de son organisation, un peu plus de reconstruction délirante du monde, où un ennemi, un agresseur existe, fondu comme ça dans son histoire » [...]
« Compte-tenu des troubles, de l’HDT, le malade mental, le délirant reconstruit un monde et ce monde est peuplé d’ennemis, d’événements dramatiques, d’histoires comme ca »
M Rufo disqualifie les propos de la patiente au motif de sa pathologie, alors qu’on ignore le motif de l’HDT, que le terme « malade mental » ne signifie rien en soi, et que rien ne vient dire que la patiente est délirante. Et alors même que les abus sexuels de l’enfance sont connus pour être facteurs de troubles psychiques ultérieurs.
Ou bien M Rufo affabule sur la pathologie de la patiente en cause, ou bien le montage a coupé l’exposé du problème par la mère ; dans ce dernier cas, pour le téléspectateur, la réponse de M Rufo n’a pas de sens, et il doit assumer la responsabilité de ce montage.
Soulignons par ailleurs que même chez les patients délirants, la reconstruction du monde accompagne leur délire, mais n’est pas rétroactive, sauf dans quelques cas particuliers comme les délires de filiation. Un souvenir d’abus sexuel doit être pris en compte chez les personnes délirantes comme chez les autres, avec les mêmes précautions, mais avec la même attention.
« La première chose à faire c’est de vérifier, auprès de la personne citée, les choses. »
Il est inadmissible que M Rufo conseille de vérifier l’authenticité des faits auprès de la personne citée par la patiente. La personne incriminée, si elle l’est à juste titre, va-t-elle tranquillement répondre à la mère « Bon, c’est vrai, j’ai abusé de votre fille quand elle avait 4 ans » ? Tous les psychiatres, tous les experts savent parfaitement qu’un auteur d’abus sexuel sur mineur va nier farouchement, à moins que des faits ou des témoignages irréfutables le confondent.
« Est-ce qu’il faut le rendre juridique ou non ? La mode, la loi, même, c’est de dire "signalement". Mais je m’étonne de quelque chose, c’est que lorsqu’on on aboutit à un non-lieu, souvent certains parents disent "nous on croit ce qu’a dit l’enfant", alors que visiblement c’est une organisation fantasmatique de crainte. »
L’étonnement de M Rufo est étonnant pour tout professionnel. D’abord, nous ne sommes pas ici dans le cas d’un enfant, mais d’une adulte. Ensuite, au contraire, les parents vont souvent avoir une attitude de distance vis-à-vis de ce que dit la victime présumée, d’une part pour se dédouaner de la culpabilité de n’avoir pas vu, ou de ne pas avoir voulu voir, ce qui se passait, d’autre part, lorsque l’agresseur présumé est, comme souvent, un membre de la famille, pour ne pas embrouiller les relations familiales.
Et M Rufo de conseiller « un suivi en hôpital de jour » , « un suivi régulier », « un foyer occupationnel », « un placement », « un emploi aménagé », « une formation »...
Comment M Rufo peut-il donner des conseils sur la prise en charge médico-sociale de la patiente, s’immisçant ainsi de façon totalement incongrue dans les décisions qui appartiennent à l’équipe soignante qui connaît la patiente, alors que lui n’en connaît pratiquement rien ?
M Rufo conclut « ne l’abandonnons pas à sa pathologie », enfermant ainsi la patiente dans un rôle de malade mentale, dont les propos ne seraient déterminés que par la pathologie.
Ses propos, sur un sujet si délicat, ne tiennent pas la route et sont incompatibles avec la bonne pratique et l’éthique médicales.
Il est temps que le Dr Rufo cesse de sévir dans ce genre d’émission.
Une émission comme « Allo Rufo » n’a pas sa place sur une chaîne sérieuse.
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