Quand la médecine produit des « maladies »
La santé est, dans nos sociétés, un facteur important d'intégration sociale. Être en forme devient une norme à la fois physique et mentale qui va de paire avec une sanitarisation renforcée. Historiquement, ce processus s'observe sur plusieurs siècles. Les représentations sociales de la maladie ont évolué au profit d'une légitimation de la médecine et au détriment des perceptions religieuses/magiques. Ces anciennes perceptions ne sont pas à dénigrer car elles ont reflété et reflètent toujours dans certaines sociétés, une organisation sociale propre, une rationalité différente toute aussi légitime (contextuellement parlant) pour comprendre, interpréter et prendre en charge la maladie. Ce serait conforter l'évolutionnisme que de croire en une médecine ''primitive''. La société occidentale n'est pas plus "avancée" en matière de santé, elle a simplement un système de perception, de croyance et donc une rationalité différente envers la maladie qui produit la médecine occidentale d'aujourd'hui.On parle ici de la percéption de la maladie et non des résultats empiriques d'un remède ou d'une méthode curative quelconque.
La médicalisation, en sociologie, est un processus qui vise à accroître ses champs de compétence, en considérant des choses non médicales comme telles. Désormais, la médecine apparaît comme la solution à divers problèmes comme l'échec scolaire, le domaine judiciaire ou encore les relations sexuelles et/ou comportementales dans le couple... Il paraît logique de nos jours de faire appel à la médecine pour ces thématiques, mais ce ne fut pas toujours le cas.
Ce processus est particulièrement présent dans les sociétés occidentales et tend à se généraliser mondialement. En sociologie de la santé on nommerait ça "la morbidité déclarée", soit le fait de se sentir de plus en plus malade. La médecine produit des remèdes mais elle produit aussi des maladies puisqu'elle accroît les normes sanitaires et donc les individus se sentent de plus en plus facilement malade. Peut-on parler de paranoïa ? Non le terme serait trop fort, disons seulement que la médecine répond à un système de croyance, celui d'une rationalité accrue, d'une interprétation éthique (en opposition à émique) de la maladie.
Ce processus s'explique de façon structurelle ; tout d'abord la population occidentale est vieillissante et nécessite des soins plus fréquents. De plus les récentes innovations médicales ont propulsé la médecine au rang de référente en terme de santé. Au début du XIXème siècle, les médecins avaient une faible clientèle, ils avaient une forte concurrence, celle des praticiens populaires, des religieux ou encore des sages-femmes. La médecine n'était pas reconnue comme la plus efficace dans les croyances.
C'est en 1892 qu'une loi accorde aux médecins le monopole de l'exercice de la médecine. Les médecins ont donc mené une lutte politique afin d'obtenir leur reconnaissance. La reconnaissance politique marque souvent la cristallisation d'un savoir comme étant pertinent. Les médecins peuvent organiser, imposer les codes de la médecine, former, ils sont en situation de monopole.
Désormais on ne cherche plus à éviter de tomber malade mais à rester en bonne santé.
Ainsi les consultations médicales ou paramédicales ne visent pas toujours à soigner des maux mais à préserver un état de forme. Beaucoup d'activités connexes vont se développer en parallèle, comme le marketing ("actimel le matin", salles de sport, spa, centres de remise en forme, produits amincissants...). Ainsi la norme qui vise à rester en bonne santé afin d'éviter de s'exposer à des jugements moraux, fait vendre.
Le processus de médicalisation permet aussi de justifier des actes anciennement considérés comme "déviants". Ainsi la psychologie s'est imposée dans les affaires judiciaires et plus largement la médecine. Conrad et Scheider nous parlent d'un modèle séquentiel de la médicalisation. Tout d'abord on définit un comportement comme déviant (ex : l'homicide). Vient ensuite l'élaboration de nouvelles techniques médicales qui permettent de comprendre biologiquement cet acte déviant. La troisième étape se caractérise par la diffusion dans la sphère publique de cette nouvelle interprétation, ainsi l'homicide peut être comprit médicalement/psychologiquement... Dans un quatrième temps, on assiste à un processus de légitimation qui vise à reconnaître la médecine comme étant compétente et pertinente pour comprendre l'acte. Le cinquième temps est celui de l'institutionnalisation. Il met en place une codification ; l'acte de base va trouver sa place dans une nomenclature médicale, ainsi qu'une bureaucratisation ; des organisations vont se mettre en place pour développer des pratiques propres à cet acte, établir des normes et des pratiques dans le traitement de cette nouvelle maladie.
La sphère politique entérine la nouvelle façon d'appréhender les choses.
Ce processus de médicalisation comporte-t-il des risques ?
Fassin nous dit que la médecine contrôle nos corps et nos comportements. En imposant un mode de vie légitimé, il devient plus simple de contrôler les individus sur leurs pratiques (ne pas fumer, ne pas boire, ne pas manger trop gras, trop salé...). Ainsi le politique utiliserait la médecine pour avoir un contrôle sur les corps. Ainsi la médecine devient un instrument du politique pour répondre à des enjeux sociaux.
Illich lui, définit trois types de iatrogénie ("étude des maladies d'origine médicale ou médicamenteuse") :
1- La iatrogénie sociale : On définit la maladie de plus en plus largementet donc les occasions d'être malade vont être de plus en plus nombreuses et donc les traitements aussi. La médecine moderne est créatrice de maladies.
2- La iatrogénie clinique : Soit les effets indésirables provoqués par une surconsomation de médicaments.
3- La iatrogénie structurelle : La médecine dépossède l'individu de sa propre maladie. Il est impossible d'interpréter personnellement sa maladie puisque la médecine s'avère être la seule entité compétente, rationnelle et légitime.
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