Soins malsains pour les seins
Information scientifique ou science de la désinformation ?
Le 19 février 2008, durant le Journal télévisé de 20 heures, nous apprenons que, selon une étude de l’assurance maladie, le nombre de nouveaux cas de cancer du sein, qui ne cessait d’augmenter depuis la fin des années 70, a baissé en France de 4,3 % entre 2004 et 2005 et de 3,3 % entre 2005 et 2006.
Jusque-là, bonne nouvelle, mais stupéfaction, cette chute s’expliquerait par la diminution du recours aux traitements hormonaux substitutifs (THS) de la ménopause.
Cette nouvelle, assénée sans autre précaution, a dû plonger les milliers de femmes suivant encore ces traitements dans un grand désarroi. Félicitations aux journalistes pour le tact et la délicatesse.
Cette dépêche de l’AFP, tombée dans l’après-midi du même jour, est d’autant plus étonnante que le mois précédent, l’étude « Mission » réhabilitait « le traitement hormonal à la française » en concluant que « les Françaises n’avaient rien à craindre du THS, ni du côté cardiovasculaire ni du côté du cancer du sein ».
Cette annonce en provenance de l’assurance maladie est donc une véritable bombe à retardement pour les femmes qui avaient repris confiance dans ces traitements de la ménopause après la polémique soulevée en 2002 par l’étude américaine « WHI » (pour Woman’s Health Initiative).
Alors, info ou intox ?
Que nous apprend donc cette dernière analyse statistique des médecins de l’assurance maladie, dont l’étude est relayée par le très sérieux Bulletin du cancer de ce début d’année 2008 ?
L’assurance maladie a constaté une baisse du nombre de cancer du sein pris en charge, de 4,3 % entre 2004 et 2005 et de 3,3 % entre 2005 et 2006. La diminution la plus forte concerne les femmes de plus de 50 ans, respectivement de 6 % et 5,3%. Elle a parallèlement enregistré une baisse d’utilisation des traitements hormonaux de 62 % depuis le début des années 2000. De là à conclure à un lien de causalité, il n’y avait qu’un pas, qu’elle a allègrement franchi devant nos yeux ébahis.
Alors que, depuis la fin des années 70, le nombre de cancers du sein a connu une hausse permanente (croissance annuelle de 2,1 % entre 2000 et 2004), ce taux s’est enfin mis à décliner peu à peu. Selon les experts, cette baisse est paradoxale car elle intervient en période de « déploiement du dépistage » (+ 335 % de mammographie entre 2000 et 2006) qui s’accompagne généralement d’une augmentation des « cas dépistés ».
Mais, au cours de ces mêmes six années, les traitements THS de la ménopause ont diminué de 62 % et l’étude considère que « c’est la seule modification majeure de l’environnement pouvant expliquer cette évolution ».
Mais alors, qu’est-ce qui explique la diminution des cas pour les femmes de moins de 50 ans ? Et, d’ailleurs, observe-t-on également une réduction du nombre de cancers du sein chez les femmes suivant encore un THS ? L’enquête ne le dit pas !
Est-il si difficile d’imaginer, qu’au contraire, un changement majeur de l’environnement ait eu lieu sans que nous ne l’ayons encore décelé ? Est-il anormal de constater que la baisse est plus grande dans le groupe où le risque est le plus important ? Il semble pourtant naturel qu’un changement y soit plus sensible.
Il faut préciser que cette étude ne relève aucunement d’une démarche scientifique, respectant un protocole de recherche, des procédures de validation strictes et portant sur l’observation d’un panel de femmes ménopausées dont un tiers prendrait un THS, un deuxième tiers un placebo et le troisième aucun traitement. Non, il s’agit d’une enquête statistique basée sur les données « comptables », puisqu’elle se contente de dénombrer, d’une part, les nouveaux cas de cancers du sein pris en charge par l’assurance maladie et, d’autre part, les femmes prises en charge pour un THS de la ménopause. Constatant une diminution de ces deux chiffres, les médecins les ont rapprochés et interprétés à la lumière de leurs connaissances médicales. En l’occurrence, ce serait plutôt à la lueur de leurs préjugés, car aucun lien de causalité n’est scientifiquement avéré.
Ce préjugé est apparu en 2002, lors de la parution des résultats de la vaste étude américaine dénommée WHI (pour Women’s Health Initiative) qui avait semé le doute en concluant que le THM entraînait une augmentation du risque de cancer du sein. A la suite de quoi, des millions de femmes dans le monde avaient renoncé à suivre ce type de traitements souvent pris pendant de longues années (huit ans en moyenne). En France, 32 % des 2 millions de femmes ménopausées prenant un THS l’ont arrêté à cette époque. Depuis la tendance s’est poursuivie pour atteindre aujourd’hui 62 %.
Mais, comme l’a montré depuis l’étude française « Mission », réalisée par la Fédération nationale de gynécologie médicale (FNGM), les traitements THS prescrits aux Etats-Unis étaient très différents de ceux utilisés en France. En effet, ceux-ci contenaient des hormones de synthèse alors que nous n’utilisons que des hormones naturelles. Les résultats de l’étude Mission, présentés le 22 janvier 2008, ont validé la pratique des gynécologues français et concluent que le traitement hormonal substitutif de la ménopause prescrit en France n’augmentait pas le risque de cancer du sein. Ce résultat confirme celui de l’étude Esther publié par l’Inserm qui contredisait l’étude américaine pour les raisons évidentes.
En effet, l’étude WHI portait sur une population fort différente : des femmes d’une moyenne d’âge élevée (63 ans), d’un poids supérieur (indice de masse corporelle moyen de 28 au lieu de 24 et pour un tiers d’entre elles >30, autrement dit « obèse »), des traitements différents (composition et mode d’administration). De plus, chez ces femmes américaines, l’instauration du THS a débuté en moyenne quinze ans après la ménopause, alors qu’en France elles sont traitées juste après le début de celle-ci, or plus l’âge avance et plus le risque de cancer augmente. Autant de raisons qui expliquent pourquoi, à l’issue de Mission, les auteurs n’ont pas observé d’augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes sous THS par rapport aux femmes non traitées.
L’étude Mission a porté sur 6 755 femmes ménopausées à 50 ans en moyenne, d’un indice MC compris entre 24 et 25 et dont la majorité (76 %) sous THS prenait une association d’estradiol et de progestérone naturelle, pendant huit ans en moyenne. Les résultats montrent que les femmes françaises qui prennent un THS de ce type en début de ménopause ne présentent pas d’augmentation du risque de cancer du sein. Celles qui prennent uniquement de l’estradiol non plus. En revanche, le risque est accru lorsque le THS contient de la progestérone de synthèse comme celle qui était majoritairement utilisée en Amérique.
Depuis que cette annonce est tombée, force est de reconnaître qu’elle n’a pas suscité beaucoup de réactions « officielles ». Peu ou pas d’interrogations de la part des journalistes ou des milieux scientifiques ; aucune mesure d’accompagnement de la part des institutions, pas de polémique dans la communauté médicale. Pas même en provenance des membres de l’étude Mission pour défendre leur travail, pourtant très récent. Aussi peu de conviction et de combativité ne laisse pas d’être inquiétant. Il est étonnant de constater que les épidémiologistes qui ont critiqué la méthodologie de l’étude Mission, qui pourtant respectait un protocole d’observation scientifique, ne bronchent pas cette fois-ci.
Si l’on voulait que les femmes arrêtent volontairement ce type de traitements, on ne s’y prendrait pas autrement. En France, plus de 10 millions de femmes sont ménopausées. En 2002, 2 millions d’entre elles prenaient un THS, mais, suite à la polémique anglo-saxonne, 640 000 (32 %) l’ont arrêté par précaution entre septembre 2002 et juillet 2003, puis jusqu’à 1 240 000 (62 %) en 2007, ce qui fait que ces traitements concernent aujourd’hui environ 760 000 personnes. Mais quel serait l’intérêt de l’assurance maladie à soutenir cette thèse ? Voudrait-elle faire l’économie de ces traitements, peu onéreux, mais pris pendant de nombreuses années, sans les ajouter à la liste, déjà longue, des médicaments dits « de confort » non remboursés ? Il est vrai que la ménopause n’est pas une maladie, mais elle occasionne des bouleversements physiologiques qui contribuent à l’apparition de troubles climatériques (bouffées de chaleur) et, surtout, ce qui est beaucoup plus grave, au développement de l’ostéoporose. Car les carences hormonales favorisent la fragilisation des os, ce qui est loin d’être anodin. C’est pourquoi il serait dangereux d’arrêter brutalement les traitements hormonaux sans consulter son médecin traitant pour envisager avec lui un traitement alternatif.
Comme on peut le constater au vu des résultats contradictoires des différentes études menées sur le sujet, il est difficile d’avoir une certitude quant à la véracité du risque d’augmentation du cancer du sein pour les femmes sous THS, même à la française. Mais la moindre des choses aurait été d’accompagner cette annonce, toute conditionnelle qu’elle soit, de recommandations et conseils judicieux, afin de ne pas plonger les patientes concernées dans une inquiétude sans fondement.
Le plus inquiétant dans cette affaire est le silence complice, voire coupable, des médecins et chercheurs. Ils auraient dû prendre la parole à ce moment et exposer leur avis, car qui ne dit mot consent et leur silence assourdissant ne manquera pas d’attirer la défiance sur toute la profession. Si l’on peut reprocher aux journalistes d’avoir une étrange conception de leur métier en se contentant de colporter des dépêches sans se poser de question, les médecins eux pourraient être accusés de non-assistance par ces femmes désespérées qu’ils ont abandonnées à leur sort, jetées en pâture à ce cancer qui leur ronge les sangs.
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