Tendances et usages des substances psychoactives en France (1/2)
Entre 2016 et 2017, 6 échantillons de cocaïne sur 10 présentaient un taux de pureté supérieur à 70%, part qui n’avait jamais dépassé 4 sur 10 au cours des années précédentes. Promotions de Noël, livraisons à domicile et OGM, les dealers redoublent d'imagination pour fidéliser la clientèle.

Les rapports sur l’usage des substances psychoactives se ressemblent tous un peu. Mélanges de réflexions de spécialistes et de chercheurs issus de différentes disciplines (médecin, scientifique, sociologue, démographe...), ils apportent aux pouvoirs publics, aux professionnels du secteur et au grand public une approche objective et scientifique sur le phénomène des drogues et des addictions. Une analyse froide et détachée se gardant d’apporter des réponses politiques à un phénomène de santé publique.
Dans son rapport annuel publié en décembre 2017, l’Observatoire Français des drogues et des toxicomanies se base sur les informations collectées dans ses huit centres répartis dans toute la France. Les tendances des années précédentes se confirment, notamment l’intensification de l’usage de cocaïne, un phénomène en constante évolution depuis plusieurs années malgré un prix d'achat prohibitif.
La consommation régulière est en augmentation sur tous les sites observés (discothèques, bars, centre-ville...) et les points de vente se multiplient sur l’ensemble du territoire. L’usage de la cocaïne semble mieux accepté socialement et banalise l'usage en public ou occasionnel – « à l’apéro » - quand elle était plutôt réservée au week-end ou à des circonstances particulières (festival, teuf, discothèque…).
"Certains échantillons se sont révélés être quasiment purs"
Face à la multiplication des « mules » utilisées pour le transport, le rapport note que « la quantité de cocaïne arrivant en métropole via la Guyane pourrait s’élever à près de 4 tonnes, soit 20 % environ du marché français ». Conséquence d’un plus faible nombre d’intermédiaires, le produit n'arrive pas coupé sur le marché français. Le 28 décembre 2017, un jeune Guyanais de 17 ans a été interpellé à l’aéroport Charles-de-Gaulle après avoir ingéré plus de 120 boulettes de cocaïne (soit 1.4 kilos) d’une rare pureté.
Dans une démarche de prévention des risques, la Préfecture alerte occasionnellement les consommateurs lorsque des échantillons saisis confirment un niveau de pureté élevé ou à l'inverse un produit dangereusement coupé. En 2016, une dizaine de personnes ont été hospitalisées après avoir consommé de la cocaine coupée à la scopolamine, un sédatif puissant utilisé pour lutter contre le mal des transports.
En 2017, des collectes de cocaïne ont permis d’établir que près de 6 échantillons sur 10 présentaient un taux de pureté supérieur à 70% « part qui n’avait jamais dépassé 4 sur 10 au cours des années précédentes. Certains échantillons se sont révélés être quasiment purs ».
- De la cocaïne plus chère et de meilleure qualité.
« J’achète de la cocaïne quand elle est en promotion »
Au-delà d’une meilleure qualité, l’offre s’est diversifiée ; on peut acheter de la cocaïne plus facilement dans la rue, mais aussi dans certains quartiers sur le format d’un « drive » sans même sortir de son véhicule, à l’image du trafic dans la cité Bassens à Marseille, plusieurs fois démantelé et aussitôt reconstitué. Dans les centres villes, les livraisons s’effectuent à domicile et les commandes se font par un simple appel ou message texte. Les acheteurs reçoivent régulièrement des relances et promotions par SMS sur leur téléphone.
Dans les milieux d’affaires et le monde de la nuit, ces textos sont une petite fierté que l'on exhibe comme un trophée. Pour assoir la provocation, les messages de dealers reçus sont recensés dans un Tumblr au nom évocateur.
« Mon dealer fait de la pub ».
- Profitez des promotions et des offres de Noel !
Le ton laconique et bon enfant intègre des promotions marketing sous forme de métaphores grossières et de rabais du type ; trois grammes achetés, un ecstasy offert. L’un d’eux propose carrément un extra si le PSG l’emporte... Les offres ne sont pas établies par hasard et témoignent de la professionnalisation d’un secteur devenu ultra concurrentiel. Les dealers appliquent des techniques marketing pour maximiser les ventes et fidéliser la clientèle.
En 2015, La Provence confirmait la rumeur d'une carte de fidélité pour l’achat de cannabis dans la cité phocéenne. Au point qu'une blague circule dans les commissariats, imaginant le jour où les dealers accepteront les tickets restaurants.
Schumpeter fait des émules dans la cité
L'adaptation de l’offre à la demande s’illustre dans les quartiers de Marseille, décrit par Philippe Pujol dans son fascinant essai « la fabrique du monstre ». Le prix Albert Londres 2014 détaille la mise en place d’un système où des dealers locaux ont renoncé à vendre du mauvais hachis coupé à des produits de substitution ne trouvant plus preneurs auprès d’une clientèle jeune et boboïsé réclamant de l’herbe. Les « charbonneurs » [personne qui revend du cannabis au détail] sont devenus cultivateurs :
Extrait :
« On a remarqué que les fumeurs, ils font pousser chez eux, pas parce qu’ils ont peur d’acheter dans les cités, mais parce qu’ils veulent de la bonne beuh. Alors, y a des gros malins qu’ont importés des graines de Hollande, de l’amnésia, l’une des plus fortes. Et maintenant, y font les paysans ».
L'étage entier d'un l'immeuble est désormais consacré à la culture en intérieur de cannabis afin d’inonder le marché local et répondre à la demande croissante. Le business est géré comme une PME. Pujol déplore « un ensemble de compétences et de savoir-faire montrant un esprit d’entreprise bien mal employé, que les entrepreneurs et investisseurs légaux peinent pourtant à déceler dans ces quartiers devenus des fabriques de sans-emploi et de talents gâchés ».
À ce rythme, on imagine bientôt des labels biologiques et des produits certifiés halal...
Le cannabis demeure la drogue préférée des Français
Selon le rapport de l’OFDT, « le marché de l’herbe de cannabis tend à supplanter celle de résine » sur certains sites comme Bordeaux ou Toulouse et rappelle que la drogue provient essentiellement du Maroc via l’Espagne, malgré la saisie d’environ 71 tonnes de cannabis (herbes et résines confondues) en 2016.
Selon les estimations, les Français sont parmi les plus gros consommateurs de cannabis d’Europe, environ 5 millions en consomment chaque année dont un tiers régulièrement. Le rapport évoque la banalisation des installations indoor / outdoor initiée par des communautés au fait de la culture de cannabis. Il devient facile avec internet et la plupart des forums de discussions d’obtenir des informations et des conseils de plantation. Commander des graines en quelques clics pour une poignée d’euros est une formalité. La Poste assure à son insu la livraison du paquet directement dans votre boîte aux lettres.
Des sites spécialisés proposent un catalogue d’herbes au choix, décrivant avec précision les variétés, classées selon le gout, les effets ou le temps de floraison...
- De la beuh à la carte, classée selon les goûts ..et les odeurs.
De l’herbe transgénique au petit déjeuner
La culture du cannabis n’est pas épargnée par les révolutions de l’agriculture. Depuis quelques années, on trouve sur le marché des plantes génétiquement modifiées avec des taux en THC (tétrahydrocannabinol) plus important. Pour schématiser, les chromosomes de la plante sont multipliés pour obtenir une drogue "de qualité supérieure". Les temps de production sont également réduits. Au rythme des saisons, un plant de cannabis normalement constitué a besoin d’environ six mois pour se développer et fleurir. Mis en terre au printemps, la plante entame sa floraison lorsque les jours commencent à raccourcir, au début de l’été, pour une récolte avant l’automne. Désormais, grâce à des croisements réalisés sur des plantes ayant des cycles de vie plus courts, le cannabis génétiquement modifié est capable de fleurir seul quelle que soit la saison.
Et une culture OGM, de la graine à la récolte, se réalise dorénavant en 12 semaines…
Des progrès scientifiques qui laissent pantois. Le manque de recul empêche une étude sérieuse sur les effets de ce cannabis génétiquement modifié. Mais il s'agit définitivement d'une aubaine pour les trafiquants et les petits producteurs. A l’image des OGM, le débat promet d’être animé.
Au point d’imaginer, en cas de légalisation, du cannabis estampillé Monsanto …
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