Une nouvelle loi sur l’euthanasie
Les pratiques médicales modernes permettent de maintenir artificiellement en vie, parfois pendant des années, des personnes plongées dans le coma profond et irréversible. Par ailleurs, l'évolution des mentalités et la priorité donnée au respect de la volonté individuelle conduisent certains à revendiquer le droit de pouvoir décider eux-mêmes du moment de leur mort. Les initiatives en faveur de l'aide à mourir se sont donc multipliées.
Bien que le sens étymologique de "l'euthanasie" est "la bonne mort", depuis les abominations nazies le mot est encombré d'une connotation sinistre. "Aide à mourir" est plus neutre.
La vie s'allonge et les techniques de survie se perfectionnent. Il y a pratiquement plus de famille qui ne soit pas tôt ou tard confrontée à la question de l'aide à mourir. Le personnel soignant s'y trouve confronté aussi, car c'est maintenant à l'hôpital surtout que l'on meurt. C'est donc devenu un problème de société. La maîtrise de sa propre vie est une valeur fondamentale et la question se pose si cela englobe la possibilité de décider sa propre mort.
Dans les pays de tradition libérale, où prime la notion de l'autonomie de la personne, ce qui importe c'est le degré de consentement des patients. Lorsque des patients en phase terminale de maladie subissent des souffrances constantes sans espoir de voir leur situation s'améliorer et qu'ils font la demande de manière répétée, volontaire et mûrement réfléchie, certains médecins et d'autres membres du corps soignant sont prêts à mettre à terme à leur vie (euthanasie active) ou à les aider à mettre fin à leurs jours (suicide assisté). Les médecins peuvent aussi être amenés à décider d'interrompre un traitement de survie en sachant qu'ils provoquent ainsi la mort du patient (euthanasie passive). Ces pratiques médicales largement connues ont le plus souvent un caractère très discret, voire secret, et bien qu'illégales dans la plupart des pays, elles sont rarement sanctionnées. Cette réalité comporte le plus haut risque des abus, et il faut combler l'écart entre la loi et la pratique.
Les arguments le plus souvent avancés contre l'aide à mourir sont, d'une part, les arguments religieux - "Tu ne tuera pas", et d'autre part l'argument de "la pente savonneuse" - le danger d'abus. D'autres maintiennent que la volonté de mourir masque le plus souvent un besoin d'affection. Examinons ces arguments.
L'argument religieux se base sur la doctrine éthique du caractère sacré de la vie humaine. C'est une doctrine profondément ancrée dans la tradition judéo-chrétienne, selon laquelle l'être humain, et lui seul, possède un statut moral spécial, et en raison de ce statut privilégié, enlever la vie à un être humain est en soi moralement condamnable, quelles que soient les circonstances. Pour le croyant c'est effectivement un argument irréfutable, car toute vie humaine est considérée comme d'égale valeur.
Or, les pratiques médicales modernes nous forcent à reconnaître que ce n'est pas toujours le cas. Aujourd'hui, nous pouvons décider de maintenir ou non en vie des patients ayant perdu toute forme de conscience ou des nouveau-nés sévèrement handicapés. Ce qui suppose de notre part un jugement sur la valeur de leur vie, un jugement que nous n'avions pas à porter auparavant, puisque ces personnes mourraient rapidement.
Aujourd'hui, avec le déclin de la foi religieuse, on peut reconsidérer la doctrine du caractère sacré de la vie humaine. Placer l'existence de l'être humain sur un plan supérieur à celui de l'existence des animaux est une attitude profondément ancrée dans la religion. Il n'y a pas d'autre moyen de justifier cette supériorité de l'espèce humaine que d'invoquer l'immortalité de l'âme, ou toute autre formule de statut privilégié de l'homme dans le dessin divin. Ce qu'il faut, c'est se demander quelles capacités chez un être vivant sont moralement significatives. La capacité de ressentir du plaisir ou de la souffrance est un composant essentiel de la réponse. A l'évidence, ce n'est pas le propre de l'homme. En intelligence et certains autres points l'homme est supérieur à l'animal, mais par le degré seulement, ou la quantité. Quand on s'inquiète du sort des baleines ou des éléphants, ce n'est pas uniquement par souci esthétique. Il s'agit plutôt de remettre l'humanité à sa place, qui est éminente, mais qui n'en fait pas moins partie de la nature.
On trouve quelque part dans la Bible : "C'est moi qui est Dieu, qui donne la vie et qui la reprends." Mais nous vivons dans la tradition libérale, héritée du siècle des Lumières. Nous ne pouvons pas invoquer cette tradition religieuses pour interdire l'aide à mourir au niveau de la société. Il faut trouver d'autres arguments. Il y en a. Les opposants à l'euthanasie ne sont pas tous des catholiques. Il y a l'argument dit de la pente savonneuse : si on commence à légaliser l'aide à mourir, jusqu'à où ira-t-on ? Le nazisme n'est pas loin ! Mais l'argument ignore ce que la loi exigera. Le rôle de la loi est justement de tracer des limites à ne pas dépasser. D'autre part il n'y a pas question de pratiquer l'euthanasie contre la volonté des personnes. Est-ce raisonnable d'interdire ce qu'on estime bon au nom de conséquences qui restent des hypothèses ? D'ailleurs, si on libéralise l'aide à mourir, on n'oblige personne à faire quoi que ce soit. On donne une liberté négative. Avec des garde-fous.
On peut prendre l'exemple des Pays-Bas. Les conditions stipulées par la loi sont draconiennes. La décision revient à un médecin, mais il doit avoir l'avis d'un autre médecin. Le malade doit être en fin de vie, souffrir intensément et ait formulé une demande répétée et insistante. Il n' y avait jamais question de libéraliser l'aide à mourir sans des restrictions de ce genre.
Le corps soignant des centres de soins palliatifs s'oppose catégoriquement à toute forme d'aide à mourir ou suicide assisté. On maintient qu'avec des soins palliatifs adéquats les malades ne demandent jamais l'aide à mourir. Même si cet affirmation est souvent vrai, elle n'explique pas complètement l'opposition des centre palliatifs, puisque l'aide à mourir et soins palliatifs ne sont pas contradictoires mais complémentaires. Il en va de soit que les médecins essaient par tous les moyens, y compris des soins palliatifs, d'encourager le malade à tenir bon et renoncer à une aide à mourir. Si certains considèrent la mort volontaire comme la pire des solutions, parfois c'est la seule.
Le sujet provoque toujours des rejets brutaux et émotifs, parce que l'on craint qu'une brèche serait ouverte pour pouvoir se débarrasser des vieux et des handicapés. Mais le danger n'est réel tant que la pratique reste dans l'ombre, et c'est justement pour cette raison qu'une loi est nécessaire. La loi insiste sur la volonté du malade, exprimée d'une façon claire et répétée, et aussi sur le fait que le malade doit être "en phase terminale." Encadrée par une loi tellement restrictive le danger d'abus semble pratiquement exclu. Mais elle exclut aussi beaucoup de malades qui, bien que dans un état pitoyable, ne sont pas moribondes. Lucides et souffrants, leurs demandes d'aide à mourir ne peuvent aboutir tant qu'ils ne sont pas "en phase terminale."
Autoriser un médecin à mettre un terme à la vie d'un malade qui le lui demande, c'est respecter l'autonomie de la personne. L'aide à mourir devrait être partout possible dans les conditions où elle l'est déjà aux Pays-Bas. Dans ce pays, cette pratique est encadrée par une législation précise, et elle est approuvée par une grande majorité de la population et de la classe politique, catholiques compris.
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