Une tranche de vie
Confession d'un bonimenteur nostalgique

Le rendez-vous annuel
Il était une bande de joyeux drilles qui se retrouvaient une fois l'an en un coin perdu d'un département rural. Les uns vivaient sur place, éleveur ou bien potier, couvreur ou bien soignant. Les autres, fonctionnaires ou employés les rejoignaient en leur paradis sur terre. La fête était belle, joyeuse, insouciante et différente.
Ils se souviennent encore avec nostalgie de leurs saints Sylvestre. Les tours en tracteur, les spectacles hilarants, les virées nocturnes, la crèche vivante, les combats de sumo. Rien que de très ordinaire, une manière de penser le réveillon autrement. La table était prétexte à joutes culinaires où la fantaisie et l'improbable était au rendez-vous.
Les années ont passé, des enfants sont venus agrandir le cercle puis ont fini par ne plus y venir. Des amis sont partis, des amitiés que l'on croyait indestructibles se sont brisées aux réalités de différences que la vie ne cesse d'imposer. Conceptions éducatives, train de vie, choix politiques, habitudes de vie. Qu'importent les raisons, le mal fait ne se rattrape plus.
Le groupe s'est rétracté, il s'est assagi au fil des années passées. Puis il a fallu convenir que le temps les avait rattrapés. Une place vint à manquer dans le cercle des intimes. Un poids terrible, une absence insupportable. Il a fallu faire semblant, continuer comme si de rien n'était. Le trou, comme dans la chanson, ne se refermera jamais. Il a laissé des béances qui ne se refermeront jamais.
C'est alors que chacun a observé les marques que l'âge laisse sur chacun d'entre eux. Deux sont désormais à la retraite, c'est le versant positif de ces années qui s'empilent. Il y en a d'autres qui ne sont pas aussi agréables. Beaucoup font désormais la sourde oreille, ils ont beau s'entendre toujours aussi bien, il faut parfois se répéter et parler un peu plus fort.
Il y a encore les petits maux personnels qui imposent désormais prudence et tempérance, modification des habitudes alimentaires et des rythmes de vie. D'année en année, le nombre de bouteilles vidées se réduit, l'heure des premiers nez qui piquent avance au contraire. Il faut se faire à l'évidence, à force de célébrer les changements d'année, l'effet de cumul se constate vraiment !
Ainsi va la vie pour ce petit groupe parmi des milliers d'autres. La fuite inexorable du temps, la lente dégradation des capacités physiques, la corrosion des liens et des situations, la présence sournoise de la camarde. Personne n'échappe à cette réalité. Pendant des années, l'insouciance, les enfants, le rythme effréné de la vie professionnelle occulte ce phénomène sournois.
Puis soudain, le souffle est plus court, les ventres rebondis, les cheveux dégarnis et blanchis, les rides plus prononcées, la gourmandise moins vorace, la résistance plus fragile. Les yeux se ferment bien plus tôt. Les lendemains de fête sont bien plus calmes qu'avant.
C'est au soir d'un nouvel an, quand beaucoup s'en sont retournés à leur domicile respectif que l'un deux vient à songer à ce parcours qui s'infléchit, à la fragilité d'un moment qu'ils pensaient tous éternel. Il y a désormais certainement bien moins de réveillons à passer ensemble qu'ils n'en ont partagés depuis si longtemps.
Les lendemains de fête ont cette étrange particularité de pousser à la réflexion et à la nostalgie. L'homme, pour conjurer le sort, pour effacer son angoisse, pour apaiser sa peur a éprouvé le besoin de poser ces quelques mots. Un récit anonyme, une tranche de vie parmi tant d'autres. Rien d'exceptionnel ni de vraiment remarquable. Simplement une année de mieux sur le calendrier, un passage qui ne signifie rien et pourtant …
Chrononostalgiquement vôtre
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