Variant delta : la territorialisation des restrictions sanitaires
« Chacun a sa place dans la cité et doit avoir la part de responsabilité qui lui revient dans la construction de la maison commune, selon le principe de subsidiarité largement développé par les papes. » (Jean-Paul II, le 17 novembre 1999, lettre à Jean Boissonnat, président des Semaines sociales de France).
Comme on pouvait le craindre, avec un taux d’incidence de 1 000 nouvelles contaminations pour 100 000 habitants en une semaine, le préfet de Martinique a pris le mercredi 28 juillet 2021 des mesures de confinement et de couvre-feu sur tout le territoire de la Martinique. Les services hospitaliers sont saturés et l’on en vient à envisager sérieusement des transferts de malades en métropole. Pas étonnant que la reprise épidémique est plus forte en Martinique, avec un taux de couverture vaccinale extrêmement faible (de l'ordre de 16%), ce qui, pour le Premier Ministre Jean Castex, est même, hélas pour les Martiniquais, la preuve de l'efficacité de la vaccination pour lutter contre l'épidémie.
Cette information rappelle la doctrine du gouvernement pour cette quatrième vague épidémique : la territorialisation des mesures de restriction sanitaire. Cette idée est d’ailleurs du bon sens. Pourquoi appliquer à tout le pays des mesures qui ne seraient nécessaires que dans une région particulièrement touchée par les contaminations ?
On a souvent critiqué la gestion de la première vague, avec des mesures de confinement strict partout, alors que c’étaient le Nord, le Nord-Est, la Bourgogne-Franche-Comté et la région parisienne qui étaient principalement touchées. Les régions du littoral atlantique, notamment, semblaient épargnées. À l’époque, le gouvernement avait justifié les mesures nationales par la nécessité de maintenir bas le niveau épidémique de ces régions épargnées afin qu’elles puissent compléter sinon suppléer les services de réanimation dans les régions les plus touchées.
Un argument tout à fait valable qui est du reste du même genre que la fermeture des remontées mécaniques dans les stations de ski l’hiver dernier. Bien entendu qu’on risquait peu de se faire contaminer en skiant (il suffisait de maintenir des distances de sécurité dans les files d’attente), mais c’était pour éviter un engorgement des hôpitaux (la Savoie était pas mal touchée), supprimer une cause d’hospitalisation très fréquente l’hiver (accident de ski), très fréquente car beaucoup de skieurs ne font pas beaucoup de sport en dehors de ces moments intenses. J’ai été étonné que le gouvernement ait si mal communiqué sur ce sujet en laissant se propager l’idée qu’il faisait n’importe quoi, arbitrairement et sans justification.
Cette territorialisation a une origine intéressante, la doctrine sociale de l’Église, confirmée par le pape Jean-Paul II en 2001 : « Je ne peux que me réjouir de voir invoqué, de plus en plus, le fécond principe de subsidiarité. Ce principe est l’un des piliers de toute la doctrine sociale de l’Église. ». En effet, c’est dans l’encyclique "Quadragesimo Anno" promulguée par le pape Pie XI le 15 mai 1931, pour célébrer le quarantième anniversaire de l’encyclique "Rerum Novarum" promulguée par le pape Léon XIII le 15 mai 1891, qu’a été introduite la notion de "subsidiarii officii principio", le principe de subsidiarité, qu’on pourrait définir de manière "profane" par cette formulation d’un chef d’entreprise, Alexandre Gérard, qui me paraît pas mal : « On confie des responsabilités à l’échelon le plus bas et le plus proche possible de l’action. Quant au manager, il se place en retrait pour accompagner plutôt que pour diriger. ». Pour la crise sanitaire, le manager, c’est bien sûr ici Emmanuel Macron.
On comprendra alors pourquoi le principe de subsidiarité est l’un des principes fondateurs de la construction européenne. Il permet le maintien des États, des nations, la diversité qu’on retrouve dans cette devise : "l’unité dans la diversité". Elle nécessite, pour être applicable, un État décentralisé, ce qui est peu dans la tradition républicaine française d’égalité de tous. Je parle de "tradition" car c’est bien de l’histoire qu’il s’agit. L’Allemagne est un État unifié récent, tout comme l’Italie, l’Espagne, les États-Unis, et le principe de subsidiarité leur est "naturel" car ce sont des États particulièrement fédéraux. En revanche, la France a toujours été un État centralisateur, fort, par nécessité de prendre l’ascendant sur des duchés souvent agités et rebelles.
Mais revenons à la gestion de la crise sanitaire. Le gouvernement y a trouvé un intérêt politique non négligeable : la possibilité de prendre des mesures ciblées mais localisées, si bien qu’elles sont sans conséquence politique. Du moins à très court terme. Après tout, il vaut mieux laisser le préfet de Martinique assumer cette mesure locale plutôt que d’en faire une mesure d’information nationale assumée par le gouvernement lui-même. On ne pourra pas reprocher au gouvernement de ne pas assumer, puisque personne ne voudrait nationaliser ce type de mesures.
Et pourtant, c’est ce qui s’est passé aux deuxième et troisième vagues. Durant l’été 2020, où il était question de porter le masque en extérieur, cela avait commencé très mal. La maire de Paris avait en effet défini des rues à masque (très passantes) et des rues sans masque (moins passante), mais c’était tellement compliqué, et tellement évolutif, qu’il fallait se promener avec un plan détaillé relié au site de la mairie pour ne pas être en infraction. Finalement, à la fin du mois d’août, après la difficulté des maires à définir des zones à masque, le port du masque a été obligatoire partout. C’est plus simple, plus lisible, peut-être moins intelligent et moins pertinent mais la simplicité rend souvent une mesure contraignante plus acceptable qu’une usine à gaz trop sophistiquée.
En septembre et en octobre 2020, petit à petit, des mesures de restriction très localisées ont été prises : fermeture de bars et restaurants à 23 heures, etc. On se souvient du vent de révolte à Marseille, qui ne comprenaient pas qu’on appliquât à Marseille ce qu’on refusait d’appliquer en Seine-Saint-Denis dont la situation épidémique était aussi alarmante. Ensuite, ce furent des couvre-feux dans certains départements… et finalement, des mesures de confinement généralisées, sur tout le territoire national. Il y a eu le même phénomène en mars 2021 : après des mesures localisées de confinement, leur extension sur tout le territoire, c’était le troisième confinement.
Il ne faut pas être dupe avec le virus, en particulier avec le variant delta très contaminateur. Les mesures locales ne durent jamais très longtemps. En France, au 25 juillet 2021, le taux d’incidence national était de 191,4. Autant dire que séparer les départements au taux d’incidence supérieur ou inférieur à 200 va bientôt ne plus avoir de sens : c’est le pays en entier qui aura dépassé le seuil d’alerte (qui devait être de 50 mais en période de vague, on le remonte à 200). En Corse, on a déjà pris des mesures de fermeture de cafés et restaurants à 23 heures, et probablement que les mesures seront de plus en plus restrictives, surtout en pleines rencontres estivales de vacanciers.
Pour cette quatrième vague, la situation géographique est très différente des précédentes vagues : les départements où la contamination fait rage sont ceux où l’on vient passer ses vacances, ce qui est logique. Ainsi, tout le littoral atlantique est maintenant durement touché, ce qui est nouveau par rapport aux vagues précédentes. Mais les chassés-croisés des vacanciers (juilletistes, aoûtiens) vont aller mécaniquement "répandre" ces fortes contaminations partout dans le pays. Des mesures territorialisés ne se justifieraient vraiment et ne seraient efficaces que si l’on décidait d’entraver la circulation et qu’on interdisait le déplacement entre départements concernés et le reste du pays. Or, en pleines vacances, cette idée n’est absolument pas acceptable ni envisageable.
Je crains la nationalisation des mesures territorialisées, parce que l’expérience épidémique montre que si on ne ferme pas les "frontières" (intérieures, celle des départements), la situation grave de certaines zones s’étendra à tout le pays. Mais j’ai aussi une belle espérance. Celle de la vaccination.
L’Institut Pasteur a publié de nouvelles projections. Ce sont des scénarios issus de modèles, ils n’ont rien de prédictifs mais ils montrent des résultats selon les informations qu’on met en hypothèse. "Le Monde" et LCI ont publié les différentes courbes.
Les scénarios proposés dépendent de deux critères : l’état de la vaccination en cours, et le niveau du taux de reproduction effectif (très élevé pour le variant delta ; l’expérience montre que l’hypothèse médiane, courbes en jaune sur le schéma, est la plus proche de la réalité). Dans l’hypothèse de ralentissement de la vaccination, le pic épidémique serait prévu en mi-septembre 2021 en dépassant tant le pic de la première vague que celui de la deuxième vague, ce qui signifierait des jours très très difficiles dans les services hospitaliers.
L’hypothèse de la poursuite d’une vaccination massive (insistons sur le fait que grâce au sursaut suscité par la décision du passe sanitaire, la France a dépassé les États-Unis pour sa couverture vaccinale, et est même en train de rattraper l’Allemagne dans une ou deux semaines), la quatrième vague pourrait ne pas atteindre le niveau épidémique de la deuxième vague, et le pic serait en début de septembre 2021.
C’est basé sur ces modèles qu’on doit trouver la raison de la volonté d’être rapide dans l’application du passe sanitaire. Car ces modèles ne tiennent pas compte de ces mesures de restriction. Et il n’y a pas de miracle. Ou l’on arrivera à appliquer efficacement le passe sanitaire, qui est un pis-aller, ou l’on finira par reconfiner tout le pays en pleine rentrée scolaire. Que ceux qui ont d’autres solutions moins contraignantes mais tout aussi efficaces pour stopper la montée épidémique les transmettent au plus vite au gouvernement avant qu’il parte en vacances, elles aussi bien méritées !…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 juillet 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Variant delta : la territorialisation des restrictions sanitaires.
Covid-19 : les bénéfices-risques de la vaccination des adolescents.
4e vague : passe sanitaire ou reconfinement ?
Les outrances désolantes des antivax, enfants gâtés de la planète.
Fête nationale : cinq ans plus tard…
Emmanuel Macron, la méthode forte.
Emmanuel Macron face à la 4e vague (2).
Emmanuel Macron face à la 4e vague (1).
SARS-CoV-2 variants of concern and variants under investigation in England, Technical briefing 17, Publlic Health England, 25 juin 2021 (à télécharger).
Bosetti et al., Epidemiology and control of SARS-CoV-2 epidemics in partially vaccinated populations ; a modeling study applied to France, Institut Pasteur, 28 juin 2021 (à télécharger).
Covid-19 : Où en est l’épidémie en France ? Et faut-il avoir peur du variant delta ?
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