Veut-on vraiment virer le professeur Didier Raoult de la direction de l’IHU Méditerranée Infection ?
« Le bonheur est une potiche posée sur le nez d’un mandarin ivre et qui éternue. » (Pierre Loti).
La question de mon titre mérite d’être abordée puisque depuis le 18 août 2021, il est question de la succession du professeur Didier Raoult à la tête de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection. Depuis un an et demi, Didier Raoult, microbiologiste désormais très connu médiatiquement, a fait beaucoup de tort en disant sans prudence beaucoup trop de choses peu pertinentes, tort tant à la lutte contre la pandémie de covid-19 en France qu’à la réputation scientifique internationale du prestigieux organisme de recherche qu’il dirige.
La première remarque introductive est sans doute la seule vraie réponse valable, certes banale, à la question : Didier Raoult a 69 ans et demi, né le 13 mars 1952, ce qui en fait une personne déjà d’un certain âge, comme on le dit généralement, ce qui est tout à son honneur car cela signifie expérience et (en principe) sagesse. Vouloir jouer sur les deux tableaux, prendre sa retraite d’une part (le monde est ce qu’il est, le temps passe), et jouer la victime d’autre part, a évidemment un avantage médiatique. On l’a vu dans d’autres circonstances avec d’autres métiers (par exemple, le départ très victimaire de l’humoriste Stéphane Guillon de France Inter). Une retraite du reste programmée depuis des années !
Grâce à Nicolas Sarkozy, il a pu d’ailleurs poursuivre sa carrière au-delà des fatidiques 68 ans, car il a permis à tous les actifs de pouvoir travailler jusqu’à 70 ans (ce qui a coûté assez cher aux entreprises au moment de la crise de 2008). Le président de l’Université Aix-Marseille Éric Berton a en effet annoncé sa mise à la retraite le 31 août 2021 en tant que professeur des universités-praticien hospitalier.
Car Didier Raoult, en tant que mandarin, a plusieurs métiers en un : médecin (praticien), enseignant (à l’université), mais aussi chercheur (microbiologiste, l’un des recordman français comme auteur de publications scientifiques, je n’insiste pas sur le sujet mais il y aurait beaucoup de choses à dire), et enfin, gestionnaire d’un grand organisme public de recherche, qui est l’IHU Méditerranée Infection qu’il dirige d’une main de fer depuis sa création, en 2011.
Représentant à l’extrême le système de la recherche publique, Didier Raoult a d’ailleurs bénéficié une précédente fois des décisions présidentielles de Nicolas Sarkozy. Grâce aux investissements d’avenir décidés le 22 juin 2009, il a pu ainsi recevoir la subvention publique plus élevée consacrée à la recherche médicale en France, à savoir 72,3 millions d’euros, et faire construire un nouveau bâtiment plus adapté de 27 000 mètres carrés qui a été inauguré en mars 2018. Il s’agissait de réunir dans un même organisme tout ce que la "région" de Marseille comptait en moyen de lutter contre les maladies infectieuses. 75 lits ont été créés sur place mais aucune place en réanimation, les patients en soins critiques sont transférés à l’hôpital de la Timone. L’IHU Méditerranée Infection, qui a obtenu des fonds européens et des aides d’entreprises privées, emploie 800 salariés dont un tiers consacré à la recherche. Près d’une dizaine de start-up sont hébergées à l’institut ; Didier Raoult possède ainsi 23% du capital de Techno-Jouvence, selon la presse.
Parmi les membres fondateurs de l’IHU Méditerranée Infection, il y a ses tutelles, l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), l’Université d’Aix-Marseille, BioMérieux, l’Établissement du sang, le Service santé des armées, l’IRD (qui souhaite se désengager). L’INSERM et le CNRS ont du reste retiré leur label à cet institut dès 2018, après l’évaluation scientifique médiocre de l’IHU par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, une autorité administrative indépendante de l’État créée par la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013. Cette évaluation trouve notamment qu’il y a un gros volume de publications sans intérêt, que la création d’une revue scientifique est une tentative "désespérée" de publier des articles refusés par d’autres revues, qu’il y a un manque d’expertise dans des domaines clefs, etc.
Nommé directeur général de l’AP-HM par décret le 3 juin 2021, François Crémieux (51 ans) vient de succéder à Jean-Olivier Arnaud, en poste depuis mai 2017, qui a fait valoir ses droits à la retraite après quarante et unes années de bons et loyaux services consacrés à l’hôpital public. Très expérimenté dans le management hospitalier, François Crémieux était auparavant le directeur général adjoint de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) depuis septembre 2018 après avoir été notamment le conseiller de la ministre Marisol Touraine entre 2012 et 2014. Il a par ailleurs une longue expérience des pays en guerre et des politiques de santé dans les périodes de reconstruction après un conflit.
Ses premières déclarations sont donc sans surprise : « L’AP-HM est un des premiers CHU de France comme en témoignent sa place au cœur de l’offre de soins en région Sud Provence Alpes Côte d’Azur, ses missions d’établissement de référence au-delà de sa seule région et dans certains domaines, son excellence et son leadership de niveau national voire international. Je mettrai tout mon engagement pour mobiliser l’AP-HM autour d’une ambition collective positive de grand CHU européen. ».
François Crémieux a donc demandé à Didier Raoult de quitter son poste de directeur de l’IHU. En principe, le fait d’être retraité interdit administrativement à Didier Raoult de continuer à diriger un organisme public afin de ne pas cumuler sa retraite avec un emploi.
Alors, certes, on pourra dire que le "méchant pouvoir" a voulu limoger le professeur Didier Raoult, mais la réalité, c’est qu’il existe un âge de la retraite et que celui-ci est déjà passé, et il fait déjà du "rab". Si le gouvernement avait voulu s’en "débarrasser", il n’aurait sans doute pas attendu un an et demi pour le faire. La gouvernance de la recherche et des universités est d’ailleurs très particulière, et suit un principe auquel les chercheurs tiennent avant tout : leur indépendance du pouvoir, justement.
Cela n’entraîne pas la fin de la vie intellectuelle de Didier Raoult, au contraire, il aura même beaucoup plus le temps de se répandre dans les médias et sur ses vidéos personnelles (où trouvait-il donc le temps de communiquer autant ?). Et ce sera très bien pour le débat scientifique. Sa propre réputation restera la même mais il y aura un élément majeur qui changera : il n’engagera plus la réputation scientifique de l’un des plus grands organismes de recherche médicale en France, subventionné par l’État. Et pour les contribuables que nous sommes tous, c’est certainement un grand soulagement.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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Les supposés "bons" résultats de l’IHU Méditerranée du professeur Didier Raoult…
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