Vieilles et belles
Derrière le 'scandale' des implants mammaires PIP, il y a un contexte vite oublié par la presse. C'est tout simplement celui du vieillissement...
Le musée de Melun expose le Tryptique de la Vierge à l'Enfant-Jésus de Fouquet (voir incrustation). Ce portrait ressemble beaucoup à celui d'Agnès Sorel, maîtresse du roi Charles VII, le père de Louis XI (source).
La poitrine haute et galbée de la Vierge précède celle des pin-ups du cinéma d'après-guerre d'un demi-millénaire. Non, le sein ne jaillit pas à l'époque contemporaine.
Pendant des siècles, les peintres ne l'ont pas dissimulé. Ils l'ont même souvent exhibé dans les Nativités pour figurer la Mère nourricière qui entoure l'Enfant. Au début du XVIIème siècle, la Femme à la puce trouve grâce quant à elle aux yeux de La Tour (incrustation). Dans un couvent nancéien (?) elle tient peut-être un chapelet. L'allaitement a aplati sa poitrine. Aujourd'hui qui sait, elle aurait sans doute envie de consulter un plasticien.
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A l'aube des temps journalistiques - c'est-à-dire après 1945 - il y avait une technique médicale non maîtrisée. Pas d'offre de chirurgie plastique, donc pas de demande. Les parents mariaient leurs filles. Les filles devenaient mères à vingt ans. A quarante, elles s'habillaient en noir. A soixante, elles mouraient de vieillesse.
Puis la chirurgie mammaire est apparue. Des femmes pouvaient restaurer leur silhouette sans recours à des armatures, corsets et autres fanfreluches. Seuls quelques chirurgiens maîtrisaient la technique. L'opération coûtait donc cher, réservée aux plus fortunées. Pour des stars ou de riches douairières aux seins tombants le magicien du bistouri offrait la jouvence. A l'âge d'être grand-mères, elles pouvaient jouer aux ingénues et retourner le coeur d'hommes à l'âge mur.
En 2012, des dizaines de milliers de femmes ont recours à la chirurgie mammaire. Autant dire qu'il y a une multitude de motivations. Et qu'il est vain d'établir une liste ! Dans le plus traumatisant des cas, le traitement d'une tumeur cancéreuse il n'y a d'autres solutions que l'ablation du sein et une reconstruction à l'aide d'un implant mammaire (pour celles qui le demandent). On est loin ici de toute esthétique frivole. Au Canada, le nombre de cancers du sein est passé de 75 pour 100.000 à la fin des années 1960 à près de 110 en 2000 ; la mortalité restant stable, à 30 pour 100 000, le taux de survie s'améliore donc sans cesse (source). Pour environ 17 millions de Canadiennes (à raison de 80/100 000), cela signifie que 13. 600 femmes surmontent leur cancer ; avec ou sans implants !
Les chirurgiens ont banalisé l'opération : c'est une filière visiblement rentable (source). L'acte chirurgical coûte donc beaucoup moins cher, alors que le niveau de vie moyen a considérablement augmenté.
Aujourd'hui, les octogénaires portent dans leurs bras leurs arrière-petits enfants. Plus curieusement, l'allaitement maternel incriminé dans la diminution des seins est devenu la norme alors que les femmes fuyaient cette pratique animale une ou deux générations plus tôt. Dans une logique de concurrence pure et d'unions périssables, une femme qui renonce à modifier sa poitrine accepte d'échapper aux standards de beauté dominants. En même temps, celle qui se 'lance' sait qu'au bout de vingt ans, elle devra probablement repasser sur la table d'opération...
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En une cinquantaine d'années, tout a changé, sauf le regard des observateurs. Dans un reportage de 1991 pour un journal télévisé, le téléspectateur doit s'affliger devant des erreurs chirurgicales (source). Trois ans plus tard, une opérée évoque son poste de vendeuse disputé par plus jeune qu'elle ; l'équipe s'intéresse cependant surtout aux récriminations des vrais chirurgiens contre des concurrents nouveaux venus, esthéticiens qui contournent les règles en vigueur. Les premiers déplorent... que les seconds attirent leurs clients avec de la publicité (source) ! Dans un autre reportage, cette fois en 2004, la démocratisation de l'opération apparaît en filigrane : '5.000 euros en France contre 1.500 en Tunisie' (source). Toujours aucune question sur la solidité des prothèses.
Alors que lit-on dans le Monde sur le sujet des implants mammaires ? Plusieurs raccourcis saisissants rehaussés d'une photo énigmatique de seins en bois accrochés à une cloison, comme des articles de mode...
- Nombreuses seraient celles qui suivent la mode et qui refuseraient d'avoir sur le torse des 'gants de toilette' (sic).
- Toutes les 'reconstruites' cherchent quelque chose de simple : '(Pour) la majorité des femmes, le plaisir d'être vue est plus important que la caresse' (dixit un opérateur).
- Dans chaque homme sommeille un obsédé de l'ogive, un pousse-au-crime qui force sa conjointe à se refaire les seins pour mieux les palper.
- Vanité d'une quête seulement esthétique, l'essentiel est invisible. Forcément.
Un moralisateur veille en chaque journaliste. Virginie Malingre n'en est pas à son coup d'essai : On nous gave, on nous pollue, on nous tient éveillés... La télévision ne fait guère mieux : souvenir de 1999... Il n'y a pourtant qu'une seule information nouvelle. Un fabriquant industriel a voulu pousser plus loin que les autres la chasse aux marges et a vendu de la silicone à la tonne (source).
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Le vieillissement d'une population aisée s'accompagne de phénomènes marginaux (douloureux) ? Que faut-il retenir, si ce n'est d'abord que l'espérance de vie à la naissance progresse. Une femme née en 1950 mourra en moyenne en 2020 ; une femme née en 1970, en 2045 ; et une femme née en 1990, en 2070 (Cairn) Au passage, cet allongement repousse le couperet de la perte d'autonomie et l'entrée en maison de retraite : 79 ans en 1966, 82 en 1976, 84 en 1986 et 86 en 1996 (pour les femmes / Cairn).
Toutes les spécialités médicales visent finalement à provoquer ce mouvement en diminuant le risque de mortalité ; mieux, même, en améliorant le confort de vie des plus âgés. Personne ne proteste quand un chirurgien du coeur opère une octogénaire en bonne santé. Alors des femmes se portent mieux grâce à une chirurgie esthétique coûteuse ? Grand bien leur fasse de vieillir belles.
Car l'indignation est sélective. Jusqu'à preuve du contraire, aucun journal et aucune télévision ne refuse une publicité sous prétexte qu'une vedette sur le retour et sans rides pousse ses contemporaines à vouloir concilier Fouquet et La Tour !
Dernier papier sur le vieillissement : Ne pas confondre aînés et neuneus.
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