2004 – 2014 : Dix ans déjà, quel bilan ?
Le 15 mars 2004, le législateur promulguait la loi éponyme qui allait graver dans le marbre l’interdiction des signes « ostensiblement » religieux au sein des établissements scolaires.
Cette loi drapée dans les habits de la vertu aurait pu, objectivement, constituer une avancée dans l’interprétation de l’égalité républicaine et avant tout dans la définit...ion d’une laïcité positive, ouverte et surtout répondant à sa vocation première, à savoir la neutralité de l’Etat en matière de pratique cultuelle.
Cependant, cet épisode de notre Histoire récente constitue un précédent troublant en matière de liberté publique, mais également en matière d’ingérence du pouvoir public dans la définition de ce qui est une pratique religieuse, ou pas. Une hérésie laïque dirons-nous !
Pourquoi ? Ceci en trois points, simples, clairs et limpides.
Premièrement, au nom de la Liberté. Nous sommes au XXIème siècle. Jamais dans l’Histoire de l’Humanité les idées, les opinions et les croyances n’ont voyagé et ne se sont déplacées aussi aisément et aussi facilement. Décider, au nom de Tous, de ce qu’est la neutralité publique ou de ce qui est acceptable en terme de code vestimentaire peut se révéler être le début d’une dérive liberticide qui ne s’attaquera pas uniquement aux musulmans, puisse que c’est comme cela que cette loi est perçue, mais aussi comme l’ouverture d’une boite de pandore qui rappelle les heures les plus sombres de notre Histoire.
Deuxièmement, au nom de l’Egalité. La représentation nationale s’est trompée de cible. La véritable segmentation de la population, y compris dans l’école républicaine, est sociale. Il aurait été plus pertinent d’introduire le port d’un uniforme scolaire qui aurait aplani un certain nombre d’injustices économiques. A l’heure où de nombreux adolescents peuvent venir à l’école vêtus quotidiennement pour l’équivalent du salaire des parents de leur camarade de classe. Là, il y a une véritable inégalité à traiter. D’autant plus que cette inégalité est une source réelle de tension et de frustration engendrant conflits, racket….
Troisièmement, au nom de la Fraternité. On ne choisit pas sa famille… Et pourtant, elle reste notre famille. La vocation première de la République, et a fortiori de l’Ecole républicaine, est de réunir sous sa bannière tous ses enfants. Les « bons » et les « mauvais ». Les « normaux » et les « anormaux ». Les « classiques » et les « originaux ». Les « beaux » et les « moches ». Les « riches » et les « misérables ». Les « croyants » comme les « mécréants »…
Par ailleurs, plusieurs autres points sont sujets à caution. Par exemple, le terme « ostensible » à laquelle la loi fait référence. Clairement, on ne bannit pas ce qui est religieux, mais ce qui peut être interprété comme tel. Chacun de nous pourra donc être questionné sur la signification qu’il donne, ou non, à tel ou tel attribut vestimentaire… Les Gothiques sont potentiellement des adorateurs de Satan, les Rastas des membres du mouvement spirituel Rastafari…
De plus, la laïcité aurait du rester pour nous tous une ombrelle protégeant tous les citoyens, qu’ils soient croyant ou pas. Elle s’est transformée en une épée de Damoclès pouvant s’abattre sur chacun d’entre-nous en fonction de l’humeur ambiante et du coupable du moment, car il serait malhonnête d’oublier que les débats entourant cette loi se sont déroulés dans un climat de chasse aux sorcières d’après 11 septembre qui a fortement influencé l’orientation des discussions et du rendu des commissions ayant travaillé sur ce sujet.
Enfin, 10 ans après la promulgation de cette loi, le voile n’a pas disparu des écoles et les affaires médiatiques sont quasiment éradiquées. Mais les jeunes filles voilées n’ont pas pour autant disparu. Combien de collégiennes et de lycéennes sont littéralement arrêtées aux portes des écoles comme sous la Ségrégation ? Combien de potentiels gâchés ? Combien de jeunes filles qui n’ont pas choisi de porter le voile n’ont aucun autre espace que celui de leur famille pour s’exprimer ? Comment ont été accompagnées les mineures exclues ?....
Tant de questions qui restent sans réponse. La « poussière » a été mise sous le tapis, mais la société n’en est pas moins clivée… Le moins que l’on soit en droit d’attendre, en tant que citoyen attaché aux libertés publiques, serait la mise en place d’une commission publique d’évaluation de cette loi liberticide avant d’étudier sérieusement l’abrogation de cette incohérence législative.
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