8 mars : tes bottes sont faites pour marcher !
Au programme aujourd'hui, 1 chanson initialement chantée par une artiste pop, blanche et états-unienne. Ça change un peu des rudes boys jamaïcains auxquels ce blog est plus abonné, comme quoi ici on n'est pas sectaire. Dans l'article sur Don Drummond, on avait rapidement évoqué la musique comme mode d'expression d'un refus du néocolonialisme, d'expression d'une fierté noire, d'une volonté d'émancipation contre l'oppression raciale. En ce 8 mars, nous nous penchons sur le rôle qu'a pu jouer la musique comme catalyseur du mouvement d'émancipation des femmes.
These boots are made for walking.
Cette chanson a été écrite par Lee Hazlewood en 1963 ou 1964 (on s'éloigne difficilement de la période, n'est-ce pas). Cet auteur-compositeur-interprète-producteur n'est pas très connu du grand public, son travail n'aura pourtant pas laissé le monde tout à fait comme il l'a trouvé puisqu'il a notamment lancé dans le monde de la production un certain … Phil Spector (voir cette itw et cette biographie de Hazlewood). Interprète à la voix impressionnante, il a initialement écrit cette chanson pour lui-même, mais une petite débutante encore inconnue (même si son nom, hérité de papa, ne l'était pas, lui), sentant que cette chanson était faite pour elle, changera l'avenir en insistant pour l'interpréter : Nancy Sinatra. Deuxième single de son premier album studio, Boots, ce morceau va rencontrer un énorme succès qui n'est pas retombé depuis sa sortie en 1966, ce sera le premier numéro 1 pour Nancy Sinatra comme pour Lee Hazlewood.
L'immense succès de cette chanson n'est pas, comme le murmure les mauvaises langues, uniquement du à la capacité de séduction de Nancy Sinatra. Musicalement, c'est une vraie réussite, mêlant le côté très rythmé et entrainant de la contrebasse à un côté plus doux (c'est cet équilibre que met en valeur Stanley Kubrick pour justifier le choix de cette chanson dans
Hazlewood a écrit cette chanson de manière légère ("It was a joke to begin with" dira-t-il), et ce n'est sûrement pas par la volonté de Nancy si cette chanson a pu devenir un symbole international de l'émancipation des femmes. Non contente d'avoir utilisé cette chanson pour aller remonter le morale de l'armée impérialiste yankee au sud Viêtnam, elle en a renié toute la porté progressiste de cette chanson ("The image created by 'Boots' isn't the real me. 'Boots' was hard and I'm as soft as they come."). Hors le côté dur est justement un des deux éléments subversifs et donc progressistes de cette chanson. Le premier élément est évidemment la notion de liberté de la femme qui non seulement face à un mec qui ne lui convient pas peut se barrer quand elle veut ("These boots are made for walking, and that's just what they'll do / Ces bottes sont faites pour marcher et c'est exactement ce qu'elles vont faire") à une époque ou le divorce à l'initiative de la femme était mal admis (et les relations hors mariage encore plus). La notion de liberté va encore au-delà de l'idée de n'être pas obligée de rester avec un homme dans cette chanson, car ces bottes faites pour marcher et qui vont le faire sont une vraie promesse de faire la route, de prendre les chemins de traverses à l'aventure, de vivre sa vie, ce qui est bien éloigné du rôle casanier et rangé traditionnellement réservé à la femme. Quand l'auditrice entend le (Start walkin' / En route !) final de Nancy, bien que celui-ci soit officiellement adressé aux fameuses bottes (Are you ready boots ?), elle ne peut que s'identifier aux fameuses bottes et le prendre comme une invitation, une invitation bien tentante à laquelle il serait difficile de résister.
Mais la dureté de la chanson en est bien le deuxième élément intéressant. La femme n'est pas obligée d'être passive et de subir en s'écrasant, elle peut fuir. Mais elle peut aussi faire face et les sales types n'ont qu'à faire gaffe à leurs abattis : "One of these days these boots are gonna walk all over you / Un de ces jours ces bottes vont te piétiner". Probablement que Lee voyait plus dans cette phrase du refrain un effet comique, mais les mots ont un sens et en gros, bonhomme, si tu laisses pas la petite demoiselle tranquille, si tu ne la laisses pas tracer sa route, elle va t'écraser ses peupons dans la gueule toute seule comme une grande et tu feras moins le malin. Cette idée préfigure tous les combats féministes pour populariser leur capacité d'auto-défense, préfigure l'état d'esprit des actuelles marches nocturnes non mixtes (ce soir à Paris, à Lille ou encore à Strasbourg…).
Cette chanson a été reprise par plus de 60 interprètes différents, massacrée bien souvent (des trash-métaleux méga-rebelles de Megadeth à l'insipide bimbo Jessica Simpson en passant par l'inénarrable Amanda Lear ou Banderas…), reprise sans la gâcher ni lui apporter grand-chose maintes fois (notamment toutes les versions pop-country-variétoche, par exemple par Latoya Jackson ou Jewel), mais aussi quelques fois réinventée, voir transcendée.
On retiendra notamment comme versions intéressantes :
- Celle de la génialissime chanteuse jazz Ella Fitzgerald ("come on and rock" invite-t-elle).
- la décevante mais audacieuse version du virtuose bluesman Popa Chubby, qui accompagne à la guitare Galea (sa compagne à la ville) au chant.
- Le pur produit Motown, la reprise par les supremes. Ce n'est pas le groupe que je préfère dans le genre soul/rythm'n blues, mais c'est emblématique.
Enfin, il ne fallait pas être naïf et croire que je resterais si éloigné de mes amours habituelles. Une chanson qui parle de boots, de marcher, de liberté, ça ne pouvait qu'attirer les artistes de la vague skinhead.
- Cette chanson à ainsi été reprise par le groupe américain de ska-punk skinisant operation Ivy (dont deux des anciens membres jouent actuellement dans Rancid) dans une version ou l'important où l'important avec ces boots n'est plus qu'elles soient faites pour marcher mais qu'elles vont piétiner.
- Le groupe de ska anglais bad manners, icône des skins antifas de la seconde vague 2 tone ont aussi touché à ce morceau de manière un peu moins vénère.
- Enfin, et on s'arrêtera là-dessus, cette chanson a été reprise par Monsieur skinhead lui-même, Symarip aka Roy Ellis. Celui qui, en chantant le cultissime Skinhead Moonstomp faisait déjà la part belle aux boots, transforma celle-ci en these boots are made for stomping.
En guise de conclusion, à tout à l'heure à la manif.
Vous l'aurez compris, marcher use peut-être les semelles, mais les droits des femmes eux, s'usent surtout si on reste le cul dans le canapé, si on ferme sa gueule. Partout en France des manifs sont organisées aujourd'hui (appel parisien ici), des débats et autres initiatives ont lieu toute la semaine. Comme la musique n'est pas qu'une mièvrerie destinée à adoucir les mœurs mais est aussi un véritable outil d'émancipation, j'espère que vous marcherez en musique, que vous ferez écouter des chansons délicieusement subversives à vos proches qui ne sont pas encore prêts à entrer dans la lutte contre l'oppression des femmes et le sexisme. Cet article vous donne donc le choix entre différentes versions de cette chanson mythique en fonction de vos affinités musicales, mais il y a bien sûr un large choix de chansons à potentiel féministe, qu'il soit voulu comme tel ou non. Prochainement, nous parlerons probablement d'une artiste qui a elle aussi envoyé valser pas mal de valeurs machistes : la très rock Wanda Jackson.
http://red-and-rude.blogspot.com/# !/2012/03/8-mars-tes-bottes-sont-faites-pour.html
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