A l’Assemblée, une minute de silence pour la mémoire d’un assassin
Le député de la Moselle Jean-Marie Demange s’est suicidé par arme de poing, après l’avoir utilisée pour tuer une femme, ont affirmé la plupart des dépêches pendant cette journée du 17 novembre. Le soir, quelques brèves radiophoniques ont annoncé ce décès intervenu dans des conditions particulières, un décès ayant valu au député une minute de silence de ses confrères. On peut comprendre la réaction de cette vénérable assemblée mais tout de même, n’y a-t-il pas une indécence à offrir un honneur posthume à un homme qu’on doit désigner et que du reste la presse désigne comme un assassin en toute exactitude au vu des faits avérés. Ce matin, aucune allusion à cette affaire dans le journal de 10 heures sur France Inter.
Retour sur les faits. Après une annonce laconique (une femme a été tuée, aurait été tuée ?) les faits précis sont connus en fin de journée. Un témoin a même rapporté le déroulement de la scène. Le député aurait battu sa compagne pendant dix minutes avant de l’assassiner avec son pistolet ; et quelques minutes plus tard, une autre balle annonçant l’issue fatale. Quant à la première victime de ce coup de folie, elle était mère de deux adolescents, présentée comme la compagne de Demange, puis, comme son éventuelle maîtresse car de source policière, on apprend que le meurtrier était en instance de divorce et si ça se trouve, ce n’est pas même exact. Quant aux médias, ils ont pris soin de bien ajouter que Demange était dépressif, carrément cassé après son échec à la mairie de Thionville. La presse insiste bien sur ce détail. Comme pour c(h)lasser l’affaire et trouver quelque circonstances atténuantes à ce geste. Mais oui, c’est sûr, vous êtes déprimé, vous êtes mal, ne vous gênez pas, votre compagne vous quitte, cassez lui la gueule et flinguez-là !
Ce fait est certes sans précédent sous la Cinquième République, mais son traitement par les médias traduit un peu de l’esprit de notre République. A notre époque, Montesquieu verrait autant dans les lois que dans les « jugements de valeur » de la presse, l’esprit de notre époque. Parfois, la presse s’empare d’une une info, allonge la sauce, présentant quelques jeunes parisiens émigrés en Corrèze comme de dangereux terroristes, avant même la moindre décision judiciaire tangible. En un autre cas, cette même presse avait prétendu que les parents d’un jeune garçon sauvagement assassiné avaient des problèmes de couple, allant même jusqu’à supputer une double vie pour la mère. Mais que voulez-vous, ce sont des petites gens, des anonymes, pas comme notre député qui appartient à la classe des notables. Ce député qui n’aura pas à s’expliquer devant la justice. C’est regrettable, nous aurions pu voir comment les médias auraient présenté ce cas, alors que l’affaire Cantat, guère plus reluisante, suscita une vague de lynchage ; mais Cantat n’est pas un notable, c’est un saltimbanque, un contestataire avéré du système.
La blogosphère qu’on dit de plus en plus réactive s’est mise en marche et déjà, les commentaires fusent, notamment en ce lieu très fréquenté tenu par l’avocat Eolas. Nul ne peut présager d’une énorme résonance mais une chose est certaine, cette minute de silence, effectuée dans la précipitation, eut demandé quelque réflexions, quitte à la repousser de 24 heures, voire l’annuler. Beaucoup de gens sont choqués. Parce qu’il y a eu un assassinat et que la décence à l’égard de la victime aurait mérité un peu plus de retenue (aucun mot pour la mère assassinée, que va penser Sarkozy ?). Parce qu’une fois de plus, l’opinion pense qu’il existe un écart de traitement selon que l’on soit notable ou simple manant. Parce que des dizaines de femmes sont assassinées chaque année par leur compagnon, et des milliers, et bien plus, sont battues. Une député socialiste a d’ailleurs exprimé son indignation à propos de cette minute de silence qui risque de faire un sacré bruit.
La France du 21ème siècle, elle ressemble encore à la France des notables, une France assumant son héritage de l’Ancien Régime, de la Troisième République et ses châtelains intouchables, de la Quatrième République et ses notables d’Etat et de villes provinciales. Il n’y a rien de plus à ajouter. Enfin si, une chose, cette tolérance à l’égard du crime passionnel, surtout quand il est perpétré dans la bonne société. Quelque part dans ma mémoire, il y a cette affaire ancienne, un type bien, belle bagnole, job respectable, ami de Bernard Tapie, qui tua avec préméditation sa femme parce qu’elle avait un amant. Le type a bénéficié d’une condamnation indulgente, effectuant je crois moitié moins de taule que Cantat. Bon, il n’y a qu’une chose à souhaiter, c’est que cela ne nous arrive pas. Il est regrettable que Demange, qu’on disait si dépressif, n’ait pas eu la sagesse de demander son internement, comme l’a fait l’acteur Benoît Poelvoorde. Deux personnes seraient en vie à cette heure-ci. Paix à leur âme !
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