À propos d’un fiasco
Les dernières élections syndicales.

Fiasco ? Je veux parler ici des toutes récentes élections professionnelles qui en ont été un, retentissant, véritable déni de démocratie.
Alors que tous les professionnels étaient appelés à désigner celles et ceux qui siégeront demain dans les tribunaux prud’homaux pour régler les conflits du travail, 3 électeurs sur 4 ne se sont pas déplacés : un record jamais vu malgré des dispositifs internet !
Et cet électeur sur 4 qui est allé voter, qui est-il au fait ? Essentiellement les salariés des entreprises protégées, ceux des services publics qui ont l’habitude de voter, alors que l’immense majorité des salariés des P.M.E. - commerces, services et les métiers qui se sont développés depuis 30 ans et n’ont aucun syndicat marquant - ont été les grands absents du scrutin.
Pourquoi ? Quelle analyse peut-on tirer d’un tel désintérêt.
Même dans de telles conditions, il se trouve pourtant spontanément des centrales syndicales pour proclamer leur victoire. Mais de quelle victoire s’agit-il ? En fait tous les grands syndicats ont reculé, à l’exception de la C.G.T., de Sud et des cadres de la C.G.C..
La C.G.T. semble avoir comblé partiellement son retard en arrêtant un chute constante qu’elle avait essuyée depuis de nombreuses années. La C.F.D.T. a subi de son côté un violent coup d’arrêt. Mais aussi - c’est surprenant ! - F.O.. On aurait pu croire que, pour la C.F.D.T., celle-ci aurait “payé” un tantinet une politique qui faisait débat dans ses rangs : mais, dans ce cas, pourquoi F.O. a aussi payé le même prix ?
Je crois que les vraies raisons de ces attitudes sont beaucoup plus larges qu’il n’y parait et qu’il faut aller les chercher bien au-delà des clivages du moment présent.
UN REPLI SUR SOI-MÊME
J’ai le net sentiment d’une sorte de repli de toutes les catégories sociales sur elles-mêmes, la classe ouvrière traditionnelle continuant de se reconnaître essentiellement dans la C.G.T., surtout dans les moments durs, dans ceux d’affrontements ou d’inquiétude, mise à part une autre petite poussée peu significative des syndicats d’extrême gauche.
En revanche, quand on voit que les cadres de la C.G.C. progressent au détriment de la C.F.D.T., cela signifie bien que toute tentative de concevoir une politique nationale, ou de faire prévaloir l’intérêt collectif par rapport au “sauve-qui-peut” individuel, est aujourd’hui vouée au désaveu.
Sur le fond, il faut se rappeler qu’il y a 30 ans, 30% des salariés étaient syndiqués : aujourd’hui il ne sont plus que 8%. La France a aujourd’hui le taux de syndiqués le plus faible des pays développés (je l’avais déjà déploré dans un précédent billet). Et encore ces 8% sont-ils partagés entre 8 centrales syndicales qui s’opposent les unes aux autres ! C’est un dramatique émiettement de la représentation syndicale.
8 SYNDICATS = 8% DE SYNDIQUÉS
Nous avons donc en France un syndicalisme.... qui n’a pas de syndiqués mais beaucoup de syndicats. Quel pouvoir peuvent donc avoir des syndicats aussi dispersés, hormis celui de mettre de temps à autre les salariés dans la rue qui, une fois la manifestation terminée, s’en retournent chez eux et se tournent résolument le dos ?
À quoi peut donc servir un syndicat, malgré ce pouvoir de manifester ponctuellement et de paralyser le pays, qui ne peut pas, ensuite, se faire reconnaître ni dialoguer avec ses partenaires parce que 92% des salariés leur contestent le droit de les représenter.
C’est une très mauvaise chose pour la démocratie sociale. Et même dans cette période de crise exceptionnelle que nous traversons, on aurait pu croire à un réflexe de mobilisation face à la montée des inquiétudes. Eh bien non, chacun est resté chez soi.
UN INDIVIDUALISME BIEN ANCRÉ
Ce qu’on appelait autrefois la conscience de classe, c’est-à-dire le sentiment de solidarité et de cohésion des travailleurs, est en train de disparaître totalement. On parle souvent de l’individualisme bourgeois : mais il faut reconnaître que l’individualisme est encore plus ancré dans la classe ouvrière que chez les bourgeois. Je considère que c’est là un signe très grave pour notre nation : un pays où les solidarités collectives sont aussi peu respectées et défendues face aux “sauve-qui-peut” individuels n’est que peu armé pour affronter les années difficiles que nous allons connaître.
Pas de syndicats ? Donc pas d’opposition ?
On pourrait croire que cela constitue un véritable boulevard pour Nicolas Sarkozy. Mais je ne le crois pas : il y a une telle anomie, une telle absence de règles collectives, que cette absence de syndicalisme ne peut pas constituer une force face au gouvernement. Ce pays est véritablement frappé par une crise de son lien social. Et la crise actuelle ne semble pas vouloir faire bouger les choses.
Au lieu de proclamer triomphalement, comme le fait la C.G.T., “nous avons gagné 3 points”, les syndicats devraient s’interroger surtout sur cette désaffection de la classe ouvrière. Hier ils représentaient 30% des salariés, aujourd’hui 8%. Et demain, que restera-t-il de leur représentativité ?
Les dirigeants syndicaux seraient mieux inspirés de se remettre courageusement en question et tenter d’enrayer l’inexorable déclin de leurs centrales. Il me semble, hélas, n’y avoir pourtant chez eux aucune réflexion sur les taches et les missions du syndicalisme, ou plutôt d’un syndicalisme du 21° siècle. Ils vivent toujours sur des notions issues du syndicalisme social-démocrate de la fin du 19° siècle.
La situation que nous traversons exige que soit aujourd’hui restauré un véritable dialogue social entre interlocuteurs responsables et représentatifs.
Responsables et représentatifs.
Le chemin risque d’être long pour en arriver là. Mais, autrement, nous courons le risque de tomber dans une sorte de populisme faisant une plus large place encore à l’individualisme et à l’indifférence. Une société opposée à toute notion d’humanisme où l’homme serait ignoré de la collectivité. Ce serait là la source de tous les dangers.
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