À propos du juge d’instruction
Remplacer par quoi ?
Nous voilà donc lancés dans une nouvelle bataille présidentielle, une de celles comme les affectionne tant Nicolas Sarkozy : celle de la suppression des juges d’instruction. Tout le monde s’en mêle, magistrats, avocats, juristes, politiques, etc.... : un beau tollé !
Il est vrai que Mr Sarkozy venait de subir deux échecs successifs : d’abord le retrait de la réforme Darcos, ensuite le report “sine die” de la loi sur le travail du dimanche. Et, en bon stratège qu’il est, Mr Sarkozy décide de ne pas en rester là et lance aussitôt un nouveau projet de réforme, comme pour effacer l’effet des échecs précédents : voilà donc soudain sur la sellette le cas de nos actuels juges d’instruction “à la française”.
QUEL PROJET ?
S’il est un reproche qu’on peut faire à Mr Sarkozy, c’est de lancer comme ça soudain en pâture un projet sans qu’il ait été préalablement soigneusement élaboré et expliqué. Et, finalement, on n’en connaît ni les tenants ni les aboutissants, ni rien de son contenu précis. Comment l’opinion, devant ce vide total, pourrait-elle ne pas être inquiète et s’enflammer ?
Pourtant, l’idée de remplacer le juge d’instruction par autre chose n’est pas mauvaise en soi. Mais, à défaut de texte précis, quand on voit s’avancer la menace de l’omnipotence, en matière de poursuites, du procureur, c’est-à-dire du “pouvoir” politique - puisque celui-ci en dépend intimement - on peut être légitimement inquiet : où allons-nous ?
LES SÉQUELLES DE L’AFFAIRE D’OUTREAU
Ce débat avait, en fait, été relancé il y a un an avec l’affaire d’Outreau et le juge Burgaud. Les ravages laissés par les décisions de ce dernier avaient vivement ému l’opinion : pouvait-on laisser un jeune juge, encore inexpérimenté, décider seul d’emprisonner pendant de longs mois des citoyens, provoquer le suicide de l’un d’entre eux, ruiner des familles et des carrières professionnelles, sur sa seule impression solitaire d’une situation, impression qui s’est révélée ensuite totalement fausse. Et là, il était trop tard : le mal est irrémédiablement fait.
Cette affaire a illustré avec éclat le défaut de notre institution judiciaire et a suscité aussitôt une réflexion approfondie sur les réformes qu’il était souhaitable d’y apporter. Et, déjà là, le juge d’instruction “à la française” était irrémédiablement condamné.
Il faut savoir que, dans 4 à 5% des cas, le juge d’instruction est conduit, solitairement, à enquêter sur des affaires importantes - comme à Outreau - et il est censé enquêter à charge et à décharge. Cela pose évidemment problème : on ne peut enquêter seul, surtout dans des dossiers sensibles, à la fois à charge et à décharge. Quand le juge Burgaud est intimement convaincu qu’il tient en face de lui les coupables, son enquête va conduire inévitablement à la mise en examen et la destruction de la vie de ces gens, quoique “présumés innocents”.
Cela avait déjà été dit il y a environ 20 ans par la gauche : on ne peut donc pas confier à la même personne le soin d’enquêter et le soin de mettre en examen, c’est-à-dire de quasiment punir “préventivement”.
QUOI METTRE À LA PLACE ?
Le problème aujourd’hui posé par cette évidence est : quoi mettre à la place ?
Mais ce problème réside aussi dans la façon qu’il est aujourd’hui abordé par Nicolas Sarkozy : il semble ignorer totalement les conclusions de la “commission Outreau” (née et réunie après cette malheureuse affaire), qui avait déposé des conclusions “à charge et à décharge” par les différentes sensibilités politiques qui y avaient participé, conclusions qui avaient abouti par un vote du Parlement qui prévoyait d’instaurer la collégialité pour éviter les dérives de la solitude d’un juge.
Ces réformes étaient donc en voie d’entrer en application. Or Mr Sarkozy donne l’impression de s’asseoir complètement dessus en ignorant le travail de réflexion déjà mené, tant par la droite que par la gauche, et qui avait abouti à ce vote. Et on fait planer maintenant le soin de confier l’enquête au parquet, c’est-à-dire au pouvoir politique.
Même si cela ne représenterait que 5% des cas, imaginons un dossier sensible, visant des hommes politiques, comme par exemple pour l’affaire "Clearstream/Villepin" : si c’est le parquet, lequel est placé sous l’autorité du Garde des Sceaux (donc du gouvernement), qui a seul la responsabilité de l’enquête - et non plus un juge d’instruction indépendant - on risque de commencer à vivre des épisodes à la “Règlements de compte à OK Corral”. Impensable !
La "commission Outreau” avait donc prévu, pour éviter pareilles dérives, une collégialité des juges d’instruction, ceux-ci restant indépendants du pouvoir politique. Et le Parlement avait ratifié ce projet.
L’intervention - trop sommaire - de Mr Sarkozy laisse donc planer un doute grave sur cette nécessaire indépendance de l’enquête, même s’il ne semble pas que la collégialité soit remise en cause. Ainsi donc le juge d’instruction deviendrait le juge “de” l’instruction. Mais le rôle de ce dernier serait très restreint puisqu’il n’aurait plus la responsabilité de l’instruction elle-même.
QUI DOIT INSTRUIRE ?
Qui donc va instruire désormais les affaires dans cette nouvelle version sarkozyste ? Même si l’on est d’accord sur le côté insoutenable du juge d’instruction sous sa forme solitaire actuelle, si l’on ne donne pas des garanties absolues concernant l’indépendance du parquet par rapport au pouvoir politique, et, d’autre part, si l’on considère que l’instruction sera conduite désormais sous la direction de la police (mandatée par le parquet) - comme aux USA ! - il y a lieu d’être très inquiet : la police n’a pas toujours des méthodes d’investigation qui sont des modèles de démocratie. C’est inacceptable : évitons-nous les dérives de type USA. D’un excès à la “Outreau”, on risque donc de verser dans d’autres excès tout autant condamnables. Impossible dilemme !
CRÉER DES CONTRE-POIDS
La question des enquêtes par le parquet, comme le prévoit Nicolas Sarkozy, est donc de savoir s’il est possible de mettre en face un contrepoids. Si, même de façon collégiale, le parquet décidait, par exemple, la mise en détention d’un citoyen sur lequel pèseraient des présomptions de culpabilité, il est indispensable que la défense ait pour le moins des droits dès le premier jour, dès la première heure. Pas après la décision du collège accusateur de mise en détention.
Je ne participe personnellement pas à l’hallali général contre cette réforme, car une réforme est bien nécessaire. Même si elle n’est pas simple du tout. Ma seule préoccupation est donc celle de l’indépendance de l’enquête vis-à-vis du pouvoir politique, sans toucher cependant au parquet lui-même dont il est nécessaire que celui-ci ait un lien avec “le” politique pour éviter excès et dérives.
Me vient alors en mémoire cette proposition de François Bayrou qui voulait que le Garde des Sceaux soit indépendant du gouvernement et nommé séparément. Voilà une piste intéressante à poursuivre.
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