Absentéisme scolaire :Chronique d’une réalité
La suppression des allocations familiales pour absentéisme scolaire revient au premier plan. Au-delà de la polémique, il est temps de porter un regard sur ce que représente ce fléau bien réel qui risque, s’il n’est pas endigué, de pénaliser les plus démunis.
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Mardi matin, 10 heures, La conseillère d’éducation décide d’appeler les parents à nouveau. Difficile de leur parler... ils ne répondent pas aux courriers, ni au téléphone la plupart du temps. J’apprends par la même occasion qu’ils sont huit dans la famille, dans un milieu que l’on qualifie de "défavorisé"... Plusieurs sont déja passés au collège, d’autres sont en école primaire. Celui-ci est perdu au milieu de la fratrie.
La mère décroche et, sur le haut-parleur, j’entends un "ils vont nous faire chi** longtemps ceux là" qui pose bien la situation. La CPE ne se démonte pas , poursuit la conversation, exige un rendez-vous. En vain....un bip bip atone nous informe que ce n’est pas ce matin que nous ferons des progrès.
" il passe en commission d’absentéisme, les parents vont être convoqués officiellement par recommandé dans l’établissement qui gère ces cas" m’apprend la CPE. Sourire désabusé, regard au ciel. Nous verrons.
Une semaine plus tard , malgré le recommandé, personne n’est venu. Le signalement pour absentéisme fait son chemin. " Tu sais, au mieux, on leur dira un peu plus sèchement que la scolarité est importante, on leur proposera une aide complémentaire par l’assistante sociale, qui ira chez eux faire le point...Mais ça s’arrêtera là. S’ils n’envoie pas cet enfant en classe, on ne pourra plus grand-chose...."
J’enseigne depuis plus de dix ans dans un établissement de REP ou réseau d’éducation prioritaire. Un établissement marqué par un taux d’absentéisme élevé depuis plusieurs années tant il est incontestable que ce phénomène est devenu un fléau qui mène 275 000 élèves environ selon les statistiques officielles à décrocher scolairement parfois très tôt, dès la primaire, avec des conséquences directes, notamment en lycée professionnel où le constat est alarmant : Des élèves entre 16 et 18 ans qui abandonnent toute formation et sortent du système sans formation diplômante, sans compétences professionnelles reconnues.
Aujourd’hui la polémique renait, celle des allocs’ à supprimer en cas d’absentéisme chronique.
En fait, cette mesure n’est pas nouvelle. La suspension des allocations est inscrite dans la loi depuis 2001 . En moyenne 8000 suspensions ont été prononcées par an en France pour 275000 jeunes absentéistes.
Par ailleurs , depuis 2006 , le contrat de responsabilité parentale instauré par la loi sur l’égalité des chances permet au conseil général du département de suspendre les allocations versées :
"Le président du conseil général peut demander la suspension - et en aucun cas la suppression - de tout ou partie du versement des allocations familiales et du complément familial dus pour l’enfant concerné. Il en donne ordre au directeur de la caisse d’allocations familiales (CAF) concernée "
Engagement des parents, et sanction en cas de non respect de cet engagement. Un principe finalement assez simple....jamais respecté dans les faits : de Droite ou de gauche, les départements n’ont pas appliqué la mesure. Par fébrilité ou facilité du côté des élus UMP où certains ont pu dénoncer une lourdeur de la procédure, ou par conviction puisque de nombreux présidents de conseils généraux socialistes étaient opposés dès le départ au principe même de cette suspension.
Aujourd’hui le ton semble se durcir, et si l’on pourrait penser que seul le chef de l’état était convaincu de la nécessité de procéder à cette suspension de l’aide sociale, une majorité de français d’après un sondage publié ce 21 avril soutiennent l’idée avec 63% d’opinions favorables.
Nous voilà donc face à l’éternel débat jamais tranché : l’éducation est-elle compatible avec la répression ? Des policiers dans les écoles , des sanctions financières en cas d’absence, est-ce compatible, efficace, réaliste tout simplement ?
Au-delà des débats idéologiques, une seule chose reste certaine à mon sens : l’école républicaine obligatoire a été instaurée pour permettre à tous les citoyens de bénéficier d’une égalité d’accès à l’éducation, et pour tendre à une égalité sociale.
Priver son enfant d’une scolarité stable est un acte criminel dans une société qui exige de plus en plus un niveau de compétences élevé. Le lien entre formation et emploi reste étroit malgré toutes les légendes qui courent sur ce thème, notamment chez un certain nombre de jeunes en difficulté ou décrochage scolaire. Un rapport du débat national sur l’éducation stipulait
"Les derniers résultats de l’enquête Emploi réalisée en France (MEN, mars 2002) montrent que plus d’un quart des jeunes sans diplôme sont chômeurs 5 ans environ après la fin de leur formation initiale, contre 13% des titulaires de CAP et BEP et 8% des bacheliers. La situation est nettement plus favorable pour les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur (taux de chômage autour de 5%) qui, en outre, trouvent le plus vite un emploi, en particulier un emploi stable ; cinq ans après la fin de leurs études, ils exercent quatre fois plus souvent que les bacheliers une profession supérieure ou intermédiaire."
Dans ces conditions, comment rester sans réaction devant la réalité de l’absentéisme qui ne cesse de s’accroître ?
N’oublions pas que l’école obligatoire a été en premier lieu la victoire du combat contre le travail des enfants au XIXème siècle, notamment sous l’impulsion de Victor Hugo, entre autres, qui dans Mélancholia écrivait. en 1856..
"Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement."
Il appartient donc à l’ensemble de la nation de se mobiliser, au-delà des clivages ou de tout angélisme, pour vaincre un fléau avant tout pénalisant pour les classes les plus fragiles de notre société.
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