« Accueil, seuil, frontière, tout cela va ensemble »
« Pour accueillir quelqu'un il faut avoir une porte, ouvrir sa porte, se tenir sur le seuil. Accueil, seuil, frontière, tout cela va ensemble. » C'est une des choses que disait Régis Debray en présentant son dernier essai, Éloge des frontières.
Il y a des idéologies qui adorent la frontière, d'autres qui la maudissent, mais pour réfléchir sur un objet, on peut se donner un autre point de départ que la question de savoir s'il est juste ou injuste, moral ou immoral. On peut aussi se demander si, étant donnés le monde tel qu'il est et les hommes tels qu'ils sont, cet objet rend les hommes heureux ou malheureux. C'est en s'interrogeant dans cet esprit plus « épicurien » que « platonicien », tourné vers des réponses plus « matérialistes » que fondées sur la seule idée du Juste ou du Bien, que l'on peut se convaincre, comme Debray peut-être, que la frontière est une condition réelle de la vie heureuse en société.
Beaucoup semblent trouver immoral, de voir dans le monde des peuples qui seraient comme des familles, chaque homme appartenant alors à l'une de ces familles, et n'appartenant pas aux autres. Mais ont-ils essayé de juger cette manière de voir, non pas à l'aune de sa conformité à tel ou tel système de valeurs, mais plutôt à l'aune du bonheur ou du malheur qu'elle peut apporter aux hommes tels qu'ils sont ? Dans un monde où il existe des peuples qui sont comme des familles, quelqu'un qui quitte un peuple pour se mêler à un autre peuple, peut être accueilli comme un nouveau membre de la famille par ses nouveaux voisins, et lui-même peut alors reconnaitre ses nouveaux voisins comme sa nouvelle famille.
Les hommes sont bien sûr tous identiques à leur premier cri, mais alors qu'ils poussent ce premier cri, ils ne sont pas encore tout ce qu'ils deviendront en grandissant, en s'imprégnant de la culture dans laquelle ils baigneront lors de leurs premières années. Le gazouillis des bébés parcourt toute la palette des sons que peuvent prononcer les hommes de tous les pays, mais ce gazouillis n'est pas encore la pratique d'une langue. L'homme qui vient d'un pays lointain ne parle pas seulement une langue différente, car sa culture d'origine ne contient pas qu'une langue, elle contient aussi une conception du respect et de l'honneur, des codes de politesse, par lesquels on marque son respect, des manières de vivre des moments avec les autres, et sûrement beaucoup d'autres choses encore. Le nouvel arrivant diffère de ses nouveaux voisins, non seulement par ses acquis culturels, mais encore par des choses qui se perçoivent tout de suite, comme l'apparence physique, les vêtements, la manière de parler. Il n'a pas initialement une représentation de sa nouvelle société, dans laquelle il se voit une place, et les membres de sa nouvelle société n'ont pas non plus initialement une représentation de leur société, dans laquelle ils lui voient une place. Il ne sait pas initialement que ses nouveaux voisins l'acceptent parmi eux, et ses nouveaux voisins ne savent pas initialement qu'il les respecte.
Dire qu'il y a dans le monde des peuples qui sont comme des familles, et que chaque homme du monde appartient à l'une d'entre elles, mais pas aux autres, peut alors être une manière imagée de constater l'existence de toutes ces choses, qui initialement séparent le nouvel arrivant de ses nouveaux voisins. Constater n'est pas justifier, et il est même possible que ce qui se constate ne se justifie pas toujours. Mais une fois constatée de cette manière imagée, l'existence de ces choses qui séparent initialement, il est possible de prolonger l'image, de manière à surmonter ces choses. On peut en effet inventer et mettre en oeuvre tout un processus par lequel, en quelque sorte, les nouveaux voisins adoptent le nouvel arrivant, et celui-ci se fait adopter par eux, lui et eux se donnant ainsi les moyens de vivre heureux ensemble.
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