Adoption par des couples homosexuels : un énorme pas en avant... à nuancer
Parfois, le droit évolue plus dans les prétoires que dans sur les bancs des assemblées. La décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation ce jeudi 8 juillet 2010 en est un parfait exemple ; une date qui va sûrement rester longtemps dans les mémoires des personnes homosexuelles voulant simplement adopter un enfant.
La haute juridiction vient en effet d’admettre un possible lien de filiation entre un enfant et la compagne de sa mère biologique.
Reprenons l’histoire depuis le commencement...
C’est l’histoire de deux femmes ; l’une est de nationalité française, l’autre est américaine. Elles vivent aux Etats Unis et ont décidé de conclure une convention de vie commune "domestic partership".
En 1999, l’une d’elles met au monde un enfant issu d’une insemination artificielle par donneur anonyme.
Le 10 juin de la même année, la Cour supérieure du Comté de Dekalb dans l’Etat de Georgie prononce l’adoption de l’enfant par la compagne de sa mère biologique.
Du coup, l’acte de naissance de l’enfant mentionne l’une des femmes comme mère de l’enfant et l’autre comme "parent". Toutes les deux se voient alors le droit d’exercer l’autorité parentale.
Tout semble bien se passer mais voici qu’arrive la procédure devant les juridictions françaises.
En effet, afin que tout cela est la moindre valeur en France, les deux femmes demandent simplement l’exequatur (procédure visant à donner dans un État, force exécutoire à un jugement rendu à l’étranger) la décision rendue par la juridiction américaine.
Le tribunal de grande instance de Paris refuse, la Cour d’appel de Paris également.
Motif : la contrariété à l’ordre public international français de la décision étrangère en se fondant sur l’article 365 du code civil.
C’est alors au tour de la première chambre civile de la Cour de cassation de statuer, les juges ne sont alors là que pour vérifier la décision prononcée en appel en se fondant uniquement sur le droit.
La réponse de la haute juridiction est simple ; elle tient en quelques lignes :
"le refus d’exequatur fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de la décision étrangère suppose que celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu’il n’en est pas ainsi de la décision qui partage l’autorité parentale entre la mère et l’adoptante d’un enfant".
Les juges ordonnent alors l’exécution de l’exequatur de la décision américaine.
Du coup, l’enfant a bien deux mères qui disposent ensemble de l’autorité parentale.
Faut-il y voir là un début d’espoir pour les couples homosexuels qui veulent adopter ?
En tous cas, cette décision est au moins une sérieuse invitation à s’interroger sur la législation en vigueur car, même s’il ne s’agit que d’un arrêt et pas d’un texte de loi, nous pouvons tout de suite parier que de nombreux plaignants dans la même situation n’hésiteront pas à rappeler aux juges l’existence de cette décision.
Et puis, c’est parfois la jurisprudence qui vient forcer un peu la main du législateur qui lui faire comprendre qu’il faut faire évoluer le droit ; les exemples ne manquent d’ailleurs pas.
Cette décision n’est pas sans rappeler le fameux arrêt E.B contre France rendue le 22 janvier 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France pour atteinte aux articles 14 (qui interdit les discriminations) et 8 (droit à la vie privée et familiale) en considérant que les autorités françaises, dans l’application de la législation d’adoption par une personne célibataire, avaient discriminé la requérante en lui refusant un agrément au motif de son homosexualité.
Mais attention à ne pas se réjouir trop vite car plusieurs éléments obligent à apporter quelques nuances.
- D’abord la Cour de cassation fonde sa décision sur l’article 370-5 du code civil qui ne concerne que les effets en France d’une adoption prononcée à l’étranger.
Donc attention à ne pas vouloir invoquer cette décision pour appuyer une argumentation concernant une situation qui n’entrent pas dans ce champ.
- La deuxième remarque ne fait d’ailleurs que compléter la première puisque, hasard ou coïncidence, la même première chambre civile a rendu une autre décision :
il s’agit de deux femmes françaises pacsées vivant en couple depuis des années ; la première a eu une fille, la seconde a eu un garçon. Dans les deux cas, seule la mère biologique a reconnu l’enfant.
L’une et l’autre ont ensuite fait une demande au juge aux affaires familiales de délégation de l’autorité parentale au profit de l’autre conjointe.
Un jugement a validé tout cela et déclaré que les deux femmes se partageaient l’autorité parentale sur les deux enfants. La décision fût alors rapidement infirmée en appel ; une position approuvée par la Cour de cassation.
Les juges s’appuient alors sur le fait que les textes en vigueur ne s’opposent pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue à condition que les circonstances l’exigent et que la mesure soit conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Or, selon eux, malgré les nombreux éléments rapportés par les deux femmes, rien ne venait démontrer "en quoi l’intérêt supérieur des enfants exigeait que l’exercice de l’autorité parentale soit partagé entre elles et permettrait aux enfants d’avoir de meilleures conditions de vie ou une meilleure protection."
Cet article est initialement publié là : http://0z.fr/wG8mJ
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